Taïwan, un dragon amateur de traditions

Mercredi 16 mai 2018 : Taïwan, un dragon amateur de traditions, conférence par Constance Barreault, spécialiste d’arts et civilisations asiatiques, Musée Guimet, AFAO.

 

Taïwan ou République de Chine est située à moins de 160 kilomètres au sud-est de la République Populaire de Chine (RPC). Le pays comprend les îles de Taïwan, Kinmen, Matsu et Penghu (les Pescadores) et d’autres petites îles et îlots. D’une superficie de 36 008 km2 l’île de Taïwan est occupée essentiellement par un paysage non urbain (87% du territoire). La République de Chine est peuplée de 23,1 million dont 84% de Taïwanais, 14% de Chinois continentaux (RPC) et 2% d’autochtones, sans compter les travailleurs migrants provenant essentiellement d’Indonésie, des Philippines, de Thaïlande et du Vietnam (entre 400 000 et 500 000). On y parle le Mandarin, le Taiwanais (Minnan), les dialectes Hakka et des langues autochtones.

Une des caractéristiques actuelle de Taïwan est son attachement à la démocratie même si celle-ci est relativement récente: le premier parti d’opposition autorisé a vu le jour en 1986 et la première alternance politique a eu lieu il y a 18 ans. Mais depuis, cette démocratie fonctionne et la liberté d’expression, la liberté de la presse sont complètes. La vie politique est structurée par l’opposition de deux grands blocs partisans, le Kuomintang (KMT), d’un côté, le Parti Progressiste Démocratique (DPP), de l’autre. Le premier, plutôt conservateur, recrute parmi les fonctionnaires, l’armée, les milieux d’affaire liés à la Chine communiste. Le second, de centre gauche et écologiste, est bien représenté parmi les classes moyennes du privé et les intellectuels. De nouvelles figures politiques émergent qui refusent le clivage KMT/DPP et se situent «ailleurs»; la plus connue est le maire de Taipei, Ko Wen-je, figure montante de la vie politique taïwanaise. Mais le renouveau démocratique prend aussi la forme de mobilisations citoyennes. Le plus connu a été le mouvement du Tournesol pour protester contre un accord commercial avec la Chine (négocié dans une certaine obscurité par le Kuomintang, alors au pouvoir) où plusieurs centaines d’étudiants ont fait irruption dans le Parlement qu’ils ont occupé pendant 26 jours en mars et avril 2014. Le Mouvement du Tournesol a donné naissance à un nouveau parti de gauche, le New Power Party qui met au premier plan les droits de l’homme, les libertés civiles et plaide franchement pour l’indépendance de Taïwan.
Sur une échelle de 0 à 100 publiée par Freedom House (organisation non gouvernementale internationale), Taïwan obtient 89 points juste derrière le Japon (96) pour la région Asie-Pacifique, la Chine n’obtenant que 16 points.
Un exemple d’ouverture est la décision de la Cour constitutionnelle de proposer la légalisation du mariage entre personnes du même sexe, faisant de Taïwan le premier pays asiatique à traiter de cette façon le dossier et le 25ème au monde. La Cour estime que la légalisation du mariage gay contribuerait à davantage de stabilité sociale et à protéger la «dignité humaine».

Carte de Formose en 1896.

Champs d’arbres à thé.

La ville à la campagne.

Taïwan est aussi devenu membre du Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2002.

Malgré ses 23,1 millions d’habitants, Taiwan est la 14ème puissance commerciale du monde en 2012, avec 301,11 milliards US$ d’exportations et 270,73 milliards US$ d’importations. Elle importe la plupart de ses besoins énergétiques. Si les États-Unis sont le troisième plus grand partenaire de commerce de Taïwan, la République Populaire de Chine est le premier partenaire commercial et cette tendance augmente rapidement car les deux économies deviennent plus que jamais interdépendantes. Le manque formel de relations diplomatiques entre la République de Chine (Taïwan) et ses partenaires de commerce semble ne pas avoir freiné sérieusement le commerce de Taïwan en croissance rapide. En effet, la République de Chine maintien des bureaux culturels et de commerce dans plus de 60 pays avec lesquels elle n’a pas de relations officielles
Si l’agriculture a toujours été un secteur d’innovations et a été une préoccupation importante du fait de la recherche d’autosuffisance de Taiwan, l’industrie technologique est ce qui fait vivre l’île.
Avant l’arrivée des premiers «visiteurs» chinois, l’île de Formose était peuplée d’aborigènes scindés en deux communautés: l’une d’entre elles, située dans les plaines, était sédentaire et principalement constituée de cultivateurs, l’autre, située au cœur des montagnes, était non sédentarisée et tirait ses ressources de la chasse et de la cueillette, leur vie étant rythmée par des guerres tribales.

Membres de la tribu Saisiyat, par le photographe japonais Kutsuyama, vers 1900.

Maison Hakka située à Houlong. Salle de concert et espaces d’exposition.

Portugais déchargeant une caraque. Détail d’un paravent namban attribué à l’école Kanō. 16ème s.

La première vague d’immigration est le fait des Hakkas, vers l’an mille, en provenance du Fujian et du Guangdong et leurs activités de pêche et de commerce les ont conduit à occuper le Sud de Formose, repoussant les populations aborigènes vers les montagne. Ils y cultivent la canne à sucre, le riz, le thé et commercent activement avec le continent.
Cependant, sous la dynastie des Ming  (1368-1644), d’autres communautés chinoises que les Hakkas décident d’émigrer  vers Formose. Ces migrants sont issus de la toute proche province continentale du Fujian. Arrivés sur l’île, ils repoussent à leur tour les Hakkas vers le milieu des terres et s’installent massivement dans les plaines de l’Ouest. Au cours des 15ème et 16ème siècles, Formose devient le refuge privilégié des pirates et des commerçants de la Chine continentale et du Japon. L’île satisfait en effet pleinement leurs besoins: sa population industrieuse produisait denrées alimentaires et autres biens en quantités importantes, et surtout, elle s’administrait elle-même par le biais de lignages claniques et villageois. Comme elle était à proximité des centres de négoces et des routes maritimes de la Chine, du Japon et de Hong Kong, tout en échappant à leur contrôle politique, Taiwan devient un paradis pour les pirates qui se livraient au négoce si la conjoncture était favorable ou vivaient de rapine dans le cas contraire.
Au début du XVIIème siècle, Taiwan peut donc être considérée comme un lieu stratégique, une île à la croisée des routes de la mer de Chine. Il n’est alors pas étonnant qu’à cette époque, les prétendants à sa domination se multiplient. Les tentatives de conquête à l’encontre de Formose ne sont donc plus le seul fait de la Chine continentale. Preuve en est la tentative d’annexion par le shogun  Toyotomi Hideyoshi. En 1603 , une expédition est organisée dans le but de chasser les pirates japonais installés dans l’île : l’opération est un succès, les Chinois parvenant à conquérir Formose. C’est à partir de 1612, c’est à dire quelques années après la conquête chinoise que le terme de Taïwan est officiellement utilisé dans les écrits chinois pour désigner l’île. Mais l’île excite la convoitise des Européens, en effet, les Portugais, les Espagnols et les Hollandais prétendent à sa domination. En fin de compte, ce sont les Hollandais qui parviennent à imposer leur domination et à occuper Formose de 1624 à 1661. Obtenant un accord du gouvernement chinois, la Compagnie Hollandaise des Indes Orientales obtient les droits exclusifs du commerce de l’île et commence à importer de l’opium depuis la proche île de Java (qui est alors une colonie hollandaise). De plus, les Provinces Unies encouragent la venue de paysans chinois, ce qui leur permet de mettre en place une véritable politique coloniale, reposant sur deux concepts fondamentaux: d’une part, tirer de gros profits du commerce du sucre, de l’indigo et du poisson séché, et d’autre part, soumettre les populations chinoises de Formose aux taxes et aux corvées.
En 1661, un aventurier chinois du nom de Koxinga s’empare de l’île de Taiwan et en chasse les Hollandais, devenant ainsi le maître incontesté de l’île et Taïwan devient une principauté autonome. Cet homme est aujourd’hui considéré par les Taiwanais comme un véritable héros national. Étant loyal aux Ming, l’île devient une enclave loyaliste pour lutter contre l’empire mandchou. Zheng Chenggong (Koxinga) s’emploie alors à développer tous les domaines: il améliore les voies de communication et l’agriculture, il fait de Tainan un véritable centre économique et politique. Il fait construire des réservoirs pour l’irrigation. Le riz étant la production principale à l’époque. Il fit aussi importer de Chine 43 légumes, comme des poireaux, de l’ail et du choux chinois. Koxinga se préoccupe également de la culture chinoise: aidé de nombreux lettrés, maîtres et artistes, il restaure les lois, les institutions et les traditions qui avaient cours sous les Ming. Mais en 1683, l’Empire chinois décide de mettre un terme aux agissements loyalistes des Zheng, en organisant une expédition militaire qui met fin à vingt-deux années d’indépendance taiwanaise.  C’est donc en 1683 que l’île est « récupérée » par les Qing et est officiellement rattachée à l’Empire céleste. Formose devient alors une préfecture (« Fu » en chinois) de la province du Fujian. Les grandes puissances européennes s’intéressent de plus en plus au sort de l’Extrême-Orient car elles y voient des opportunités commerciales et espèrent soutenir de façon plus efficace les activités des missionnaires occidentaux. Il semble en fait que les Occidentaux s’étaient aperçus que le pouvoir central chinois de Pékin ne se préoccupait que peu du sort de Formose, et au demeurant, y avait peu d’autorité. C’est dans ce contexte qu’en 1869, les Anglais bombardent Anping et les Etats-Unis dirigent une expédition punitive contre une tribu aborigène, suite à l’assassinat de marins.

Portrait de Koxinga. Peinture sur soie. Milieu du 17ème s.

Soldats japonais entrant dans Taipei en 1895. Peinture à l’huile.

Hall mémorial national (ancien mémorial de Tchang Kaï-Chek). Taipei.

Mais parallèlement à ce climat de violence, le commerce étranger s’accroît sur l’île. Le camphre, le thé, le riz, le sucre et le bois s’exportent de mieux en mieux, tandis que l’opium est le principal produit d’importation. En 1872, les Japonais, qui commencent à se constituer une industrie et une armée moderne, prétextant la vengeance de pêcheurs, décident d’un raid sur Formose. Mais grâce à la résistance chinoise d’une part et à la médiation européenne d’autre part, en 1874, le Japon doit faire marche arrière. La souveraineté chinoise sur Taiwan est confirmée. En 1884-1885, la flotte de guerre française procède au blocus de l’île à la suite de la guerre qui oppose la France à la Chine. Mais en juin 1885, la Chine est finalement contrainte de signer le traité franco-chinois de Tianjin, où elle renonce à tous ses droits sur le Vietnam et accepte des modifications de frontières au bénéfice de ce dernier. La France se retire alors de Formose et Taïwan devient une province chinoise. En 1894, débute la guerre sino-japonaise, qui se poursuivra jusqu’au début de l’année 1895. Les Japonais recevront la pleine propriété de Taïwan et des Pescadores. Malgré un effort de résistance, l’armée japonaise débarque dans l’île en juin 1895 et prend le contrôle de Formose pour cinquante ans. Le Japon va favoriser une amélioration considérable de la production de riz, de sucre et de patates douces en introduisant une modernisation systématique des techniques agricoles. Le 25 octobre 1945, alors que la seconde guerre mondiale se termine et que le Japon en sort vaincu, Taiwan est rétrocédée à la Chine. Tchang Kaï-Chek et le Guomindang arrivent en 1949, créant la République de Chine qui va attirer de nouvelles vagues d’immigration qui vont tripler la population en trois ans.

Pendant la période 1953-1959, les autorités ont adopté une politique qui donne la priorité allant au développement de l’agriculture, considérée à l’époque comme un élément clé de l’économie nationale. Depuis 1979 des plans économiques décennaux se sont succédé pour augmenter la part de l’industrie dans l’économie, en développant des secteurs de haute technologie et à forte valeur ajoutée tels que les technologies de l’information et de la communication, l’électronique, la construction mécanique et le transport.
La mécanisation de l’agriculture ne fut encouragée que dans les années soixante-dix, une fois que le développement industriel put absorber la main d’œuvre déplacée, et sous des formes compatibles avec la production paysanne. Cette politique agricole a été organisée et financée directement par le gouvernement américain au travers d’un mécanisme institutionnel étonnant, le Chinese American Joint Commission on Rural Reconstruction (JCRR) fondé en 1948. Le succès de cette politique a été éclatant: entre 1946 et 1976, la production agricole a quintuplé avec une différenciation grandissante des produits. Le surplus agricole a joué un rôle majeur dans la constitution du capital industriel. L’entrée à l’OMC a été dommageable pour l’agriculture taiwanaise; le gouvernement a donc commencé à promouvoir le tourisme agricole et le bio, organiser des festivals, des musées.
En 2013, l’agritourisme a attiré environ 20 millions de visiteurs et généré NT$10 billion ( 28 milliards 411 millions d’Euros).

Champs des fermes Bundaberg. ©teq-news.

Usine de semi-conducteurs. TSMC. ©tsmc.

Publicité pour le papier fait à partir de la pierre.

Le secteur de l’électronique et des télécommunications est le 1er secteur d’exportation industriel de Taïwan et bénéficie aussi d’achats massifs et d’investissements américains. Taïwan est le plus grand fournisseur au monde de puces informatiques et est le fabricant principal de panneaux d’affichage à cristaux liquides, mémoire informatique DRAM, équipement en réseau informatique, et concepteur et fabricant en électronique du consommateur.
La production de textile, bien qu’en baisse reste importante.
Taïwan est à la pointe de recherches dans de nombreux domaines: Henry Liang invente un procédé de fabrication du papier pierre à Tainan et Jason Chen, fabrique des déodorants et des vêtements à partir de marc de café !
Cependant Taïwan reste un pays conservateur de traditions. L’installation de Tchang Kaï-Chek a entraîné dans son sillon des œuvres d’art, des médecins, des gastronomes, des maîtres d’arts martiaux etc. Même si la mémoire du généralissime est ternie, son monument, rebaptisé «Hall mémorial national» reste l’un des édifices notables de Taipei comme le musée national du Palais qui abrite 697 490 œuvres d’art chinois. Une annexe a été ouverte au public en 2016, dans un bâtiment conçu par l’architecte taiwanais Kris Yao. Les musées sont extrêmement nombreux dans l’île et on a fait appel à des architectes étrangers pour certains.
Il est intéressant de constater que les Taïwanais ont toujours su assimiler de manière positive les apports extérieurs: en matière culinaire, si les aborigènes continuent de faire des préparations à base de sanglier ou enveloppées dans des feuilles, l’apport des Chinois (thé, légumes et recettes) et des Japonais (algues, poisson cru, tempura) a créé une alimentation très variée.

Le musée du Palais. Taipei.

Palefrenier et deux chevaux. Copie d’après Han Gan (milieu du 8ème s.). Encre et couleur sur soie. Feuille d’album.

Chou chinois en jadéite avec insectes. Dyn. Qing. 19ème s.

En architecture, C.Y. Lee a dessiné la tour de Taipei 101 qui a été le plus haut gratte-ciel au monde de 2004 à 2010. Rem Koolhaas, architecte hollandais, a réalisé le Taipei Performing arts center, prévu pour 2018. Il passe aux yeux de certains pour un artiste important sachant exprimer dans ses créations, plus esthétiques que fonctionnelles, l’esprit de notre hyper modernité. Au centre, à Taichung, 3ème ville du pays, Toyo Ito a conçu le National Taichung Theatre, le plus grand stade de l’ile ( 55 000 spectateurs).
En peinture, Lo Ch’ing (né en 1948), poète, peintre et calligraphe, installé à Taïwan depuis 1949, est un des principaux innovateurs de la peinture à l’encre. S’il déconstruit les paysages, il nous parle de la relation de l’homme avec la nature, qui est présente depuis 1 000 ans dans la peinture chinoise et dans ses compositions, il reprend la tension entre l’eau et la montagne en y introduisant des formes géométriques.

La tour de Taipei 101.

Le Taipei Performing arts center.

Le soleil et la lune du printemps des cerisiers en fleurs s. Détail. Lo Ch’ing. Encre et couleur sur papier.

Taiwan peut être considéré comme la de tête de dragon drainant la Chine et d’autres pays d’Asie, dans les domaines les plus variés, allant de la politique, à l’agriculture, en passant par la littérature. Les Taiwanais nous proposent une nouvelle vision du monde, faite de souplesse, d’acceptation, de dynamisme.

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