Relation du Voyage au Japon de l’Association des Amis du Musée Cernuschi du 12 au 23 mai 2019 par Hélène Lassalle
Le voyage au Japon du 12 au 23 mai 2019, organisé, dirigé et commenté par Mme Christine Shimizu, conservateur honoraire du patrimoine, sortait des sentiers battus.
Kanazawa fut le fief du clan Maeda. Au pied de leur château, s’étend le Kenraku-en, l’un des trois plus beaux jardins du Japon. Parc paysager de 11 ha de l’époque Edo datant de 1620, il a été reconstruit en 1774, suite à un incendie: collines artificielles, cascades, lacs, ruisseaux, bordés d’azalées et d’iris, une célèbre lanterne de pierre en forme de chevalet de Koto (cithare) , un pavillon de thé du XVIIe s., et la fontaine la plus ancienne du Japon qui jaillit en jet d’eau.
Le Musée du XXIe siècle est l’œuvre des architectes qui ont construit le Louvre-Lens, l’Agence SANAA (Kazyyo Sejima et Riyue Konishiga), prix Pritzker. Il présente des artistes internationaux renommés, Oliafur Eliasson, James Turrel, Anish Kapoor, Jan Fabre. Une exposition temporaire a intéressé le groupe : Oscar Iowa, qui va exposer à Paris à partir du 17 septembre 2019 au Centre Culturel du Japon à Paris.
Les vieux quartiers, bien préservés, rappellent les estampes de l’époque d’Edo: quartier des Samouraïs et la belle demeure de la famille Nomura, ou l’ancien quartier des Geishas.
Le long de la mer du Japon, la côte Est de la presqu’île de Noto, est très accidentée. En allant vers Wajima et son marché matinal, on emprunte la voie express Chirihama Nagisa, une piste de 8km qui s’étire au pied des falaises, à même le sable, au bord de la mer.
Le temple zen Zuiryū-ji a été édifié en 1613 par Maeda Toshinaga, puis agrandi par Maeda Toshitsune pour le repos de l’âme de son frère. Trésor national mais peu connu, il présente toutes les caractéristiques de l’architecture zen de l’époque Kamakura quand les élites adoptèrent ce type de bouddhisme. Tout en bois, sans décor, son toit double en bardeaux présente des angles retroussés à la chinoise. L’ensemble a la forme d’un corps humain. Le sanctuaire est la tête, le portique est le sexe, les deux bâtiments latéraux (dont le zonden, dédié à la méditation) sont les bras, les deux constructions de la première cour, les jambes. Ce plan évoque la puissance du Bouddha.
Dans la montagne aux lointains sommets enneigés et aux forêts de cryptomères encombrés de lilas fleuris, le village de Shirakawa-gō rassemble des toits de chaumes très pentus pour faire glisser la neige: le style gassho-zuzuri (en mains jointes pour la prière) qui ménagent un vaste comble pour l’élevage des vers à soie.
A Gifu , le Musée de l’art céramique (MOCMA), a été construit par le célèbre architecte Arata Isozaki. La céramique est devenue un art majeur grâce au développement de la cérémonie du thé dans la culture zen. Au milieu d’une immense collection, on retiendra le nom de Araawa Toyoso qui a retrouvé dans les années 1930 les techniques ancestrales du Shino datant du XIIe siècle, et son fils Tadeo, avec des grès à la surface irrégulière, blanche ou d’un noir lustré dû à de l’oxyde de fer.
La région de Bizen est l’un des centres les plus anciens de la céramique. Des potiers coréens au Ve s. ont introduit ce genre de poterie cuite dans un four tunnel. A la fin du XIIe s., il y avait six centres principaux, toujours en activité. L’argile fraîche est recueillie dans les rizières. Elle donne en s’oxydant à la cuisson une couleur rougeâtre irrégulière. Les cendres du pin dans les fours à bois à 1250° forment en retombant une sorte d’émail et de la paille, en brûlant, laisse des stries rouge vif. La visite de Imbe, village très actif de potiers, a permis de voir un four récemment ouvert.
Sur cette terre qui borde la mer du Japon, la région d’Izumo a toujours été considérée comme le lieu des origines nippones. Le Musée de l’Izumo à Shimane rend compte des rites et croyances de ces périodes reculées : Yayoi (500 av. J.C.-250 apr. J.C.), les épées de Kofun (250-600 apr. J.C.) , Nara ( 710-794). Le grand sanctuaire d’Izumo- Taisha est le plus vieux sanctuaire shinto et le plus haut. Il est dédié à la divinité du mariage. Il est annoncé par des torii monumentaux, portiques caractéristiques. Au-dessus du parvis est suspendu un énorme shimenawa (corde en paille de riz qui signale les lieux sacrés).
Le donjon de Matsue est l’un des douze encore préservés de ce type, de la période d’Edo. Avec des toits multiples aux angles retroussés, acrotères et deux animaux marins fantastiques dressés sur son faîtage, il a été construit en 1611. Faisant partie d’un système de défense et de refuge, ses gros piliers intérieurs, sur deux étages, font porter tout le poids des parties supérieures sur les inférieures.
A Matsue, l’écrivain Lafcadio Hearn (1850-1904) a vécu dans une maison traditionnelle. Il collecta légendes et mythes du Japon, à la façon d’un ethnologue, le premier pour le Japon.
Le collectionneur Adachi Zenko conçut pour son musée privé d’extraordinaires jardins. Le peintre Yokoyama Taikan (1868-1958) est le plus représenté et le plus remarquable. Une de ses œuvres est entrée dans les collections du Musée Cernuschi grâce à la Société des Amis.
Passant à l’Ouest, sans s’attarder à Tokyo, le parcours s’acheva sur deux sites spectaculaires.
Nikkō est un syncrétisme entre Shintoïsme et Bouddhisme. Loin du zen et du dépouillement, y règnent l’extravagance, la prolifération des motifs et des couleurs, l’horreur du vide et la profusion de l’or.
Le sanctuaire Tōshō-gū, (1630) mausolée à Ieyasu, premier shogun Tokugawa, est précédé de deux portails. Quelques 200 marches de pierre mènent à son tombeau. Après une pagode de cinq étages très ornée, les écuries (shinyosha) offrent la fameuse frise aux trois singes, qui se bouchent la vue, l’ouïe et la bouche. Le mausolée Taiyuin d’Iemitsu, petit-fils d’Ieyasu, n’est pas moins surchargé. L’intérieur est rempli de statues couvertes d’or et le plafond peint est de l’école Kano.
Kamakura fait face au Pacifique. D’innombrables sanctuaires font voisiner Shintoïsme et Bouddhisme.
Le Tsurugaoka Hachiman-gū est dédié à Hachiman, le dieu de la guerre. Souvenir de la lutte sans merci entre les Minamoto (clan Genji ) et les Taira (clan Heike). Minamoto Yoritomo l’emporta. Son épouse fit creuser un étang encerclant des îles en forme de signes: à droite, côté Genji, ils signifient la naissance (victoire) , à gauche, côté Heike, la mort. La victoire du clan sera ainsi rappelée à jamais.
Le Grand Bouddha Amitābha, bouddha de la compassion, statue en bronze de 11 mètres de haut, abritée autrefois dans le Hall Daibatsu-Den, a seul résisté à un tsunami en 1453 puis au tremblement de terre de 1923.
Le temple zen Engaku-ji a été fondé en 1282 pour honorer les âmes des soldats morts pendant la tentative d’invasion mongole (1274-1281). Une cloche (ōgane) de 2,5 m de haut est suspendue à l’entrée. D’après la légende, ses vibrations permettaient aux âmes égarées par le roi des Enfers de retrouver le chemin des vivants.
Le dernier dîner eut lieu dans une brasserie traditionnelle de Tokyo. Mme Shimizu a eu à cœur de choisir avec soin, partout, restaurants et menus dans un pays où la nourriture fait partie de la culture avec sa dimension esthétique et symbolique, nous expliquant les mets et la qualité des récipients, artisanaux et ravissants. Les commentaires et exposés en tous domaines de Christine Shimizu, riches, exceptionnellement clairs pour une histoire des religions et des arts aussi variée que compliquée, furent un apport passionnant, pour un voyage qui alliait passé et modernité, dans la chaleureuse et amicale atmosphère des participants.