Peinture et céramique en dialogue

Visite de l’exposition commentée par Mael Bellec, Conservateur en chef au musée Cernuschi.

En 2018, Harley Hall Preston (1940-2015), historien de l’art, a légué près de deux cents objets au musée Cernuschi. Grand collectionneur, il avait constitué, entre autres, une collection d’art asiatique consacrée à la céramique chinoise  Song (960-1279), à la céramique japonaise du mouvement Mingei ainsi qu’à la peinture chinoise du 20ème siècle. D’autres acquisitions complètent cet important don comme les estampes Shinhanga du legs Paul Tavernier ou la série de peintures des douze mois de Watanabe Seitei (1851-1918).

La céramique chinoise des Song est représentée par des grès à couverte céladon au décor floral moulé, des porcelaines qingbai «blanc-bleuté» provenant du Nord de la Chine à décor incisé,  des grès à couverte noire animée de stries ou de trainées de couleur rouille, des grès à couverte blanche et décor d’engobe brun ou d’émaux de couleur provenant des fours du groupe de Cizhou, en Chine du nord. Les décor peints comme les motifs incisés, souvent floraux ou végétaux, sont traités avec maestria et une grande liberté.

Plat. Fours de Yaozhou.(Shaanxi). Song du Nord (960-1127). Grès revêtu d’une couverte céladon.

Grand bol. Fours du groupe Cizhou. Song du Nord (960-1127) ou Jin (1115-1234). Grès recouvert d’engobe blanc sous couverte, décor par sgrafitte.

Bol à thé. Song (960-1227). 12ème-13ème s. Grès revêtu d’une couverte tuhao (fourrure de lièvre.

L’ensemble de peintures chinoises est consacré à deux genres, le paysage et fleurs et oiseaux. Les œuvres ont été réalisées, pour la plupart, entre 1900 et 1950. Bambous de Wang Yachen (1893-1983), actif sous la période républicaine, puis émigré aux Etats-Unis, témoignent de la manière dont il a su, tout en restant imprégné de la culture du lettré, moderniser le vocabulaire classique.

Bambous. Wang Yachen. 1964. Encre sur papier.

Paysage. Xie Zhiguang. 1970. Encre et couleurs sur papier.

Moineau. Qin Tianzhu (né en 1952). 1989. Encre et couleurs sur papier.

Grue et paysage. Mi Xiubin (né en 1946). 1995. Encre et coiuleurs sur papier.

Xie Zhiguang (1900-1976) a eu un parcours atypique et son œuvre présente deux facettes: le genre de la peinture classique revisitée par les maîtres de l’école de Shanghai mais aussi un grand nombre de publicités, d’illustrations pour des calendriers et des couvertures de magazine, tout à fait caractéristiques de la culture urbaine chinoise de l’entre-deux guerres. D’autres artistes, plus jeunes, s’efforcent aussi de renouveler aussi bien le genre paysage que celui des fleurs et oiseaux. Un usage généreux des lavis et une palette élargie constituent quelques-uns des signes de ce nouvel âge de la peinture à l’encre.

Bouteille. Hamada Shoji. Mashiko. Ère Shōwa (1926-1989). Grès revêtu d’une couverte gris-bleu, coulures noires.

Bouteille. Shimaoka Tatsuzō. Mashiko. Ère Heisei (1989-2019). Grès revêtu d’une couverte cinabre, décor en rouge, jaune et vert.

Watanabe Seitei. Les douze mois: onzième mois. Entre 1900 et 1918. Encre et couleurs sur soie.

Ohara Koson. Aigrette sous la pluie. 1928. Xylogravure polychrome.

La céramique japonaise issue du mouvement Mingei (Mingei undō) fondé par le philosophe, écrivain et collectionneur Yanagi Sōetsu (1889-1961) a redonné un nouvel essor à l’artisanat japonais au début du 20ème siècle. Le terme Mingei (de minshu, «peuple», et kogei, «artisanat»), forgé par Yanagi et les potiers Kawai Kanjiro (1890-1966) et Hamada Shoji (1894-1978), est à l’origine de ce mouvement qui a mis à l’honneur la beauté des objets modestes et solides du quotidien. Hamada Shōji (1894-1978) et son élève Shimaoka Tatsuzō (1919-2007) comptent parmi les représentants majeurs du mouvement et furent élevés au rang de «Trésor national vivant». Le style puissant de Hamada se remarque dans une bouteille de forme géométrique au décor appliqué à l’aide d’un large pinceau. Il crée ainsi des objets d’usage quotidien d’une élégance simple et naturelle, cultivant l’irrégulier et l’imperfection. Shimoaka, quant à lui, recherche plus la finesse et la grâce à partir de l’héritage de son maître.

En dialogue avec la céramique du legs Preston, le musée propose des peintures et des estampes japonaises de la fin du 19ème s. et du début du 20ème s. La série des douze mois de Watanabe Seitei (1851-1918) est caractéristique du mouvement Nihonga (peinture japonaise). Consacrée au paysage au fil des saisons elle constitue un exemple emblématique du talent de cet artiste, en particulier son sens aigu de l’observation, de sa sensibilité et de sa maîtrise technique.

Le mouvement Shinhanga (nouvelle estampe) est l’un des deux courants majeurs du renouveau de l’art de la gravure japonaise. Ohara Koson (1877-1945) est l’un des dessinateurs de kachō-e (images de fleurs et d’oiseaux) les plus prolifiques du 20ème siècle. Son Aigrette sous la pluie compte parmi ses images les plus abouties, l’oiseau blanc se détache sur un fond noir profond et les plumes sont rendues suivant le procédé du gaufrage (karazuri). Watanabe Seitei a aussi produit des estampes qui restent fidèles au style précis et minutieux de cet artiste.

Pour conclure cette exposition, Air (Gen-bin) de Kugimachi Akira (né en 1968) reprend le thème du paysage dans un style très contemporain, presque abstrait. L’artiste a dessiné ce paysage de falaises rocheuses couvertes de neige sur une couche d’encre de chine à l’aide de pigments minéraux et, en particulier, de gofun obtenu par le broyage de coquilles d’huîtres.

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