Les reproductions de l’art funéraire de Koguryŏ. Contexte et évolution, typologie, diffusion

Conférence par Nae-Young Ryu, Docteur en histoire de l’art.

Dans l’ancien royaume coréen de Koguryŏ (37 av.J.C.-668 apr.J.C.), de somptueuses peintures funéraires ont été réalisées du 4ème au 7ème siècle, témoignant d’une civilisation développée. Elles se trouvent aujourd’hui en Chine, dans l’aire de Jí’ān, et en Corée du Nord, dans celle de P’yŏngyang. Depuis la chute du royaume au 7ème siècle et jusqu’à tout récemment, ces peintures murales funéraires situées à l’intérieur des tumulus ont été invisibles. Ce n’est qu’à l’époque moderne que les tombes ont été fouillées et que des reproductions ont commencé à être réalisées.

La conférence vise à retracer brièvement l’histoire, déjà plus que centenaire, des très nombreuses reproductions des peintures funéraires de Koguryŏ, essentiellement japonaises, nord-coréennes et sud-coréennes, lesquelles ont été déclinées sur de multiples supports, soit sous forme de photographies en noir et blanc sur plaques de verre, de copies peintes grandeur nature ou réduites, soit images de synthèse manuellement et numériquement restaurées.

Situé au nord de la péninsule, le royaume de Koguryŏ est le plus étendu de la période des trois royaumes avec Paekche  et Silla. Ce royaume a connu plusieurs capitales et les châteaux étaient construits en terre ou en pierre. C’est le cas de Kungnæsŏng, de Hwando actuellement dans la province de Jilin en Chine,  ainsi que Nangnang, située près de P’yŏngyang, en Corée du Nord. De très nombreuses tombes sous tumulus ont été découvertes près de Ji’Ān en Chine de même que dans la région de P’yŏngyang. L’aire de Ji’Ān  comprend une dizaine d’ensemble de tombes qui sont les plus anciennes, correspondant aux premières capitales. Parmi ces milliers de tombes, seulement trois sont ornées de peintures. Pendant plus d’un millénaire, la région sera intégrée à différents états et le royaume tombera dans l’oubli jusqu’en 1876 où un fonctionnaire de la dynastie Qing découvre la stèle de Kwanggaet’o, érigée en 414, en l’honneur du roi Kwanggaet’o dans l’aire de Ji’Ān. Le fonctionnaire est le premier à réaliser un estampage de l’inscription qui occupe les quatre côtés de la stèle.

Le royaume du Koguryŏ. © Ryu Nae-young.

Stèle de Kwanggaet’o. 1907. Photographie Édouard Chavannes.

Estampage des quatre faces de la stèle de Kwanggaet’o.

Le premier à en avoir pris des photographies et les avoir publiées est le sinologue français Édouard Chavannes (1865-1918), suite à son voyage en Chine de 1907. Un estampage fut ramené en France et se trouve à la Société Asiatique. Il réalisera aussi des photos de la tombe dite «des lotus épars».

Durant la période d’occupation de la Corée par le Japon (1912-1945), des fouilles archéologiques vont être entreprises par des équipes scientifiques. Ces recherches seront, de 1916 jusqu’à 1930, sous le contrôle direct du gouvernement colonial et elles travailleront aussi bien dans l’aire de  Ji Ān que dans celle de P’yŏngyang.

En 1911 et 1912, on fouille pour la première fois les  trois tumulus de Kangsŏ, dans l’aire de P’yŏngyang. Contrairement aux tombes  de l’aire de Ji Ān qui sont en pierre, en forme de pyramide tronquée, celles-ci ont une structure de pierre recouverte de terre. L’équipe est composée d’un architecte dont le rôle est de relever et de dessiner, d’un photographe et de deux artistes chargés de faire des copies peintes des décors muraux. Le décor raffiné et impressionnant de ces trois tombes explique la préférence des Japonais. En résultera plusieurs dizaines de photos en noir et blanc sur plaque de verre et une série de copies peintes. Les peintures représentent notamment les quatre animaux des points cardinaux. Ces tombes sont particulièrement connues pour les représentations d’un dragon azur et d’une tortue noire dans la grande tombe et d’un tigre blanc et d’un phénix rouge dans la tombe moyenne. Les fresques sont particulièrement colorées et montrent la vie aristocratique de Koguryŏ en détail, avec la danse, la lutte et la chasse.

Exemple du travail de relevé combiné à une photographie en noir et blanc et des indications de couleurs. 1915. ©Fondation de l’histoire de l’Asie du Nord-Est, Séoul. ©Musée national de Corée, Séoul.

Relevé sur plusieurs calques du Dragon azur de la grande tombe de Kangsŏ. 1913-14. ©Musée national de Corée, Séoul.

Des photographies en noir et blanc sur plaques de verre montrent l’état de bonne conservation de ces peintures. Des calques de grandes dimensions témoignent du travail de relevés fait par les artistes qui réaliseront une copie peinte à l’échelle (3 m x 2 m). Contrairement aux peintures de ces tombes exécutées sur pierre, celles appliquées sur une couche de chaux se sont mal conservées, comme c’est le cas dans la tombe «des divinités des quatre points cardinaux» de Maesan-ri. Des photographies sur plaques de verre montrent l’état de dégradation de ce décor peint. Des copies peintes reproduisent aussi cet état. Les copies peintes permettent de restituer non seulement les couleurs mais aussi le volume en le dépliant comme on peut le voir avec une photographie en noir et blanc et la restitution peinte de la niche orientale de la tombe «des niches et des portraits» de Namp’o.

Photographie sur plaque de verre de la niche orientale de la tombe «des niches et des portraits». Namp’o. 1914. ©Musée national de Corée, Séoul.

Copie peinte de la niche orientale de la tombe «des niches et des portraits». Namp’o. L’artiste a reproduit en déroulé toutes les peintures de la niche. 1914. ©Musée national de Corée, Séoul.

En 1915, les travaux sont publiés dans «L’album de planches sur les antiquités de Corée» en deux volumes, par le gouvernement général de Corée. Les deux publications seront récompensées par le prix de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres. Le premier volume qui traite de l’aire de Ji Ān ne reproduit que peu de peintures mais présente des photographies des tombes et des relevés architecturaux. Le second volume, consacré à l’aire de P’yŏngyang, présente de nombreuses reproductions des peintures murales, en photographies ou peintes. Les doubles pages montrent la même peinture photographiée et reproduite en couleur par l’artiste. En plus de ces reproductions, l’ouvrage présente de nombreux croquis ou dessins coloriés qui permettent de mieux comprendre les scènes représentées.

En 1913, les copies peintes à l’échelle seront exposées à l’occasion de la remise des diplômes, cérémonie à laquelle assiste l’empereur.

Entre 1930 et 1942, les reproductions des tombes du Koguryŏ se développent de manière étonnante. De meilleures conditions de prises de vue et un matériel plus sophistiqué permettent d’obtenir des photographies de qualité et plus lisibles. Les compositions se font aussi plus savantes et, dans certains cas, une même image est prise par moitié pour plus de détails. La découverte de nouvelles tombes permet une meilleure appréhension de l’art funéraire du Koguryŏ. La tombe N° 1 de Nae-ri, dans l’aire de P’yŏngyang, présente un riche décor d’arabesques de chèvrefeuille, de fleurs de lotus, de paysages. Les copies peintes se succèdent mais, réalisées à partir des photographies, elles sont plus fidèles aux couleurs mais offrent moins de détails que celles faites à partir des calques.

Scène de chasse de la tombe «de la scène de danse». Photographie sur plaque de verre. 1935-36. © Institut national de recherche sur le patrimoine culturel, Taejon.

Scène de chasse de la tombe «de la scène de danse». Détail. Photographie en couleur. 1937. © Institut national de recherche sur le patrimoine culturel, Taejon.

Les photographies en noir et blanc resteront utilisées pour la reproduction malgré l’apparition des photographies en couleur. La scène de chasse de la tombe «de la scène de danse», découverte en 1935 dans l’aire de Ji Ān en est un bon exemple: la photo sur plaque de verre en noir et blanc représente l’intégralité de la paroi ouest de la tombe alors que la photographie en couleur n’en montre qu’un détail.

En 1937, un nouveau procédé de photographie en couleur en usage au Japon va être expérimenté en Corée. Pour cela, on a recours à de très grandes plaques de verre qui seront utilisées pour la reproduction sur papier ou sur soie en taille réelle. Un catalogue avec reproductions est publié en 1937 pour l’exposition de la remise annuelle des diplômes de fin d’études. Il comprend aussi bien des photographies en noir et blanc que des copies peintes. Les tombes du Koguryŏ commencent aussi à avoir une fonction touristique et une série de six cartes postales en couleurs est éditée en 1936.

Après la seconde guerre mondiale et la division du pays, la Corée du Nord entreprend des études et des travaux en relation avec les tombes du Koguryŏ. En 1949, de nouvelles tombes importantes sont découvertes et étudiées, en particulier, au sud de la capitale, dans l’aire d’Anak.

Portrait du maître de la tombe N°3 d’Anak. Copie peinte. 1970-80. © Institut national de recherche sur le patrimoine culturel, Taejon.

Portrait de l’épouse du maître de la tombe N°3 d’Anak. Copie peinte. 1970-80. © Institut national de recherche sur le patrimoine culturel, Taejon.

À partir de 1952, des copies peintes de la tombe N° 3, la plus spectaculaire, seront réalisées sur plusieurs années par des artistes nord-coréens mais aussi par des artistes de Corée du Sud. En 1957, cette tombe va faire l’objet de consolidations et d’une recherche scientifique. La tombe est alors entièrement photographiée, y compris les chapiteaux autour de la chambre funéraire qui sont ornés de têtes peintes d’inspiration chamanique. Des scènes de la vie quotidienne y sont nombreuses et des représentations du maître de la tombe et de son épouse, assis chacun sous un dais, sont devenus célèbres. En 1957, la Corée du Nord accepte la visite d’une délégation française et Chris Marker publiera un ouvrage Coréennes en 1959 avec des photos en noir et blanc. Il fera aussi des photos en couleurs des peintures murales.

À partir de 1959 et jusqu’à aujourd’hui, de nombreuses copies vont être réalisées par des artistes nord-coréens. De nouvelles tombes sont découvertes en 1973 et des artistes font partie des équipes scientifiques. Cependant, le plus souvent, les peintres ne se déplacent pas et travaillent à partir de photographies. Les artistes réalisent des copies à l’échelle sur de grandes feuilles de papier. Ces copies peintes sont utilisées pour représenter le pays à l’étranger et elles pouvaient être offertes à des pays amis comme cadeaux diplomatiques. Les peintures nord-coréennes sont plus idéalisées que celles produites par les Japonais qui sont plus sombres et plus réalistes.

Tortue noire et serpent entrelacés de la grande tombe de Kangsŏ. Photographie sur plaque de verre. 1914. ©Musée national de Corée, Séoul.

Tortue noire et serpent entrelacés de la grande tombe de Kangsŏ. Copie peinte. 1970-80 © Institut national de recherche sur le patrimoine culturel, Taejon.

Plusieurs ouvrages seront publiés sur les peintures murales du Koguryŏ avec des reproductions en couleurs comme Murals of Koguryo Tumulus publié au japon en 1985 ou The Illustrated Book of Ruins and Relics of Korea publié à P’yŏngyang en 1990. Ils comprennent aussi des relevés dessinés à l’encre pour une meilleure compréhension des scènes. D’autres publications seront éditées en Coréen, en Chinois et en Anglais, souvent avec une riche iconographie.

Couverture et double page de «Murals of Koguryo Tumulus»1985. © Ryu Nae-young. Couverture et double page de «The Illustrated Book of Ruins and Relics of Korea». 1990. © Ryu Nae-young.

 

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