Ors et Trésors : 3000 ans d’ornements chinois
Visite de l’exposition à l’École des Arts Joailliers avec le commentaire de Valentina Bruccoleri, co-commissaire de l’exposition.
Issus de la collection Mengdiexuan (l’atelier du rêve du papillon, en référence au passage du Zhuangsi où le philososphe ne sait plus s’il a rêvé d’être un papillon ou un papillon qui rêve d’être homme)), les ornements présentés lors de cette exposition témoignent de plus de 3 000 ans de l’histoire de la Chine. La collection Mengdiexuan a été rassemblée par Betty Lo et Kenneth Chu depuis plus de trente ans. Ils ont, d’autre part, fait don de 946 objets au Hong Kong Palace Museum.
Valentina Bruccoleri commence par une initiation à ce qu’est l’or. Métal précieux convoité par les hommes depuis la nuit des temps, il se trouve à l’état naturel sous deux formes: pépites ou dendrites dans des gisements aurifères et or des rivières, qui correspond à des poussières, granules ou pépites charriés par l’eau provenant des montagnes. L’or a été travaillé très tôt par l’homme pour sa malléabilité, sa ductilité et le fait qu’il ne s’oxydait pas d’où son rapport à l’éternité. Dans la première vitrine on peut voir un solidus de Valentinien 1er (364-375) pour expliquer que la dénomination de 24 carats pour l’or pur, provient du fait que cette monnaie de référence pesait 24 graines de caroubier.
En Chine du Nord, le jade était considéré comme le plus précieux et l’or a été peu utilisé avant la dynastie des Han (206 av.J.C.-220 apr. J.C.). Une paire de boucles d’oreilles en or et turquoise de l’époque Shang (env. 1500-1046 av. J.C.) se distingue par sa rareté et sa remarquable modernité.
Si les vitrines ne sont pas organisées par ordre chronologique, elles le sont par thème où sont présentés des objets de différentes époques.
Nous commençons par les objets de bon augure qui sont nombreux dans le répertoire chinois. La double gourde, associée aux Immortels, en particulier à Li Tieguai, est un symbole de la longévité et du pouvoir du soin contre la maladie. Des boucles d’oreilles adoptent cette forme, protégeant les détentrices d’un tel bijou. Les Huit Symboles Bouddhiques (roue, nœud éternel, couple de poisson, conque, parasol, urne aux trésors, bannière de la victoire et fleur de lotus) ornent un collier en forme de torque de la dynastie Yuan (1271-1368). La lanterne, autre symbole de bon augure, se retrouve aussi sous la forme de boucles d’oreilles de l’époque Ming (1368-1644). À noter, ces boucles comportant des parties mobiles, devaient bruisser lorsqu’on bougeait la tête.
Les figures humaines sont relativement rares sur les ornements chinois mais la représentation d’enfants et de divinités peut se rencontrer. Un ornement de coiffure présente une scène tirée d’un opéra traditionnel, «Les quatre cavaliers se rendent au Tang». Appelé manguan, cet ornement était porté à l’arrière de la coiffure, au-dessus de la nuque. Une paire de boucles d’oreilles est ornée de divinités féminines ou d’apsaras ?
Insectes et oiseaux font partie du répertoire décoratif chinois et se retrouvent sur les ornements. Un bijou, de l’époque Ming, en forme de cigale, associe l’or et un verre teinté imitant la tourmaline. Une épingle à cheveux, de la même époque, épouse la forme d’une libellule faite d’or et de corail ; sa monture métallique comporte des ressorts qui permettaient à l’insecte de bouger lorsque la dame se déplaçait. Les oiseaux revêtent une importante fonction symbolique à partir de la dynastie Song du Nord (960-1127) et, à partir de la dynastie Ming, figurent sur les vêtements pour indiquer le rang des officiers civils. Un ornement pour vêtement, travaillé au repoussé, figure deux faisans au milieu de pivoines. Un ensemble fait de deux plaques, aussi travaillées au repoussé, présente deux oiseaux affrontés sur un fond de rinceaux végétaux. Il provient du royaume Tubo (7ème-9ème s.) au Tibet.
Les fleurs et le monde végétal occupent deux vitrines. Les fleurs plus ou moins stylisées sont aussi porteuses de messages: la pivoine représente le rang et la richesse, le lotus, qui appartient au répertoire bouddhique, transmet la pureté et l’harmonie, la fleur de prunus, symbole de beauté et du caractère éphémère de la vie, le chrysanthème associé au lettré et à l’accomplissement intellectuel. De plus, quatre fleurs sont associées aux saisons: la pivoine pour le printemps, le lotus pour l’été, le chrysanthème pour l’automne et le prunus pour l’hiver. Épingles à cheveux et boucles d’oreilles sont ornées de différentes fleurs plus ou moins réalistes. Deux bagues de l’époque des Liao (907-1125) sont ornées d’un bouquet de différentes fleurs. Une paire de boucles d’oreilles, de la dynastie Song (960-1279), figurent chacune une délicate fleur de prunus.
Les animaux réels ou mythiques font aussi partie de l’ornementation. Les boucles de ceinture sont souvent ornées d’animaux fantastiques avec le «crochet» en forme de tête de félin ou de bélier. La plupart de celles exposées datent de la période des Royaumes Combattants (475-221 av. J.C.) et sont en bronze doré à la feuille. Un remarquable tigre, de la même époque, réalisé dans une feuille d’or martelé devait orné un vêtement. Deux plaques ornementales, datant des Han de l’Ouest (206-an 8 av. J.C.), sont influencées par l’art des steppes. L’une figure un rapace faisant face à deux personnages à tête zoomorphe assis sous un arbre, l’autre, deux cerfs stylisés. Un ornement de vêtement, à décor de deux lions des neiges (gong seng ge), est exécuté en feuille d’or repoussée et provient du royaume Tubo (7ème-9ème s.), au Tibet.
Les deux vitrines centrales sont consacrées à deux animaux mythiques extrêmement présents dans l’art chinois. Le dragon au corps sinueux couvert d’écailles, à la gueule ouverte, portant des cornes associées aux flammes, aux nuages ou aux vagues, est le plus connu. Il symbolise le pouvoir et est réservé à l’empereur (ou à la famille impériale) s’il a cinq griffes. Mais il y d’autres formes de dragons comme le dragon chi, sans corne, plus petit, et le makara, dont la partie inférieure évoque un poisson, tandis que la partie supérieure emprunte au crocodile et à l’éléphant. Ce dernier fait partie du répertoire indien et fut introduit en Chine avec le bouddhisme. Une remarquable boucle d’oreille de la dynastie Liao (907-1125) est ornée d’un makara. Il n’est pas rare de voir deux dragons affrontés poursuivant la perle flammée comme sur un ornement de vêtement de la fin des Song ou du début des Ming.
Le phénix (fenghuang), plutôt associé à la féminité est, en principe, réservé à l’impératrice, aux princesses ou aux concubines. Il est composé d’éléments provenant de plusieurs oiseaux: la tête d’un faisan d’or, le corps d’un canard mandarin, la queue d’un paon, les pattes d’une grue, le bec d’un perroquet et les ailes d’une hirondelle. Si le phénix est plutôt associé à la féminité et le dragon à la masculinité ; toutefois, on peut rencontrer les deux symboles associés sur le même ornement soit pour homme, soit pour femme. Un portrait de l’impératrice Renxiaowen (1362-1407) de la dynastie Ming dépeint une coiffure où deux phénix encadrent un dragon ou, sur celui de l’impératrice Xiao Zhuang Rui ( ?-1468), deux dragons affrontés encadrant un troisième dragon. Une épingle à cheveux, d’une grande finesse, montre un phénix fait de deux feuilles d’or repoussées et soudées. Un ornement de coiffure de la dynastie Song (960-1279), décoré de trois papillons, est surmonté de quatre phénix.
L’avant-dernière vitrine expose des ornements de coiffure. Des épingles ornées de personnages bouddhiques, un ravissant peigne, de la période des Six Dynasties (220-589), qui allie or, jade néphrite, perles et gemme verte.
Des ornements de coiffure (bianfang), typiques de l’époque Qing (1644-1911) et d’origine manchoue, qui étaient portés horizontalement en travers du chignon sont ornés de motifs floraux et végétaux et l’un d’eux illustre «les trois amis de l’hiver» (bambou, pin et prunus). La particularité de ces ornements est l’inclusion de plumes de martin-pêcheur évoquant les émaux cloisonnés.
La ceinture telle que nous la connaissons est apparue en Chine, sous l’impulsion des populations nomades et l’arrivée au pouvoir de certaines d’entre elles. Pour ces cavaliers, la ceinture permettait non seulement de maintenir le vêtement mais aussi d’y attacher divers objets comme épées, poignards et nécessaires. Un ensemble de plaques en argent doré, provenant d’une ceinture de l’époque Tang (618-907) ou Liao (907-1125), montre un lettré jouant de la cithare, accompagné d’un oiseau sur un fond de rinceaux floraux. La plaque centrale représente le lettré en face d’un autre personnage assis.
Cette exposition décrit, non seulement l’usage de l’or en Chine au cours des siècles, mais aussi toutes les différentes techniques liées à son utilisation: martelé, repoussé, ciselé, gravé, fondu et moulé, incrusté, serti, sous forme de filigrane ou sous forme de granulation…