Les trois Corées

Conférence par Patrick Maurus, professeur émérite de langue et littérature coréenne à l’INALCO.

Patrick Maurus commence son exposé par une annonce de dernière minute tout à fait inattendue: la Corée du Nord (RPDC) et la Corée du Sud (RDC) ont présenté une candidature commune pour les Jeux olympiques de 2032.

Ceci souligne que les relations entre les deux pays sont en voie de normalisation depuis la signature d’un accord de non-agression, le 27 avril 2018. Depuis un an et en toute discrétion, les deux Corées  seraient entrées dans une phase de négociations et de prises de décisions qui modifient la politique de Kim Il-sung (1912-1994) et  la relation Corée du Sud-États-Unis,  celle-ci secouant le joug du grand frère protecteur. Les deux pays paraissent désormais capables de surmonter  de multiples contradictions et de travailler ensemble. Les présidents, Kim Jong-un (né en 1984) et Moon Jae-in (né en 1953) sont jeunes et ont le temps devant eux pour réaliser leurs projets. Il faut aussi prendre en compte que le puissant patronat Sud-coréen favorise les échanges commerciaux avec la RPDC. Les zones économiques spéciales sont en plein développement et sont en train de se remplir d’entreprises chinoises, russes et de nombreux  pays de l’Asie-Pacifique.

Depuis la partition en 1953, la Corée du Nord appartenait au monde socialiste soviétique même si elle était gouvernée pour les marxistes ou les socialistes d’une façon peu orthodoxe . Que s’est-il passé depuis trente ans en RPDC qui explique ce développement des rapports avec la Corée du Sud et la croissance extraordinaire que connaît la Corée chinoise dans un silence assourdissant de la part des grandes puissances ?

La Corée du Nord, jusqu’en 1975, était nettement plus riche que la Corée du Sud mais l’usure du pouvoir a entraîné des décisions catastrophiques. En conséquence, les pays socialistes (URSS, Allemagne de l’Est, Chine) qui avaient aidé à sa reconstruction, trouvant que cela devenait un puits sans fond, ont décidé de diminuer ou d’arrêter leur soutien. Le pays en a profité pour prendre une certaine indépendance politique mais s’est enfoncé dans un marasme économique. Au moment où le monde entier, ou presque, fête la chute du Mur de Berlin en 1989, Kim Il-sung organise le Festival mondial des étudiants et de la jeunesse qui va faire venir pour la dernière fois tous les étudiants et la jeunesse des pays socialistes, mais définitivement ruiner le pays. De 1990 à 2005, la RPDC a connu la famine, appelée «la dure marche», amplifiée par des années de sécheresse ou de pluies diluviennes. Kim Jonj-il (1941-2011), fils de Kim Il-sung, hérite de ce désastre en 1994. Détesté par le monde entier, il fut plutôt apprécié dans son pays car il commença à faire des réformes importantes et structurées. Kim Jong-un poursuit les réformes de son père mais sans rien changer officiellement. Les grands ministères inutiles, à la bureaucratie pléthorique, sont maintenus mais le président crée des petites entités qui font, dans l’ombre, le travail des premiers: l’agriculture est gérée par le Bureau pour la préservation des Eaux et Forêts (64 personnes). Les grands kolkhozes (2000 à 5000 personnes) ont disparu pour être remplacés par des petites structures ou groupes de villages (300-350 personnes) et ces villages sont divisés en équipes de quatre ou cinq personnes. Les tâches sont programmées pour chaque jour et la productivité a grimpé de façon extraordinaire. Il faut se souvenir que la mécanisation est encore balbutiante et que tout le travail est manuel. Pour Kim Jong-un, son grand-père a créé le pays, son père a mis fin à la famine mais lui veut transformer le pays totalement. Il semble qu’il y ait aujourd’hui des entreprises privatisées ; le commerce entre la Chine et la RPDC est intense ; de même, les Coréens du Nord passent en Russie sans visa ni passeport. L’aménagement de sites balnéaires sur la côte Est fait partie des grands chantiers pour attirer les vacanciers chinois ou russes. Alors que l’électricité n’est pas encore accessible partout, un grand nombre de Nord-coréens possède un téléphone portable en provenance de Chine. La Corée du Nord fait preuve d’une patience extraordinaire dans les négociations internationales car sa situation géographique et géologique lui donne d’innombrables avantages: plages immenses que ne possèdent ni la Chine du Nord-est, ni l’Extrême-Orient russe ; un sous-sol qui regorge de métaux rares dont l’industrie aura de plus en plus besoin. Comme Kim Jong-un a le temps comme allié, il ne brusque pas vraiment les choses.

Il est intéressant de noter que les relations commerciales entre la RPDC, la Russie et la Chine sont florissantes, ces deux pays ayant voté les sanctions à l’O.N.U. ! Des relations maritimes assez nombreuses existent entre la Corée du Nord et Vladivostok. En 2014, la Douma russe a voté l’annulation de 90% des onze milliards de la dette de la RPDC. Il y a un projet de prolongation du transsibérien jusque dans la péninsule coréenne. Cela intéresse aussi la Corée du Sud car cela lui permettrait de ne plus être isolée et de pouvoir recevoir le charbon russe directement. Un autre projet pourrait voir le jour, la création d’un gazoduc géant qui traverserait la Corée du Nord pour alimenter celle du Sud.

Durant la famine des années 1990, seuls les cadres de l’armée et de l’État étaient favorisés mais les gardes postés à la frontière sino-coréenne ont laissé passer des foules, aussi affamées qu’eux, qui allaient faire du troc. La partie Est du pays a été abandonnée et le grand perdant de cette situation a été le Parti des travailleurs. Des fermes se sont constituées avec un programme de communautarisme et l’agriculture est repartie sans tracteurs, sans engrais et avec un besoin colossal de graines qui a engendré un trafic avec la Chine. Les grandes structures administratives et populaires ont disparu à cette occasion. Pour le trentième congrès du Parti, tous les médias les plus anti-Corée du Nord ont été invités et ont continué de dire que le pays était toujours gouverné par celui-ci. Hors, à la suite de l’intervention de Kim Jong-un, le Parti des travailleurs est devenu le Parti du Leader. La RPDC est donc gouvernée aujourd’hui par le Parti, l’Armée et un Conseil des ministres. Ce dernier, composé d’une trentaine de personnes indépendantes des grandes structures, prend toutes les décisions économiques nouvelles et fait réellement fonctionner le pays. Le système éducatif encourage les carrières scientifiques pour développer le pays avec la récompense d’un niveau de vie très élevé pour les scientifiques. Il existe maintenant une classe citadine (moyenne) face aux paysans et les pauvres des grandes villes ont plus de moyens que les riches de la campagne. L’armée qui est un état dans l’État, a son propre système économique, ses universités, etc.

Ji’an, ville de la province du Jilin en Chine est reliée par un pont ferroviaire à Manpho en Corée du Nord. Ancienne capitale du royaume de Goguryeo (37 av. J.C.- 668), elle abrite des forteresses et de nombreux tombeaux classés au patrimoine mondial de l’UNESCO. Mais la région vit aussi au rythme de la création des nombreuses usines et commerces divers. La Corée du Nord fait pour la Chine ce que celle-ci a fait autrefois pour la Corée du Sud et le Japon : de la sous-traitance. La Chine utilise la Corée chinoise comme fer de lance pour s’occuper des deux Corées mais ne laissera jamais les trois pays se réunifier.

La Corée du Nord s’ouvre au développement. Elle est devenue le pays le plus écologique de la planète pour des raisons évidentes de retard technologique. La menace nucléaire est essentiellement utilisée pour négocier et la RPDC, qui ne veut pas qu’on lui dise ce qu‘elle doit faire, maintient des relations suivies avec la Corée du Sud, sous le nez des USA. L’évolution politique de la RPDC porte à croire que Kim Jong-un est enfin en mesure d’imposer sa ligne politique même aux irréformables bureaucrates. On n’applique pas de nouvelles règles aux situations anciennes, on les applique seulement à des situations nouvelles, ce qui donne l’impression de ne pas remettre en cause l’ancien système auquel les bureaucrates doivent tout.

L’évolution de la Corée du Sud et de la Corée chinoise  déterminera celle de la RPDC et pour Patrick Maurus,   c’est l’autonomisation institutionnelle et politique de ces trois entités qui  facilitera leur convergence économique et culturelle.

0

Saisir un texte et appuyer sur Entrée pour rechercher