Cinquante ans de relations franco-chinoises

Mercredi 20 mars 2019: Cinquante ans de relations franco-chinoises, conférence par son Excellence Claude Martin, Ambassadeur de France.

Auteur d’un volumineux ouvrage,  «la Diplomatie n’est pas un dîner de gala»,  qui analyse l’évolution politique, économique, sociale et culturelle de la Chine de 1964 à nos jours, Claude Martin retrace  son parcours depuis l’École des Langues Orientales, l’Institut des Sciences Politiques et  l’École Nationale d’Administration qui le conduisit,  en lieu et place de son service militaire,  à l’Ambassade de France à Beijing  en 1964, année de la reconnaissance de la Chine par le Général de Gaulle.

Étant l’un des rares membres de la mission à parler chinois,  il a alors servi en tant «qu’homme à tout faire» parcourant le pays en train et Beijing à bicyclette. Durant ce premier séjour, il a pu constater qu’une certaine opacité régnait partout, la révolution culturelle étant sous-jacente (méfiance vis-à-vis des élites intellectuelles, des cadres du parti, des bourgeois…), et  les librairies ne proposant que les œuvres de Mao. En dépit de son absence de caractère diplomatique, cette première expérience fut pour lui instructive mais frustrante en raison de la difficulté de converser avec les Chinois sans attirer immédiatement les soupçons des autorités locales. Il fut cependant très impressionné par l’activité déployée sur le plan artistique, notamment par les opéras révolutionnaires qui pouvaient être d’une grande beauté. Il pensait que, si elle avait été axée sur un autre domaine que la politique,  l’énergie du pays aurait pu offrir un facteur de développement économique d’une valeur indéniable.

De retour en France, Claude Martin entre au Quai d’Orsay pour traiter des dossiers européens, l’Europe constituant sa vocation première. Pourtant, loin d’oublier la Chine, il continue à s’y rendre fréquemment  et à suivre avec le plus grand intérêt les évènements qui s’y produisent.

Si 1971 fut une année décisive marquée par la visite du Président Nixon à Beijing, la disparition mystérieuse de Lin Biao (âme damnée de Mao durant la révolution culturelle) et l’entrée de la Chine aux Nations Unies, l’année 1974 mérite une mention particulière. C’est en effet l’année de l’établissement  de relations culturelles entre nos deux pays et, à la suite de la visite officielle à Paris de Deng Xiaoping, l’occasion de  signer quelques contrats .

Claude Martin va ensuite repartir à Beijing au poste de ministre-conseiller à l’ambassade de France de 1978 à 1984. De retour à Paris en 1986, il est nommé  Directeur d’Asie Océanie, poste qu’il occupe pendant quatre ans.  Il n’en suit pas moins avec attention les affaires chinoises et, en novembre 1990, il revient en ambassadeur à Beijing, où il s’emploiera à rétablir une relation de confiance avec la Chine dans un contexte des plus difficiles (affaire de la vente des Frégates et des Mirages). Il rentre à Paris en novembre 1993 pour se consacrer de nouveau à l’Europe, sans toutefois oublier la Chine.

Après le décès de Mao Zedong en 1976, la «guerre de succession» éloigne Deng Xiaoping jusqu’en 1978, date à laquelle il revient en force aux affaires pour devenir  le dirigeant de la Chine. Pendant dix ans, il va être l’architecte de l’ouverture du pays. Au cours de cette période, l’essor économique et culturel est considérable: la littérature, le cinéma (qui va obtenir de nombreux prix dans le monde), la peinture avec le groupe «Les Étoiles» fondé par Ma Desheng. Au début, les artistes sont très influencés par l’art occidental mais vont , peu à peu,  s’en affranchir. Cela est aussi vrai en littérature où l’on voit des écrivains, tels  Wang Zhengqi, A Cheng ou Mo Yan qui recevra un prix Nobel en 2012, se libérer des contraintes. Cette effervescence, cette liberté artistique et culturelle n’étaient pas doublées d’une liberté politique ;  aussi la reprise en main par le Parti à partir de 1986, a-t-elle conduit aux événements de 1989 et à la répression des manifestations sur la place Tien’anmen,  provoquant  une réaction violente en France, notamment de  la part du Premier ministre  Michel Rocard qui voulait couper toute relation avec la Chine. D’après Claude Martin, les sanctions demandées étaient stupides et ont entraîné pendant quatre ans le gel complet des relations franco-chinoises, tant dans le domaine culturel qu’économique. Puis les contacts ont repris petit à petit et les rapports se sont progressivement normalisés. Car même si la Chine n’est pas vraiment une démocratie, c’est un partenaire de premier plan qui, en 2001, est entré dans l’Organisation Mondiale du Commerce. Or, malgré les contreparties concernant les droits de l’Homme demandées par l’Occident et les promesses du gouvernement chinois, le pays ne s’est livré à aucune réforme et Hu Jintao, président depuis 2003, fut un réformateur mou. C’est l’époque d’une intense corruption mais aussi de progrès économiques et de créations artistiques. Le joug du Parti semble moins pesant et, parallèlement à un art traditionnel,  un nouvel art contemporain se développe. Après le départ de centaines d’artistes qui ont  émigré dans les années 1980, ceux qui sont  restés ont  des opportunités d’exposition:  « Alors la Chine ?» au Centre Pompidou en 2003, ou de travail temporaire à l’étranger. Le marché occidental de l’art contemporain chinois est lancé.  Mais les désaccords politiques subsistent. Le problème tibétain provoque des tensions entre l’Europe et la Chine. En 2008, le président de l’Union Européenne, Nicolas Sarkozy qui  hésitait à se rendre en Chine, car il demandait la réhabilitation du Dalaï Lama et des réformes pour le Tibet,  assiste  néanmoins à l’ouverture des Jeux olympiques de Pékin. L’Exposition universelle de 2010 se déroule à Shanghai, donnant à la Chine  l’occasion de  revendiquer l’importance de sa culture dans le monde. En 2013, François Hollande est le premier chef d’État reçu par le nouveau président Xi Jinping pour renouer des relations dégradées. Sur le plan intérieur, Xi Jinping  lance une campagne anti-corruption pour redonner au Parti sa vertu, sa dignité et sa légitimité. Sur le plan international, il demande aux Occidentaux d’assumer les différences intellectuelles et politiques de son pays. Nous sommes aujourd’hui dans une relation difficile avec la Chine, car sa puissance économique lui permet de dicter les règles. On peut toutefois se poser la question de savoir si, à un moment donné, le dialogue n’aurait pas pu être mieux dirigé, étant entendu que la Chine semble toujours se raffermir face à un environnement qui se durcit.

Cette conférence qui s’est déroulée devant un public nombreux comprenant, outre nos adhérents des représentants du monde diplomatique, des amitiés franco-asiatiques du Sénat, et des collectionneurs sous la houlette de la Galerie Livinec,  a suscité un intérêt très vif.

Elle a été suivie d’un verre amical où les participants, venus en nombre, ont pu procéder à des échanges fructueux dans la lumineuse salle du Bouddha.

0

Saisir un texte et appuyer sur Entrée pour rechercher