L’Ecole de Shanghai (1840-1920) Peintures et calligraphies du musée de Shanghai

05/04/2013. Visite conférence de l’exposition L’Ecole de Shanghai (1840-1920) Peintures et calligraphies du musée de Shanghai commentée par Eric Lefebvre, Conservateur.

Poursuivant son exploration de la peinture chinoise, le Musée Cernuschi propose, grâce aux prêts exceptionnels du musée de Shanghai, de découvrir une période clé de l’histoire de l’art chinois au cours de laquelle peintres et calligraphes réunis à Shanghai ébauchent une nouvelle modernité.

Au XIXe siècle, la dynastie Qing est profondément ébranlée par la révolte des Taiping et la menace militaire des puissances occidentales. A partir des années 1840, la région du Jiangnan, au centre sud de la Chine, est le théâtre de conflits armés qui ravagent les villes de Nanjing (Nankin), Yangzhou et Hangzhou. La communauté d’artistes qui avaient participé au rayonnement exceptionnel de ces cités au XVIIIe siècle, est dispersée. De nombreux peintres et calligraphes fuyant les conflits convergent vers la région de Shanghai où se développe une nouvelle culture influencée par les échanges avec l’Occident. Ces bouleversements historiques sont à l’origine d’un profond bouleversement culturel mais aussi d’un véritable renouveau des arts caractérisé par la libération du trait et l’irruption de la couleur. La grande nouveauté est que les peintres vont, pour la plupart, devoir vivre de leur art. Il se crée des associations qui vont regrouper des artistes à des fins lucratives mais aussi charitables, une certaine part des bénéfices de ces associations étant destinée à secourir les victimes des sinistres ou les nécessiteux.

La première salle est dédiée à l’héritage du Jiangnan en montrant comment, genre par genre, les peintres sont habités par les réminiscences des styles créés dans cette région. Les peintres de portraits, de fleurs ou de paysages font encore référence aux maîtres et aussi à la littérature comme Bao Dong  dans l’Ermite à l’ombre d’un pin qui fait référence à un passage du « Chant du retour ». Liu Deliu (1806-1875) peint Fruits et fleurs à la manière de Shen Zhou (XVe s.), mais en y introduisant la couleur et en utilisant un format vertical qui donne une grande liberté à la composition.

Ren Xiong (1823-1857) La chaumière du Lac Fan (détail)©Musée de Shanghai

La salle suivante est consacrée à Ren Xiong et son clan. Ren Xiong (1823-1857) est souvent considéré comme l’un des peintres de personnages les plus accomplis. Cependant, lorsqu’il peint La Dame de la Xiang, référence à un poème célèbre de Qu Yuan devenu un thème populaire en peinture, il utilise des couleurs vives pour les vêtements. Le grand rouleau (7 m) La chaumière du lac Fan constitue une réinterprétation du paysage en bleu et vert. La juxtaposition et la richesse des couleurs et l’application sans trait de contour en font cependant une œuvre novatrice. Ren Xun (1835-1893), frère cadet du précédent, poursuit son œuvre tout en innovant dans la peinture de fleurs et d’oiseaux. Le rouleau représentant le collectionneur Wu Dacheng est particulièrement intéressant car il se divise en deux parties. D’abord on découvre le portrait peint de Wu Dacheng entouré de sa collection de bronzes antiques, puis tous les objets et leurs inscriptions sont présentés sous forme d’estampages.

 

Le fils de Ren Xiong, Ren Yu (1853-1901), apprit son métier avec son oncle. Ses paysages sont originaux par le travail de la couleur.

Zhao Zhiqian (1829-1884). Calligraphies sigillaires et de chancellerie ©Musée de Shanghai

La troisième salle est consacrée à Zhao Zhiqian (1829-1884). Ce fonctionnaire lettré excelle dans la calligraphie, comme dans la peinture « sans os » (sans trait) et dans la gravure de sceaux. Son étude des graphies antiques va influencer et vivifier son style. En transposant la vigueur primitive du tracé des stèles antiques dans son art, il équilibre la force du trait et l’audace de la couleur. Quatre rouleaux verticaux illustrent les styles sigillaire et de chancellerie auxquels il insuffle puissance et fluidité. Ses pivoines allient la force de l’écriture sigillaire dans le traitement des branches et des rochers au style « sans os » des fleurs, créant un contraste entre le noir de l’encre et le rouge éclatant des fleurs.

Ren Bonian (1840-1895). Wen Chang et Guan Yu ©Musée de Shanghai

La cinquième salle est consacrée à Ren Bonian (1840-1895), dont la légende raconte qu’il copiait des œuvres de Ren Xiong, les vendant dans la rue. Le maître aurait découvert le faussaire mais, séduit par son talent, confie son apprentissage à Ren Xun. Ren Bonian va développer un style propre dans la peinture de fleurs et d’oiseaux ou de figures historiques. Sa peinture est représentative de la production de Shanghai qui vise une clientèle de riches commerçants ou d’étrangers. Le Portrait de Gao Yong est une œuvre à quatre mains comme c’est souvent le cas à cette époque et souvent recommandé par les associations. Ren Bonian a peint le personnage et Hu Gongshou a réalisé le paysage qui l’entoure. Alors que le visage est traité presque de manière photographique, le vêtement est travaillé en touche «en tête d’épingle et en queue de rat » : le pinceau est posé pour former un point puis tiré en longueur pour s’amenuiser en pointe fine. Wenchang (dieu des Arts martiaux) et Guan Yu (dieu de la littérature) montre deux figures majestueuses en costume d’apparat. Au dessus d’eux vole un petit personnage grotesque, Kuixing, qui protège les étudiants qui passent les examens. On pourrait y voir une influence occidentale (angelot) transmise par l’estampe japonaise. Le Chat dans les glycines est réalisé selon la technique sans os, mais c’est la composition qui est originale, car le chat, dos au spectateur, n’est aperçu  qu’au dernier moment, le regard se portant d’abord sur les branches fleuries et les moineaux qui s’envolent.

Les dernières salles illustrent l’évolution de la peinture de lettré vers une peinture plus commerciale. Outre leurs œuvres personnelles, certains artistes vont réaliser des lithographies pour des journaux ou des publicités. Wu Youru (?-1893) est le plus représentatif avec ses Scènes de la vie féminine où il introduit la perspective occidentale et un souci de montrer des femmes modernes, même lorsqu’elles s’adonnent à des passe-temps classiques tels que la musique ou la lecture . Wu Changshuo (1844-1927), calligraphe et peintre, excelle aussi dans l’art sigillaire. Il suit la démarche de Zhao Zhiqian en transposant la vigueur des graphies sigillaires dans sa peinture. Il réalise des calligraphies dans un style cursif d’une extrême vigueur et ce même dynamisme peut se retrouver dans Compositions florales des quatre saisons. Ces quatre rouleaux monumentaux représentant les fleurs et les fruits emblématiques des saisons sont animés d’une grande énergie accentuée par l’usage de couleurs vives dans le « style sans os ».

 

Wu Youru (?-1893) – Scènes de la vie féminine ©Musée de Shanghai

Wu Changshuo (1844-1927) – Calligraphie cursive ©Musée de Shanghai

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