L’école de Lingnan

Mercredi 15.02.11 : conférence «L’école de Lingnan» par Maël Bellec, conservateur au musée Cernuschi.

L’école de Lingnan est une école de peinture importante qui se développe dans la première moitié du XXème siècle et est toujours vivante aujourd’hui. Elle est élaborée dans une région située dans le Guangdong, dans le Lingnan (au sud des cinq chaînes de montagnes) et c’est essentiellement une école cantonaise mais qui se différencie de l’école de Canton connue pour l’art d’exportation qui n’est plus exposé dans les musées.
Cette école est peu connue et, depuis l’ouvrage de Ralph C. Croizier «Art and Révolution in Modern China: The Lingnan (cantonese) school of painting (1906-1951)» publié en 1988, il n’y a rien eu d’écrit dans le monde occidental jusqu’au catalogue de la prochaine exposition du musée Cernuschi. En Chine cela ne fait que quelques années qu’on reparle de cette école qui avait en partie disparu de l’historiographie pour un ensemble de raisons assez complexe. Cette école est cependant importante du fait qu’elle se développe entre la fin des années 1870 et les années 1940. Les trois Maîtres de Lingnan, Gao Jianfu (1879-1951), Gao Qifeng (1889-1933), frère cadet du précédent, et Chen Shuren (1884-1948) vont être les témoins de tout un pan important de l’histoire chinoise : la fin de la dynastie des Qing, la république chinoise fondée par Sun Yat-sen en 1912, la fondation du Parti communiste chinois en 1921, la Longue Marche qui voit Mao Zedong devenir le chef incontesté du P.C.C. en 1935, le conflit sino-japonais de 1937 à 1945 et, en 1949, la proclamation de la République Populaire de Chine qui pousse Tchiang Kai-chek et les forces du Guomindang à se réfugier à Taïwan. Ils vont donc pratiquer sur le plan technique a peinture traditionnelle chinoise mais la fin de leur vie sera contemporaine du réalisme soviétique.

B.Gao Jianfu.1879–1951

Gao Jianfu (1879-1951)

B.Gao Qifeng

Gao Qifeng (1889-1933)

B.Chen Shuren

Chen Shuren (1884-1948)

L’école de Lingnan est importante car elle se situe à la charnière de la tradition picturale classique et de la génération des avant-gardistes des années 1920.

Le sud de la Chine et, plus particulièrement la région de Canton, est excentré et un peu isolé du reste de la Chine, protégé par les chaînes de montagnes. Canton va développer sa propre sensibilité artistique et culturelle. Au milieu du XIXème, Song Guangbao va initier une école régionale de peinture «sans os» (sans trait de contour) sur le thème des fleurs et oiseaux mais qui va représenter une flore et une faune endémiques à la région cantonaise. De plus, les jardins de Canton sont très petits, denses et présentent des plantes en pot. Ju Lian (1828-1904), qui a été le maître des trois fondateurs de l’école de Lingnan, possédait un de ces jardins et pratiquait la peinture d’après nature. Il va adopter une technique qui consiste à laisser tomber des gouttes d’eau ou à projeter des poudres de pigments sur une peinture encore humide pour créer des effets de relief. Un autre courant cantonais dû aux contacts commerciaux avec l’occident va former une école de peinture à l’huile à l’occidentale comme celle pratiquée par Lam Qua (1801-1860). Ces œuvres connues des occidentaux ne sont pas très appréciées des Chinois éduqués.

B.Ju Lian.A hundred flowers.Encre et couleurs sur soie.Hong Kong Museum of Art

Ju Lian. A hundred flowers. Encre et couleurs sur soie. ©Hong Kong Museum of Art

 

B.Lam Qua.Le marchand Mouqua.Vers 1840.Peinture à l'huile sur toile.Peabody Essex Museum

Lam Qua. Le marchand Mouqua Vers 1840. Peinture à l’huile sur toile. ©Peabody Essex Museum

Les artistes de l’école de Lingnan sont d’abord formés à la peinture de fleurs et d’oiseaux d’après nature mais Gao Jianfu a certainement été formé à la maîtrise des ombrages et de la perspective à l’université de Canton. Très peu d’artistes chinois, avant 1913, vont pouvoir étudier en Europe et le relai pour maîtriser les techniques occidentales est le Japon. Le Japon de l’ère Meiji a vu la naissance du courant Nihonga qui pratique la technique traditionnelle de peinture japonaise enrichie par l’apport occidental des effets de perspective et de nouveaux thèmes. Takeuchi Seihô (1864-1942), un des pères fondateurs du courant Nihonga, combine les techniques des écoles japonaises traditionnelles avec les formes occidentales de réalisme empruntées à Corot et à l’école de Barbizon ; parmi ses sujets de prédilection figurent les animaux qu’il étudie d’après nature dans les zoos. Son influence est majeure sur les artistes de l’école de Lingnan ainsi qu’on peut le voir entre sa paire de paravents «Lions et falaises» et «Lions en alerte au crépuscule» de Chen Shuren qui utilise presque la même composition et la même gamme de couleurs crépusculaires. Au Japon, les artistes de l’école de Lingnan se forment à peindre des lions en regardant des peintures et non d’après nature, mais ils y ajoutent un symbolisme absent du modèle japonais en y incluant des colophons importants. Les lions dans l’école de Lingnan sont considérés comme des motifs révolutionnaires et sont censés représenter les hommes de ces époques troublées (lutte entre les seigneurs de la guerre dans les années 1920) et sont souvent représentés dans des positions dynamiques, rugissant et menaçants comme dans le «Lion rugissant» de Gao Qifeng.

B.Takeuchi Seihô.Lions et falaises.1904.Encre, couleurs et feuille d'or sur papier. Détail d'une paire de paravents.©Toyota Municipal Museum ofArt.

Takeuchi Seihô. Lions et falaises. 1904. Encre, couleurs et feuille d’or sur papier. D’une paire de paravents. ©Toyota Municipal Museum of Art

B.Chen Shuren.Lions en alerte au crépuscule.Encre et couleurs sur papier.©Honk Kong museum of Art

Chen Shuren. Lions en alerte au crépuscule. Encre et couleurs sur papier.

Les peintres de Lingnan ont une ambition très forte, ils veulent à la fois refonder la nation mais aussi refonder de fond en comble la peinture chinoise. Une des raisons de l’éclipse de l’école de Lingnan est l’utilisation, presqu’une copie, du modèle japonais qui est mal perçu en Chine, ceci encore aggravé par le conflit sino-japonais des années 1930. Gao Jianfu est cependant un artiste très éclectique qui va regarder des choses très variées, qui va voyager et peindre des paysages en Birmanie ou des vues du Gange. Rabindranath Tagore (1861-1941), le célèbre poète et philosophe indien, disait de lui «qu’il était capable d’assimiler les styles de toutes les peintures du monde mais que sa peinture demeurait chinoise».

Un des enjeux de l’école de Lingnan est de mettre l’art au service du peuple notamment par la diffusion de divers périodiques, tels que le Zhenxiang Huabao à Shanghai, qui poursuivent un triple but : une information sur ce qui se passe dans le monde, surveiller la politique républicaine du gouvernement et être un vecteur de diffusion des œuvres de ses artistes. Huang Shaoqiang (1905-1998) qui est un artiste de la seconde génération de l’école de Lingnan va profondément modifier la peinture de personnages comme dans «Regarder des peintures» où des personnages sont en train de regarder une exposition de peintures de personnages. Au moment du conflit sino-japonais, des expositions vont présenter des figures héroïques au peuple et entretenir l’enthousiasme durant ces périodes difficiles mais Gao Jianfu va aussi représenter les désastres causés par le conflit sino-japonais. Le thème de peinture de désastres, d’incendies et de catastrophes est totalement nouveau dans la peinture chinoise.

Tous les artistes de l’école de Lingnan vont avoir, au début, une activité politique importante pour ensuite s’en éloigner petit à petit et se consacrer plus exclusivement à la peinture. A la mort de Sun Yat-sen, Gao Qifeng va être chargé de fournir des peintures pour orner son mausolée et il va représenter un lion, un aigle et un cheval probablement semblable à celui des années 1920 qui utilise un modèle japonais de 1909 mais avec un modelé occidental et qui dégage une impression de tristesse. Une œuvre extrêmement forte de Gao Jianfu (ca 1941) reprend le symbolisme chrétien de la croix qui s’affaisse devant un ciel menaçant (alors qu’il est plutôt bouddhiste) pour exprimer la solitude et la dureté des temps mais sans les représenter directement.

B.Huang Shaoqiang.Regarder des peintures.Encre et couleur sur papier.©Guangdong Art .jpgMuseum

Huang Shaoqiang. Regarder des peintures. Encre et couleur sur papier. ©Guangdong Art Museum

B.Gao Jianfu.Incendie sur le front Est.Encre et couleurs sur papier.©Guangzhou Museum of Art

Gao Jianfu. Incendie sur le front Est. Encre et couleurs sur papier. ©Guangzhou Museum of Art

B.Gao Qifeng.Cheval.Milieu des années 1920

Gao Qifeng. Cheval. Milieu des années 1920. Encre et couleurs sur papier

 L’héritage de ces artistes est très en demi-teinte, d’une part parce qu’ils ont connu une période d’oubli et n’ont pas vraiment laissé de postérité derrière eux : les artistes des périodes ultérieures, hormis leurs disciples, se sont peu référé à eux car à partir de 1940 on change de paradigme artistique. En 1942 Mao Zedong va redéfinir ce que doit être l’art dans la Chine de ses rêves et, bien que l’idée de l’art au service du peuple soit aussi le credo de l’école de Lingnan, il va se tourner vers le modèle de la peinture soviétique. Dès les années 1950, des artistes russes vont enseigner à l’Académie Centrale des Arts de Pékin la peinture à l’huile dans le style du réalisme soviétique. Cependant il y a quelques disciples, dont les sept disciples du Pavillon du Vent Céleste de Gao Qifeng comme Zhao Shao’ang (1905-1998) ou ceux formés par Gao Jianfu comme Guan Shanyue (1912-2000) ou Yang Shanshen (1913-2004). Ces artistes vont former à leur tour d’autres peintres à Hong Kong ou à Taïwan, mais cette nouvelle génération va se disperser et il y a même, aujourd’hui, une branche canadienne de l’école de Lingnan. Grâce à cette transmission, l’école de Lingnan est en train de réapparaître et de revenir au goût du jour aussi bien à Hong Kong qu’au Canada ou à Taïwan. Ces artistes de la troisième génération perpétuent le goût pour des images fortes, pour le rendu des volumes, pour l’utilisation de la perspective occidentale et un certain goût pour les teintes ocre héritées de Takeuchi Seihô.

B.Affiche sur les cooperatives.1954.©collection Landsberger

Affiche sur les cooperatives. 1954. ©collection Landsberger

B.Zhao Shao'ang.Paysage de Guilin.1945.Encre et couleurs sur papier

Zhao Shao’ang. Paysage de Guilin. 1945. Encre et couleurs sur papier.

B.Yang Shanshen.©Museum of Art.Macao

Yang Shanshen. Affiche 2004. ©Museum of Art.Macao.

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