Le taoïsme dans la chine d’aujourd’hui

Mercredi 20 janvier 2016 : Le Taoïsme dans la Chine d’aujourd’hui, conférence par Catherine Despeux, Professeur émérite de l’Institut National des Langues et Civilisations (INALCO).

Laozi, personnage probablement mythique, aurait vécu au 5ème siècle av. J.C. et aurait été contemporain de Confucius. Selon la légende, Laozi, mécontent de la façon dont se comportaient les gouvernants, aurait décidé de partir vers l’Ouest sur un buffle. Mais avant de quitter le pays, le gardien de la passe, Yin Xi, lui aurait demandé de laisser un enseignement et c’est ainsi que Laozi aurait transmis le Daode jing (Livre de la Voie et de la Vertu), texte clé de la pensée taoïste.

Sous la dynastie des Han est apparu un taoïsme religieux sous un empereur qui était entouré de lettrés ayant jeté les bases d’une religion d’État bien organisée, avec par exemple un Culte au ciel rendu chaque année dans le temple du Ciel. Cette religion taoïste, on considère qu’elle débute avec la divinisation de Laozi en 165. Un texte de cette date nous apprend qu’au palais impérial, l’empereur rendait alors un culte à Laozi ainsi qu’à l’Empereur Jaune et au Bouddha. C’est à cette époque que se sont développés des mouvements religieux qui se réclament de Laozi et qui ont exercé une activité subversive. L’un d’eux, ayant pour nom École des cinq boisseaux de riz, fut fondé entre 120 et 145 au Sichuan par Zhang Daoling. Ce premier mouvement politico-religieux, doté d’un gouvernement fondé sur des bases religieuses, va être à l’origine des deux écoles actuelles les plus importantes du taoïsme.

Ayant été divinisé, Laozi devient Taishang Laojun (le Très Haut Seigneur) et n’est plus un personnage historique, mais une force cosmique. Il n’a ni visage ni forme mais il communique avec le monde des vivants par des signes qui sont interprétés par des devins. Ces interprétations vont être dans l’histoire de la Chine la source de nombreuses dérives et de manipulations par les empereurs et des ministres avides de pouvoir.

Le taoïsme religieux intégra des éléments locaux de type chamanique et quelques notions du bouddhisme, imitant leurs descriptions des paradis et des enfers par exemple. Après l’École des cinq boisseaux aussi appelée la Voie des Maîtres Célestes (Tianshi dao) apparaît, au 4ème siècle, le courant Shangqing (la Pureté Suprême) qui va développer l’érémitisme et des techniques de méditation. A la même époque le courant Lingbao (Ecole du Joyau Magique) va se spécialiser dans les rituels et incorporer des conceptions bouddhiques. A partir du 10ème siècle, des courants vont se développer qui sont plutôt de nature exorciste et font appel à la force du tonnerre. Au 12ème siècle, le courant Quanzhen (Perfection Totale) va absorber des éléments des trois courants antérieurs (Tainshi, Shangqing et Lingbao), mais va rester un courant essentiellement monacal. Ce courant va particulièrement développer des techniques d’alchimie intérieure.

Dans la Chine d’aujourd’hui, les deux courants principaux sont le courant Zhengyi issu des Maîtres Célestes, plutôt laïc et ritualiste, et le courant Quanzhen plutôt monacal.

En chine, l’État doit intervenir dans tout ce qui concerne la société y compris les affaires religieuses. Il reconnaît, en principe, la liberté de pensée, la liberté religieuse mais pas la liberté d’expression ni la liberté d’action. Malgré des essais répétés, la Chine n’a pas réussi à séparer les religions de l’État. A la fin de la dynastie des Qing, le pays cherchant à se moderniser, a été le théâtre de débats importants qui opposaient la science à la religion. Des temples furent détruits à la fin du 19ème siècle. Ces destructions reprirent en 1904, date à partir de laquelle il fut légal de confisquer les biens des temples pour construire des écoles. En 1912, avec l’avènement de la république, la lutte contre certains aspects de la vie traditionnelle, notamment les croyances et les coutumes populaires, a été particulièrement virulente. Sun Yatsen et le Kuomitang ont combattu ces aspects plus férocement que ne le fera Mao Zedong. Sun Yatsen a vendu en 1922 les temples pour en faire des écoles et, en 1949, lorsque Mao Zedong prend le pouvoir, plus de la moitié des temples avait déjà été détruit.

A partir de 1949, Mao Zedong a encouragé la création d’associations religieuses sous le contrôle de l’Etat et l’association taoïste fut fondée en 1957. L’activité de ces associations religieuses a été stoppée durant la Révolution Culturelle mais a repris dans les années 80 avec la politique d’ouverture de Deng Xiaoping. Cinq religions officielles sont alors reconnues avec cinq associations différentes : le bouddhisme, le taoïsme, l’islam, le catholicisme et le protestantisme. Aujourd’hui, la religion n’est plus l’opium du peuple mais elle est officiellement au service de l’État. L’article 36 de la constitution dit que «les citoyens de la République Populaire de Chine jouissent de la liberté religieuse, aucun organisme d‘État, aucun groupement social, aucun individu ne peut contraindre un citoyen à épouser une religion ou à ne pas la pratiquer, ou adopter une attitude discriminatoire à l’égard des citoyens croyants ou non-croyants, L’État protège les pratiques religieuses régulières». Malgré cela, dans la pratique, protéger est souvent synonyme d’interdire, réprimer et contrôler.

L’association taoïste comprend un niveau national, provincial et local. Au niveau national, il y a le Bureau des Affaires Religieuses du Conseil d’Etat dont le règlement a été établi en 1994 et révisé en 2005. Ce Bureau est l’équivalent du département qui s’occupait des affaires religieuses dans la Chine impériale. Un Bureau des Affaires Religieuses existe aussi au niveau provincial ainsi qu’au niveau local. Pour toute activité religieuse il faut demander l’autorisation du Bureau (local, provincial et national), que ce soit pour reprendre un culte, en instaurer un nouveau, restaurer un temple ou simplement procéder à un pèlerinage. Le règlement est affiché dans les lieux de culte et toute personne résidente ou venant de l’extérieur doit être enregistrée. Ces lieux de culte peuvent vendre des objets artistiques, des livres, des objets rituels et leurs revenus viennent principalement de ce commerce, mais aussi de l’activité de divination ou de soins des taoïstes, et de dons de particuliers ou de la communauté laïque.

L’Association Taoïste Nationale, fondée en 1957, a son siège dans le temple des Nuages Blancs (Baiyun Guan) à Beijing depuis 1984, temple du courant monacal Quanzhen. Les deux grands courants du taoïsme contemporain sont le courant Quanzhen et le courant Zhengyi qui est attaché depuis le 11ème siècle à une montagne de la province du Jiangxi, le Longhushan (mont du tigre et du dragon). Ce dernier ne fut reconnu qu’en 1992. Plus récemment, on voit des courants locaux qui réclament à être reconnus afin de bénéficier de certains avantages et depuis plusieurs années se développent différents courants provinciaux.

1.Laozi divinisé

Laozi divinisé. ©Catherine Despeux

2.Zixiaogong. Wudang

Temple Zixiaogong au Wudangshan. ©Catherine Despeux

On peut diviser les temples en deux catégories selon qu’ils sont gérés par des ordres monacaux ou par des laïcs du courant Zhengyi. Les temples du courant Quanzhen sont en principe constamment ouverts au public pour des pratiques liturgiques le matin et le soir, pour des cérémonies selon un calendrier de fêtes et cérémonies diverses.

Les temples communautaires du courant Zhengyi sont des lieux où l’on pratique toutes sortes d’activités, notamment la divination et des festivals importants. Ces temples sont fondamentaux pour la communauté car ce sont les lieux où l’on va arbitrer des conflits et gérer la communauté. Les litiges et les conflits de la communauté sont apportés devant les dieux ; les dirigeants des temples, qui font partie de la communauté, vont participer à cet arbitrage. Ces temples rendent aussi des services rituels très importants à l’occasion de funérailles, de maladies avec des rituels exorcistes et des lieux d’enseignement pour transmettre une certaine morale

Il est très difficile de différencier un temple taoïste Quanzhen d’un temple bouddhique, cependant les couleurs rouges, bleues et jaunes prédominent souvent pour les murs des temples taoïstes. Certains temples ont un clergé monacal résidant mais aussi des prêtres Zhengyi qui viennent y travailler dans la journée et rentrent chez eux le soir.

Les temples de communauté laïques regroupent des lignages familiaux. Ils sont peu reconnaissables extérieurement et ne sont pas ouverts tout le temps ; en fait ce sont les demeures des dieux des villages. Les chefs des communautés laïques en charge de tels temples mènent une vie quotidienne normale et sont appelés dans le cas de cérémonies ou d’activités religieuses. Certains villages possèdent plusieurs temples communautaires en activité et une grande quantité de dieux, mêlant divinités taoïstes et bouddhiques. Certaines cérémonies peuvent être animées de danses masquées qui content l’histoire des dieux.

Le taoïsme a depuis longtemps prêché que pour réaliser le Dao (la Voie) il fallait être en bonne santé. C’est dans ce taoïsme ayant un fond de pensée commun avec la médecine chinoise traditionnelle que ce sont développées des techniques telles celles utilisées dans le Qigong, comme la respiration, des mouvements avec visualisation, des méthodes de concentration et de méditation. Le Qigong a été remplacé par le Yangsheng (nourrir ou entretenir sa vie) dans les années 90. Le Yangsheng est entre les mains des religieux taoïstes gérés par les associations et donc plus facile à contrôler que les petits mouvements du Qigong. Actuellement il y a de nombreux centres de Yangsheng qui sont rattachés aux grands centres taoïstes, ceci faisant partie de l’évolution du taoïsme contemporain.

Une autre caractéristique de ce taoïsme contemporain est de se propager à l’étranger par l’exportation de pratiques qui attirent les Occidentaux, que ce soit le Yangsheng, la géomancie ou la méditation. L’Etat a favorisé l’exportation de ces pratiques d’une manière internationale, d’abord en Asie (Japon, Asie du Sud-est, Taïwan), puis en Occident où, depuis peu, il existe des associations taoïstes, notamment aux États-Unis et en Europe.

3.temple local Nanchang

Temple local près de Nanchang (Jianxi). ©Catherine Despeux

4.taijiquan au wudangshan

Taijiquan au Wudangshan. ©Catherine Despeux

Le gouvernement chinois, tout à fait conscient de la grande disparité entre les milieux urbains et ruraux, cherche à développer les provinces et les campagnes. Le taoïsme est un moyen d’apporter aux provinces une aide économique car la plupart des temples font partie de l’héritage patrimonial de la Chine. Le tourisme chinois mais aussi étranger va les visiter, il se rend dans les montagnes pour s’imprégner de la pensée taoïste et éventuellement pratiquer des activités tel le taijiquan (tai-chi-chuan). Le mont Wudang dans la province du Hubei, censé être le berceau des arts du taijiquan, est très connu pour ses monastères mais aussi pour ses centres d’apprentissage de méditation, des arts martiaux et de la médecine traditionnelle. Le mont Qingcheng au Sichuan abrite une école de taijiquan que le maître désire développer. Il vient régulièrement en Europe pour enseigner et par ailleurs enseigne cet art martial dans certaines écoles primaires de la région non seulement pour l’activité physique mais aussi pour former des jeunes qui par la suite pourront devenir enseignants de cette discipline.

Un autre aspect du taoïsme contemporain est la volonté d’établir la parité entre hommes et femmes. Un Institut d’Études Taoïstes pour hommes se trouve près de Chengdu ; on y enseigne le rituel, la gestion d’un temple, la politique, la médecine, la musique, etc. Depuis 2007, il existe aussi un Institut d’Études Taoïstes pour femmes dans la province du Hunan, province qui a été de tous temps une région de cultes féminins. Le programme d’enseignement, similaire à celui des hommes, insiste plus sur des activités qui semblent plutôt féminines comme la cérémonie du thé, la musique et la calligraphie.

Le taoïsme contemporain est porteur d’un puissant nationalisme et contribue à l’affirmation de l’identité nationale. Il est considéré comme très important pour l’identité chinoise et pour la société car nombre d’œuvres caritatives sont dues aux temples et déchargent l’Etat de responsabilités qui lui incombaient autrefois. Le taoïsme nouveau est garant de l’harmonie : harmonie de la nature et de l’homme, harmonie de la société.

5. Huangtingguan-Nanyue Hunan

Temple d’un culte féminin Huangtingguan. Nanyue (Hunan). ©Catherine Despeux

6. ceremonie Zhengyi au Wudangshan

Cérémonie Zhengyi au Wudangshan. ©Catherine Despeux

Ce taoïsme contemporain est un nouveau taoïsme, modernisé dans ses formes avec à la fois un respect de la tradition mais aussi une simplification à la fois des rituels et des méthodes méditatives. Si ce développement contemporain permet aux taoïstes d’exercer leurs activités au grand jour, de bénéficier de facilités économiques, il présente d’un autre côté des contraintes et les taoïstes se plaignent d’être obligés de jouer les hôteliers, d’être surchargés de tâches administratives et de gestion, d’être obligés d’assister à de multiples réunions organisées par les autorités et, finalement, de n’avoir pas assez de temps pour pratiquer. Le taoïsme érémitique est devenu très difficile et seuls quelques uns ont réussi par leur ténacité à se réfugier dans les lieux reculés des Monts Zhongnan de la région de Xian. Là, ils peuvent pratiquer leur jeun, vivre dans la simplicité et le dénuement, dans le silence et la paix d’une nature encore préservée, en un mot, suivre les préceptes de Laozi.

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