Le montage et la restauration des peintures chinoises: des sources textuelles à la pratique contemporaine
Conférence par Camille Schmitt, restauratrice d’œuvres d’art graphique et pictural d’Extrême-Orient
Après des études à Taiwan, en Chine et en France, Camille Schmitt s’est consacrée à la restauration et la conservation des œuvres calligraphiques et picturales.
Les œuvres calligraphique peuvent se trouver sur un grand nombre de supports, depuis des supports rigides comme les carapaces de tortues Shang (1600-1100 av. J.C.), le bois, le bambou, etc. Les fiches de bois ou de bambou présentent une écriture de haut en bas et se lisent de droite à gauche lorsqu’elles sont assemblées. Les caractères sont écrits à l’aide d’un pinceau. Par la suite, les inscriptions sont portées sur un support souple, la soie à partir du 5ème s. av. J.C. et le papier dont on possède des exemples du 1er s. av. J.C. Ces documents sur papier ou sur soie (leishu) recouvrent différents sujets tels que des cartes ou des livres ( classiques, lettres officielles, archives administratives) mais aussi des peintures et des autographes. Ces documents sont conservés dans les archives impériales des dynasties en place et ce sont les attributs du pouvoir. Conserver et transmettre ces attributs du pouvoir est une préoccupation qu’on retrouve dans le projet de conservation et de classification de la bibliothèque des premiers Han (206 av. J. C.- 24 apr. J.C.) et des empereurs suivants. «Xun Xu (荀勗, mort en 289), directeur de la bibliothèque impériale, récola environ trente mille juan (chapitres) de livres, dont de très nombreux écrits sur fiches de bambou provenaient d’une tombe princière datant de 280, qu’il fit retranscrire sur du papier jaune» (Drège, Jean-Pierre, «Les bibliothèques en Chine au temps des manuscrits (jusqu’au 10ème siècle)», Paris, EFEO, 1991, p. 27).
La conservation fait partie de la transmission et c’est un concept qui est très ancien et très important en Chine. Ces documents comportent des textes, des images et des livres en rouleaux. Dans un premier temps, la conservation des œuvres passent par le rouleau qui est le support commun à tout l’Extrême-Orient. Tout est fait pour que l’enroulement soit une méthode de conservation qui permette de transporter l’œuvre, de la préserver de l’humidité, bien que certains accidents puissent se produire (fissures, fentes ou cassures).
En Chine, la conservation consiste à préserver l’objet en sorte que la préhension, le fait de le dérouler et de le manipuler se fasse facilement et aussi de faire attention à l’environnement de l’œuvre, ce qui est très proche de la définition moderne. On distingue la conservation préventive qui agit sur l’environnement afin de retarder ou de prévenir les détériorations, le transport et le stockage des objets et la conservation curative qui intervient sur les œuvres endommagées afin d’en améliorer la compréhension et leur usage.
Parmi les moyens de prévention sur les supports picturaux, on préparait les supports avec des apprêts insectifuges, en particulier le papier était teint en jaune avec un extrait de philodendron dont l’utilisation était encore attestée au 9ème s. Une recommandation du 5ème s. mentionne qu’il faut mettre deux ou trois feuilles de papier au début du rouleau, et on trouve des rouleaux renforcés par un doublage de papier. Ces pratiques étaient appliquées dans les ateliers des bibliothèques impériales mais aussi chez les grands collectionneurs qui, parfois, restauraient eux-mêmes les rouleaux, «Laisser s’endommager les rouleaux c’est nuire à leur vertu».
À la veille de la dynastie Tang (618- 907), les codes de montages sont déjà fermement posés: on renforce les œuvres par doublage et on enroule autour d’un bâton. Sous les Tang, au 8ème s., un prince a remis sur pied une grande bibliothèque impériale, et pour ce faire, a recruté massivement des fonctionnaires dont des commissaires à la restauration des livres. Un inventaire de la bibliothèque, datant de 739, décrit le rangement des livres par classes et catégories ainsi que la distinction des rouleaux par montures. C’est donc un véritable travail de classification, de copie et de restauration des livres. Dix monteurs-restaurateurs avaient été recrutés par le département de la bibliothèque impériale, dix-sept monteurs de livres et une dizaine de préparateurs de papier. Entre 675 et 677, les fonctionnaires impériaux ont réalisé de nombreuses copies de sutras qui font partie d’œuvres trouvées dans la grotte de Dunhuang. La copie, en Chine, fait partie de la conservation des œuvres et, aujourd’hui encore, au département de conservation du Musée du Palais de Beijing, il y a, à côté des restaurateurs, une équipe de copistes. Une œuvre restaurée est accompagnée de trois copies à l’identique, ceci dans un but de préservation.
Zhang Yanyuan 張彥遠 (815-876), un grand lettré, décrit très en détail les peintures qui sont réalisées sur soie avec des pigments minéraux, celles réalisées au trait, à l’encre, sur papier battu et, pour lui, le montage et la restauration sont très importants. Il décrit la colle de montage, les instruments de montage, il insiste sur le choix du papier de doublage et déconseille de doubler avec du papier apprêté mais recommande l’utilisation de grandes feuilles blanches, lisses et fines. Toutes ces recommandations sont encore données aujourd’hui dans les ateliers de restauration et les restaurateurs peuvent citer des extraits de Zhang Yanyuan ou de Zhou Jiazhou周嘉胄 (1573-1620). Ce dernier insiste sur la colle, car il ne faut pas qu’elle soit trop épaisse mais, pour lui, le plus important est le brossage. Zhuanghuang zhi [Traité du montage] de Zhou Jiazhou , est un ouvrage écrit durant l’ère Wanli (1573-1620) sous les Ming, imprimé et diffusé au début des Qing. Ce traité est fondamental car le procédé de conservation y est détaillé point par point, il reste d’actualité pour l’apprentissage qu’on suit lorsqu’on est dans un atelier en Chine: examen de la peinture ((pigments, dommages suivi si besoin d’un fixage des pigments), lavage, dédoublage, comblement et pose des bandelettes, pose des liserés intercalaires, premier doublage, retouche, assemblage, dernier doublage, mise en planche, descente de planche, lustrage, pose des embouts, pose du bâton, pose de la baguette et pose de la bande de titre.
Les rouleaux horizontaux sont les premiers rouleaux et, sous les Tang, la structure d’un rouleau était déjà parfaitement codifiée: le rouleau se déroule de la droite vers la gauche, on trouve d’abord le ruban d’attache, puis la baguette, la couverture, la page de titre, l’œuvre, la queue du rouleau et le bâton d’enroulement. Les rouleaux horizontaux ne se déroulent que brassée par brassée ; pour les sutras, on lit paragraphe par paragraphe, pour les paysages, le rouleau se déroule par petits bouts. Certains rouleaux faisant plusieurs mètres, voire plusieurs dizaines de mètres, il était impossible de les contempler dans leur totalité. Les rouleaux horizontaux sont examinés en petit comité, posés sur une table, ils sont déroulés petit à petit et font l’objet de commentaires.
Les peintures verticales ont d’abord été fixées sur de supports rigides comme les écrans et il semble, que ce ne soit qu’à partir du 10ème s., qu’apparaissent les rouleaux verticaux. Il est probable que certaines peintures verticales provenant de paravents aient été remontées en rouleaux verticaux. La structure des rouleaux verticaux est assez proche de celle des horizontaux. L’œuvre est encadrée de pièces de soie claires et discrètes, avec un ciel plus important que la terre et sur le ciel il y a des bandes, le rouleau se termine par des embouts.
Dans les ateliers, on apprend d‘abord le montage avant d’aborder la restauration. On commence par la préparation de la colle qui se fait en battant de la colle de blé ou d’amidon de blé avec de l’eau bouillante. L’œuvre est posée face contre la table, elle est humidifiée, puis on applique une feuille de papier et on brosse. On peut superposer plusieurs feuilles de papier de cette manière. La brosse utilisée est en fibre de palmier. Suit la mise en planche: il s’agit de poser l’œuvre sur un mur vertical, soit sur une vingtaine de couches de papier dans le Nord de la Chine, soit sur du contreplaqué ou un mur de bois dans le Sud. L’œuvre humide, fixée par ses bords, va se rétracter en séchant ce qui correspond à une mise sous tension. L’encollage se fait ensuite à l’aide d’une brosse en poils de chèvre qui a la caractéristique de contenir beaucoup de liquide et de libérer la colle pendant longtemps, puis on lisse. Le papier chinois est très absorbant et il faut donc utiliser une colle très diluée. Une fois la mise en planche terminée, on pose des bords de soie, doublés de papier, qui ont aussi été mis sous tension. On procède ensuite à un dernier doublage.
Après l’apprentissage du montage, on peut aborder l’atelier de restauration. Dans un premier temps, on apprend le lavage, puis on procède au dédoublage. Ensuite des bandelettes de papier sont appliquées au dos de l’œuvre pour la renforcer (plus une œuvre est ancienne, plus elle comportera de bandelettes). Lorsque les lacunes sont trop grandes on pose des morceaux de papier. Ensuite l’ensemble est doublé et mis sous tension. Pour terminer, afin de combler les lacunes, il faut procéder aux retouches qui sont apposées par des peintres. En Occident, cette dernière étape est peu utilisée par respect de l’original.