Le Japon au fil des saisons

Mercredi 5 novembre 2014, visite conférence de l’exposition Le japon au fil des saisons au Musée Cernuschi par Sylvie Ahmadian.

Le Musée Cernuschi présente une sélection de peintures japonaises provenant de la collection de Robert et Betsy Feinberg. Cette collection, une des plus importantes hors du Japon, est mondialement connue pour sa qualité.

Les soixante œuvres couvrant la seconde moitié de la période d’Edo (1615-1868), sur des supports différents : rouleaux verticaux (Kakemono), rouleaux horizontaux (Makimono), paravents (Byôbu), avec des médiums et des techniques différents reflètent le lien que les japonais ont tissé avec la nature au fil des siècles et qui se traduit aussi bien en poésie qu’en peinture. En effet les japonais ont toujours eu une relation particulière avec la nature et particulièrement celle-ci vue avec le passage des saisons. La contemplation des prunus en fleurs au printemps ou de la pleine lune à la mi- automne est toujours pratiquée. Certains thèmes sont liées à des saisons : prunus, cerisiers et glycines évoquent le printemps – mandarinier en fleur, aigrettes, coucou, eau, l’été – pleine lune, campanule, érable, chrysanthème, les sept herbes d’automne, l’automne – pin, bambou, oies sauvages, neige, l’hiver. Les œuvres peintes répondent souvent à une codification et expriment une symbolique littéraire.
L’exposition permet d’aborder les grands courants picturaux Nanga et Rinpa.

On appelle Nanga (peinture du Sud) ou bunjinga (peinture de lettrés) le courant, fortement influencé par la peinture chinoise de l’époque Ming. Contrairement à la Chine, les peintres «lettrés» vivaient de l’enseignement de leur art ou en vendant leurs œuvres, principe contraire à l’éthique chinoise. Ils constituaient des cercles qui animaient la vie intellectuelle des grandes villes tel que Kyoto. Faisant figure de marginaux, ils cultivèrent un certain goût pour l’individualisme et l’excentricité. Il est juste de noter la place accordée aux femmes dans ce mouvement, même si elle est modeste, à la différence des autres écoles de peinture.
Une paire de paravents à six feuilles de Yamamoto Baiitsu (1783-1856) illustre la tradition japonaise de peindre les sites célèbres. Vues d’Arashiyama au printemps et du mont Takao en automne offrent des compositions semblables de montagnes et de rivières aux environ de la capitale impériale, Kyoto. Si le mont Arashi et la rivière Hoju sont figurés au printemps avec des cerisiers en fleur, le mont Takao et la rivière Kiyotaki sont dépeints à l’automne, reconnaissable aux feuillages rouges des érables. Les pigments bleu et vert, les fragments de feuilles d’or évoquant les nuages ou la brume inscrivent Baiitsu dans la tradition de l’école Tosa.
Bambous et cascades du même artiste est d’un style très différent qui, tout en faisant référence au thème des «sept lettrés de la forêt de bambou», s’éloigne des poncifs traditionnels : la répétition alternée des bosquets de bambous et des cascades crée un foisonnement et envahit la surface.

 Yamamoto Baiitsu.2. Vue du mont Takao en automne  Bambous 4 dans la tourmente.Ike no Taiga  Tani Bunchô 2. Le mont Fuji

Vue du mont Takao en automne. Yamamoto Baiitsu

Bambous dans la tourmente
Ike no Taiga

Le mont Fuji.
Tani Bunchô

 Lettré dans un ermitage de montagne regardant les bourgeons printaniers de Ike no Taiga (1723-1776) est caractéristique de la peinture lettrée, exprimant l’idéal de retraite et de vie dans la nature. Si la composition est savante, le traitement en est enlevé, témoignant de la virtuosité de l’artiste : il combine la méthode des rides et des taches à un lavis discrètement coloré. Bambous dans la tourmente de Ike no Taiga reprend un thème classique de la peinture chinoise. Image du lettré «qui plie mais ne rompt point», le bambou a été classé comme l’un des «quatre nobles personnages » avec le chrysanthème, le prunier et l’orchidée, et l’un des «trois amis de l’hiver» avec le pin et le prunier. L’œuvre reflète l’influence de la peinture zen des artistes moines par sa vigueur et l’économie de moyens.

Lune claire par une nuit d’automne de Tani Bunchô (1763-1840) illustre un thème japonais transposé d’un modèle chinois mais l’inscription mentionne une expérience vécue personnellement dans un lieu réel. Les roseaux peints au lavis font écho à la calligraphie qui alterne caractères tracés d’un pinceau nerveux et d’une encre diluée avec des traits épais et sombre. Cette œuvre traduit la vision personnelle de l’artiste d’un lieu et d’un moment particulier même si ce n’est pas une œuvre d’après nature. Le Mont Fuji du même artiste reprend un des thèmes traditionnels de la peinture japonaise mais le peint d’une manière plutôt réaliste dénotant une influence occidentale. La technique utilisée est celle du lavis d’encre. La végétation abondante évoque le printemps, saison au cours de laquelle l’œuvre a été peinte sur le motif.

La lune au fil des saisons de Mochizuki Gyokusen (1834-1913) se présente sous forme de quatre kakemono dont les pièces de tissus servant de montage sont recouvertes d’un décor peint en lien direct avec le sujet de l’image centrale. Le ciel brumeux voilant la lune est encadré des branches graciles de saules bourgeonnant pour évoquer le printemps, le coucou voletant au-dessus d’un cours d’eau désignent l’été avec une lune plus nette derrière le voile de brume, les panaches de graminées et les rameaux de lespédèzes encadrant un lune pleine illustrent l’automne tandis que le ciel orageux contrastant avec l’astre nocturne entouré de rizières saupoudrées de léger flocons de neige rappellent l’hiver.

 Mochikuzi Gyokusen 2. La lune au fil des saisons Sakai Hôitsu 2.Fleurs et oiseaux.5e mois  Sakai Hôitsu 2. La sente au lierre du mont Utsu
La lune au fil des saisons

Mochizuki Gyokusen

Fleurs et oiseaux.5ème mois

Sakai Hôitsu

La sente au lierre du mont Utsu

Sakai Hôitsu

 Le courant pictural Rinpa (école de Kôrin) se définit par des formes épurées mises en valeur par des couleurs vives et des compositions d’une grande lisibilité. Les œuvres Rinpa sont parfois considérées comme décoratives, mais la recherche esthétique se double de profondeur poétique et littéraire.

Le paravent à six feuilles Erables en automne de Tawara Sôri (actif vers 1764-1780) combine deux types de composition : décentrement et dispersion des motifs alliés à une vue rapprochée qui met en valeur les troncs et les coloris du feuillage, lequel allant dur vert vif au rouge vermillon indique le passage du temps.

Fleurs et oiseaux au fil des mois de Sakai Hôitsu (1761-1828) se présente en douze kakemono illustrant chacun un mois de l’année. Tout en faisant référence aux poèmes de Teika (1162-1241) il s’en démarque en prenant des libertés dans l’association des plantes et des oiseaux, de même qu’en représentant des végétaux récemment introduits dans l’archipel ou en introduisant des insectes dans ses compositions. Cet ensemble est caractérisé par une élégance un peu froide et une grande sobriété alliées à un raffinement subtil et léger. Le paravent à deux feuilles La sente au lierre du mont Utsu du même artiste illustre un passage des Contes d’Ise (IX-Xe s.) : un noble se rendant à l’Est franchit le mont Utsu et, saisi par la mélancolie du lieu, il compose un poème destiné à son épouse restée dans la capitale. La composition triangulaire est renforcée par la simplification des formes et le traitement des arbustes et des monts. Le noble qui en est le centre, est représenté en train d’écrire le poème qu’il remettra à l’ascète errant vue de dos.
La paire de paravents à deux feuilles Grues de Suzuki Kiitsu (1796-1858) était à l’origine des portes coulissantes. Kiitsu est considéré comme le dernier maître du courant Rinpa mais, par ses recherches, il annonce le développement du courant Nihonga de l’époque Meiji (1868-1912). Ici, les deux groupes de grues se détachent sur un fond doré et leur disposition, leurs attitudes différentes créent un effet de profondeur. Le traitement naturaliste des oiseaux contraste avec l’extrême simplification du paysage et témoigne d’une certaine liberté vis à vis de la tradition.

Paon et pivoines de Maruyama Ôkyo (1733-1795), un des fondateurs de l’école Maruyama-Shijô, prônait le travail sur le motif à l’instar des artistes occidentaux. Son réalisme est basé sur la recherche de volumes, l’emploi de perspectives linéaires et d’ombrages afin de traduire la nature et ses changements. Dans cette composition en diagonale, Ôkyo a peint le paon et les fleurs en utilisant des ombrages pour créer du volume mais les rochers restent traités de manière traditionnelle chinoise. La densité des couleurs de l’oiseau contraste avec la délicatesse des teintes des pivoines. Le diptyque Singes dans les pins devant une cascade de Mori Sosen (1747-1821) montre une composition dissymétrique qui joue sur une opposition du plein et du vide, de l’activité et de la sérénité. L’artiste a créé un lien visuel ascendant entre les singes grimpant et le mâle, chef de la tribu, qui trône au sommet. Sosen utilise la technique de la «peinture sans os» (mokkotsuga), c’est à dire sans contour, pour le rendu du pelage des animaux et un lavis ponctué de points d’encre pour la végétation. Les expressions et les mouvements des singes témoignent d’une remarquable étude d’après nature.

 Paon et pivoines.Maruyama Okyo_mentions Mori Sosen 2. Singes dans les pins devant une cascade.2 Suzuki Shônen 2.Lune dans les nuages

Paon et pivoine
Maruyama Ôkyo

Singes dans les pins devant une cascade
Mori Sosen

Lune dans les nuages
Suzuki Shônen

Lune dans les nuages de Suzuki Shônen (1849-1918) appartient au courant pictural Nihonga (peinture japonaise) dont l’artiste fut un membre important. Par opposition aux influences occidentales, le courant Nihonga renoue avec les traditions japonaise et chinoise des techniques de lavis sur soie ou sur papier. La pleine lune d’automne émerge de nuages et les lavis bleu, jaune et gris qui cernent les réserves blanches donnent l’impression d’un tourbillon et accentue l’effet dramatique. Les brocarts supérieur et inférieur sont ornés de motifs peints par l’artiste.
Prêles et libellules de Watanabe Seitei (1851-1918) est une œuvre d’une grande subtilité et d’une grande poésie. Les libellules et les prêles évoquent le début de l’automne. La construction verticale rassemblée sur le côté droit du kakemono est rompue par deux obliques, une libellule s’agrippe à un épi alors que l’autre volette, accentuant le vide qui l’entoure.

Grâce à cette exposition, le public parisien a la possibilité de découvrir un aspect de la peinture japonaise peu connu.

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