LA PEINTURE CONTEMPORAINE AU JAPON, EN COREE ET EN CHINE
Mercredi 13 mai 2015 : conférence La peinture contemporaine en Chine, en Corée et au Japon par Maël Bellec, Conservateur au musée Cernuschi.
Maël Bellec précise qu’il ne prend pas en compte les artistes des diasporas et que son regard n’est pas celui du marché de l’art mais celui du conservateur. Ce survol de la peinture contemporaine s’avère difficile pour des raisons géographiques et historiques.
La Chine, après la chute des Qing en 1911, connaît une période de troubles suivie par la seconde guerre sino-japonaise (1937-1945), la fondation de la République populaire de Chine en 1949 et la révolution culturelle de 1966 à 1976.
Le Japon vit la restauration Meiji en 1868, la première guerre sino-japonaise (1894-1895) qui se déroule sur le territoire coréen, l’annexion de la Corée en 1910, la seconde guerre sino-japonaise, l’attaque de Pearl Harbour en 1941, les bombardements de Hiroshima et de Nagasaki en 1945 suivis par l’occupation américaine de 1945 à 1951.
La Corée, elle, est sous administration japonaise de 1910 à 1945 puis connaît la guerre (1950-1953) qui se terminera par la partition.
Comme on peut l’imaginer, il existe donc une interaction artistique entre ces trois pays.
Pour la peinture contemporaine, le Japon joue un rôle central car c’est le premier pays asiatique qui va se mettre à l’école de l’occident. Cette modernisation générale va permettre la création de l’Ecole des Beaux-Arts où trois artistes italiens (un peintre, un sculpteur et un architecte) vont former une nouvelle génération d’artistes, tels Asai Chû (1856–1907) dans un style marqué par le réalisme occidental des années 1850 et par la peinture de plein air. D’autres artistes vont venir en France et s’imprégner des différents courants comme l’impressionnisme. Ainsi, dès la fin des années 1870, le Japon suit l’Occident, d’abord dans les styles académiques, puis à partir de 1910, dans tous les mouvements d’avant-garde européens. Le mouvement du futurisme italien est le courant dominant adopté par des artistes japonais pour sa rupture avec la tradition et son lien avec la modernité. Le courant cubiste va s’incorporer à l’art japonais et Yorozu Tetsugorô (1885–1927) va l’intégrer dans son œuvre mais en le mélangeant à d’autres styles. A cette époque le Japon voit un bouillonnement artistique et tous les courants occidentaux vont petit à petit être intégrés, beaucoup d’artistes venant en Europe pour en avoir une connaissance directe. Un autre courant important est le surréalisme issu du dadaïsme mais pas toujours différencié de celui-ci et les artistes japonais en ont une connaissance plutôt empirique tel Hamada Hamao dans Upas. Ces nouvelles tendances artistiques ne sont pas toujours bien acceptées par la population et certains artistes vont prôner, dès le milieu de l’ère Meiji, un retour à la peinture traditionnelle nipponne et créer l’école Nihonga en opposition au courant yôga (peinture occidentale). Ce courant sera aussi soutenu par des occidentaux qui veulent préserver le japon pittoresque. Cependant, certains artistes comme Yokoyama Taikan (1868-1958) osent une grande modernité, ici presqu’abstraite, dans Métempsychose (1923) en utilisant les techniques traditionnelles. Tomioka Tessai (1837-1924), considéré comme le dernier représentant de la peinture de lettré, fait référence à la peinture chinoise de lettré mais l’expressivité du trait et le côté assez caricatural du style l’en différencie.
Ces courants pourtant très divergents vont cohabiter au Japon jusqu’à aujourd’hui.
Le Japon va servir de modèle pour la Corée d’une manière très forte et pour la Chine dans une moindre mesure.
La Corée passant sous administration japonaise à partir de 1910, les coréens vont créer des institutions sur le modèle japonais. Il y aura une grande facilité pour les artistes coréens d’aller étudier au Japon ou de prendre des cours chez des artistes japonais. Lee Ungno (1924-1989) revient du Japon avec un style très inféodé au style du Nihonga mais va plus tard révolutionner l’art contemporain coréen (le musée Cernuschi a bénéficié d’une donation importante). Chu Kyung (1905-1979) va étudier en Corée et pratiquer un style très académique. Les artistes coréens vont apprendre à s’inspirer des mouvements d’avant-garde occidentaux au travers du Japon. Kim Whanki (1913-1974) est le plus grand artiste coréen du XXème siècle et est un des premiers à faire entrer le modernisme occidental dans l’art coréen. Dans Rondo (1938) il mêle le cubisme synthétique et le néoplasticisme de Mondrian. Yoo Youngkuk (1916-2002) va passer à l’art purement abstrait.
Pour la Chine la situation est différente car si elle a eu des contacts avec l’Occident depuis le XVIème siècle, c’est le Japon qui sera un des premiers vecteurs de modernisation de la peinture à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle.
Gao Qifeng (1889-1933) copie dans le lion rugissant (1927) une œuvre de Takeuchi Seihô qui est un des grands peintres de l’école Nihonga. Le sujet du lion réaliste n’était pas connu de la peinture chinoise et le travail des volumes et des ombrages est un apport occidental au travers du Japon. Un autre artiste, Wang Yachen, va partir au Japon pour y apprendre la peinture à l’huile mais, pour subsister, va produire des œuvres dans le style traditionnel et il reste surtout connu pour ses poissons peints à l’encre et couleurs sur papier. Après les années 1930 il va se produire un repli vers la peinture traditionnelle. Xu Beihong est plus connu pour ses peintures de chevaux que pour ses œuvres occidentalisantes mais lors de son séjour en France il a pratiqué la peinture à l’huile comme dans ses autoportraits ou le lion et esclave (1924). Tout comme Chang Shuhong qui, après s’être formé en France à la peinture à l’huile, va retourner en Chine en 1940 et va revenir vers la grande tradition artistique chinoise. Une des raisons pour ce retour à la tradition est, comme au Japon, le sursaut nationaliste qui les oblige à se repositionner comme des patriotes qui assument leur héritage culturel, le valorisent et le continuent.
Pendant les années de guerre, au Japon, on trouve surtout des œuvres de propagande dans le style du réalisme prolétarien. Il va y avoir une vraie différence entre les arts japonais, coréens et chinois après la seconde guerre mondiale car la situation dans ces trois pays va être très différente.
Les Japonais viennent de connaître la défaite et un drame humanitaire avec Hiroshima et Nagasaki et cela amène à une remise en question de toute la période précédente et à une mise en avant de la souffrance de la population et de celle des artistes. Des artistes, comme en Occident avec le mouvement de l’abstraction lyrique, vont essayer de réaffirmer leur existence en se mettant en prise directe avec la matière comme Kazuo Shiraga (1924-2008) qui fait partie du mouvement Gutaï (concret) fondé en 1954 auquel appartient aussi Matsutani Takesada (né en 1937).
En Corée la situation est différente. Après la fin de la guerre et avant la partition, les artistes vont se poser des questions sur leur propre héritage et essayer de rompre avec la tradition. Lee Ungno considère que sa carrière commence à la cinquantaine et renie son travail précédent. A partir des années 1950, tout en utilisant le travail traditionnel qu’il maîtrise, il essaie de trouver autre chose. Curieusement les artistes coréens de cette époque regardent vers la France alors que Japonais et Chinois se tournent plutôt vers les Etats-Unis. Les mouvements artistiques vont être en adéquation avec les querelles politiques de cette époque et certains artistes vont de nouveau s’intéresser à l’abstraction. Kim Byungki, une figure majeure qui va former les plus grands peintres des années 1950 pratique une abstraction plus proche des années de l’Ecole de Paris. Dans les années 1960 on voit apparaître ce que les Coréens appellent l’art informel et Park Seo-bo produit des œuvres avec plus de matière.
Yamaguchi Takeo, beaucoup plus tourné vers les Etats-Unis, se tourne vers une géométrisation des formes.
La Chine est dans une optique totalement différente à cette époque-là avec une parenthèse qui va des années 1950 jusqu’à la fin des années 1970 avec un art inféodé à la politique, très imprégné du réalisme prolétarien édicté par Mao Zedong. Dans Mao Zedong à Yan’an (1951) l’effet de perspective sur le mur inclus le Grand Timonier dans la lignée des grands penseurs communistes. Les artistes étaient obligés de soumettre leur travail à un comité qui validait ou demandait à un autre artiste de le modifier. La Révolution Culturelle est une période extrêmement dure pour les artistes. Shi Lu, probablement le seul artiste dissident en Chine continentale dans les années 1960, obtient la célébrité grâce à Mao Zedong dans le nord du Shaanxi (1959) qui est très appréciée mais, en 1964, un critique revient sur la peinture pour demander si ce ne serait pas une critique implicite de Mao et Shi Lu va subir une purge.
Le Pop Art est très présent dans les années 1980-90 aussi bien au Japon qu’en Corée et en Chine. Takashi Murakami, au Japon, va s’inspirer de la sous-culture des mangas pour démontrer que l’art est mort et, en Corée, Lee Donggi reprend les sujets issus de la bande dessinée ou de la publicité pour interroger l’intérêt à faire de la vraie peinture. Alors qu’en Chine qui a connu la période maoïste, la population a été gavée par des œuvres figuratives relevant de la propagande. Wang Guangyi va détourner ces images en mettant la propagande au niveau d’une simple publicité dans Porsche (2005). L’Icônisme post-maoïste va produire des œuvres souvent caricaturales pour exorciser la période précédente comme chez Tang Zhigang qui montre des représentants de la société officielle comme des enfants tapageurs incapables de se tenir.
Tous ces mouvements influencés par les modes occidentales et les grands courants internationaux n’empêchent pas la poursuite et l’approfondissement de styles autochtones.
Kayama Matazo poursuit le courant du Nihonga dans le grand paravent Vagues au printemps et en automne (1966) par le support, les techniques, le travail des couleurs posées en à-plat, le sujet de paysage traditionnel, mais essaie de l’adapter à la modernité, en particulier par le traitement des vagues. En Corée, le plus grand peintre traditionnel des années 1960, Kim Ki-chang peint des grands paravents figurant des chevaux en insufflant dynamisme et force au style traditionnel.
D’autre part, les artistes traditionnels vont évoluer tels Domoto Insho qui va faire la synthèse entre les courants contemporains dans les techniques occidentales et les traditions autochtones. En Corée, beaucoup d’artistes vont arriver à un style abstrait avec les techniques traditionnelles. Kim Ki-Chang va lui aussi produire dans les années 1980 des œuvres totalement abstraites.
En Chine aussi il y a un retour à la tradition qui se fait de manière souterraine depuis les années 1980 mais comme il faut se réapproprier toutes les techniques qui ont été oblitérées ce n’est que dans les années 2000 qu’on voit des peintres se placer comme des artistes majeurs sur la scène chinoise. Gu Wenda, probablement l’un des plus grands artistes, connu pour son travail sur la calligraphie avec des paysages plus ou moins abstraits utilise des caractères totalement inventés. Wei Ligang essaie de travailler sur la calligraphie cursive en réduisant la structure de l’œuvre à des cercles entremêlés qui sont les cadres dans lesquels vont s’inscrire les caractères. Après les années de la culture Pop, on a un mouvement qui est en train de prendre le dessus en Chine aujourd’hui avec des artistes qui essaient de revenir à la tradition modernisée.
En dehors de ces grands courants il y a des sensibilités particulières qui ne sont pas faciles à définir. Au japon, un art décoratif presque précieux est illustré avec la calligraphie d’Ishikawa Kyûyô ou l’abstraction géométrique qui est un courant non négligeable au Japon avec le travail de Satoru Sato. Si on regarde les artistes coréens on retrouve le goût du matériau mais avec des géométries qui sont légèrement imparfaites comme dans les œuvres de Chung Chang-sup ou Yun Hyong-keun. En Chine, beaucoup d’artistes travaillent sur le renouveau de l’encre dans la lignée de l’expressionnisme abstrait.
Cet aperçu n’a pas la prétention de couvrir tout le sujet et Maël Bellec avoue n’être qu’au début d’un long travail de recherche.