La Compagnie des Indes – Le commerce de la porcelaine en France au XVIIIe siècle

Mercredi 9 mars 2016 : La Compagnie des Indes – Le commerce de la porcelaine en France au XVIIIe siècle par Gilles Béguin, Conservateur Général Honoraire du Patrimoine – Ancien Directeur du musée Cernuschi.

Les grandes découvertes ont modifié complètement le commerce international et trois pays vont se l’accaparer en grande partie. D’abord le Portugal, qui installe un comptoir en 1553 à Macao, mais le commerce avec le Portugal sera interdit lorsque Philippe II d’Espagne épouse une princesse portugaise pour tenter de le détourner vers les ports espagnols. Les Hollandais, après avoir lutté pour leur indépendance, vont révolutionner le commerce : jusque dans les premières années du 17ème s. le négoce des objets de luxe générait d’énormes bénéfices et les Hollandais vont être les premiers à créer un commerce de masse où le volume compense de moindres bénéfices. Après s’être accaparer le commerce de la Baltique ils créent, en 1602, la Compagnie Néerlandaise des Indes Orientales connue sous l’acronyme VOC (Verenigde Oostindische Compagnie) dont les bâtiments existent toujours à Amsterdam. Sur un tableau hollandais on voit un intérieur tapissé de plats de porcelaines Ming bleu et blanc que les Hollandais vont appeler Kraak porcelain dérivé de caraques, les bateaux portugais qui les transportaient.
La Grande-Bretagne crée la Compagnie des Indes Anglaises en 1600, avec des fonds moitié publics et privés. Cette compagnie britannique connaît une période difficile au 17ème s. mais va dominer le commerce international au 18ème s.

Plat.Periode Jiajing avant 1550.Palais dos Santos.Lisbonne.

Plat. Époque Jiajing avant 1550. Palais Dos santos. Lisbonne.

Atelier de Jan Van Kessel.Anvers.Anvers 1626-1679.Nature morte aux Kraak porcelain.©christie's

Nature morte aux kraak porcelaines. Atelier de Jan Van Kessel. Anvers 1626-1679. ©christie’s.

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Grand plat aux armes de la VOC. 17e s.

En France, les porcelaines chinoises qui décorent les intérieurs à partir du 16ème s. viennent de Hollande. C’est seulement à partir du règne d’Henri IV qu’on voit des initiatives individuelles encouragées par l’État et en 1642 se crée une éphémère Compagnie d’Orient. Il faut attendre Colbert qui, en 1664, rassemble un certain nombre de commerçants, de banquiers et de financiers pour créer la Compagnie des Indes Orientales avec un privilège royal de commerce avec la Chine. Mais celle-ci n’exploite pas ce privilège et reste très modeste si bien qu’en 1698 elle est vendue à M. Jourdan de Groucé qui la rebaptise Compagnie de la Chine et dans la même année arme une frégate, l’Amphitrite, qui va faire deux voyages. Le fret du premier voyage donne lieu à une vente en 1700, à Nantes, qui connaît un immense succès et il y a, entre autres, 167 pièces de porcelaine. Le deuxième voyage a lieu entre 1701 et 1703 et connaît le même succès, entraînant la naissance du «goût chinois» en France qui va dominer la décoration des intérieurs pendant une quarantaine d’années.

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Service avec le décor Merian pour la VOC. Vers 1735.

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Vue aérienne de la forteresse de Port Saint-Louis. ©museedelacompagniedesindes.

Plat aux armes de France.1730.© G. Boudic

Plat aux armes de France (Louis XV) – Porcelaine, Chine, Jingdezhen, vers 1730 © G. Boudic.

Après la mort de Louis XIV, durant la Régence, le financier Law qui veut développer les échanges commerciaux basés sur du papier monnaie fusionne la Compagnie de Chine avec d’autres pour créer la Compagnie perpétuelle des Indes. Après la banqueroute de Law, la Compagnie des Indes va non seulement survivre mais se développer et, entre 1720 et 1770, elle envoie une dizaine de bateaux par an.
La navigation se fit d’abord par cabotage le long des côtes mais on va découvrir qu’en s’en éloignant, on rencontre une inversion des vents qui poussent les navires à grande vitesse jusqu’au cap de Bonne Espérance ce qui rend le voyage beaucoup plus rapide.
Les bateaux français partent d’abord de Brest et de Port Louis, petite ville qui se situe en face de Lorient. Le fort édifié par Vauban abrite aujourd’hui un musée dédié à la Compagnie des Indes et un autre dépendant du Ministère de la Marine.
Si sur les bateaux hollandais, personne n’a le droit de posséder du fret, sur les bateaux français, chaque marin a droit à un coffre où il peut mettre des choses qui lui serviront à faire des échanges avec des produits exotiques à condition que cela tienne dans le coffre. Les officiers ont droit à beaucoup plus de volume. Les grandes familles connaissent toutes un officier à qui l’on passe commande d’un service en versant une certaine somme d’argent. Le dit officier va partir et trouver dans la région de Canton un intermédiaire à qui il transmet la commande en versant la moitié de la somme demandée. Au bout de plus ou moins deux ans, l’officier ou un de ses amis, retourne à Canton, récupère la marchandise et verse la seconde moitié de la somme. Lors de la rentrée en France, les navires disent rencontrer des tempêtes et être obligés de mouiller pour une nuit dans un petit port où, comme par hasard, un membre de l’équipage a des relations. Des chaloupes, profitant de cette halte, vont quitter le bateau, chargées de caisses. Lorsque, finalement, le bateau arrive à bon port, les agents du fisc montent à bord pour calculer la taxe sur la marchandise. On suppose que 30% des cargaisons échappait ainsi au fisc royal. On connaît par les actes notariés, lors des successions, que cette porcelaine chinoise se trouvait essentiellement sur toute la côte Ouest de la France et dans les grandes villes.

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Vase rouleau. Décor de famille verte. Époque Kangxi.©Sotheby’s.

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Aiguière à crosse. Décor de famille rose. Époque Yongzheng. Vers 1725.

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Cabinet de porcelaines au Château de Charlottenburg. Berlin.

On suit très nettement la montée du goût pour les porcelaines chinoises, ainsi entre 1680 et 1718, l’inventaire général de la cour va s’accroître de 1 569 porcelaines. Après les grandes ventes de Nantes de 1722 et 1723, on voit une démocratisation du goût dans toutes les classes de la société avec des marchands à Paris et en province.
Une gravure de Daniel Marot représente un intérieur à la mode à l’époque de la Régence où l’on voit des panneaux dans le style chinois et une profusion de porcelaines. C’est non seulement un phénomène de mode mais aussi un phénomène ostentatoire car les porcelaines ont encore une grande valeur à cette époque. Ces ensembles n’existent plus en France mais on peut en avoir l’écho à Charlottenburg (Berlin) où la salle de porcelaines a été reconstituée après les bombardements de la seconde guerre mondiale d’après des photographies.
On sait que les fabriques chinoises spécialisaient leurs produits en fonction du goût des acheteurs mais on a beaucoup de mal à définir si telle pièce était destinée au marché anglais, français ou hollandais. Jusqu’en 1700 on voit le triomphe des bleu et blanc Ming et du décor dit « Imari chinois». Après l’avènement de l’empereur Kangxi (1662-1730), en 1681, avec la réouverture de la manufacture impériale de Jingdezhen, on voit apparaître un décor appelé «famille verte» qui est importé massivement en Europe. Sous Yongzheng (1723-1736) naît le décor de «famille rose» qui se développera sous Qianlong (1736-1796).
Officiellement, toutes ces porcelaines proviendraient de Jingdezhen où se trouvaient les fours impériaux mais il y avait aussi des centres de céramique à proximité de Canton, à l’intérieur des terres, ce qui permettaient un approvisionnement facile et d’éviter les taxes impériales. Ces fabriques sont censées avoir produit des articles de qualité moindre mais il s’avère qu’on y produisait aussi des pièces de grande qualité directement inspirées des modèles de Jingdezhen.
Parmi les importations on trouve aussi bien des pièces de formes et décors chinois, des pièces de formes détournées (la verseuse à alcool devient une théière et les assiettes et les plats pour le marché européen se distinguent de la vaisselle chinoise par la présence du marli) ainsi que des pièces de formes occidentales. On envoyait des dessins ou des gravures mais aussi des formes en bois, ce qui explique la présence d’objets tels que des tulipières, des cafetières, des aiguières casque, des saupoudreuses à sucre, des salières, des terrines, etc.
Les «Blancs» du Fujian eurent aussi un certain succès car Guanyin figurée avec un ou deux enfants pouvait être identifiée à la Vierge Marie.

Assiette representant Duff directeur de la compagnie des Indes.Yongzhen

Assiette représentant Duff, directeur de la VOC. Époque Yongzheng.

Assiette a decor en grisaille figurant la ressurection.Epoque Qianlong

Assiette à décor en grisaille figurant la Résurrection. Époque Qianlong.

Guanyin.Dehua.Kangxi.© Dresden State Art Collections 2013

Guanyin. Porcelaine. Dehua. Époque Kangxi. © Dresden State Art Collections.

Pot a eau a decor pompadour.ca 1745

Pot à eau à décor Pompadour. Vers 1745.

Les décors de commande s’inspirent de scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament, de gravures de Boucher ou de grands tableaux célèbres, de sujets populaires, maçonniques ou politiques. La figuration de bateaux était plutôt destinée à une clientèle anglaise mais une assiette porte le nom du capitaine hollandais qui avait commandé le service. Les services armoriés connurent aussi une vogue dans toute l’Europe et sont aujourd’hui très recherchés.
On a quelques jalons pour les datations tels les grands vases commandés par le Duc d’Orléans dans le style Imari chinois ou le service de Louis XV. Certaines pièces figurant des sujets politiques datent des années 1790.
C’est sous Auguste le Fort, qu’on va découvrir en Saxe, à Meissen, le secret de la porcelaine avec l’utilisation du kaolin. Bientôt la France va produire aussi des porcelaines à Vincennes, puis à Sèvres dans le goût chinois. Certains modèles chinois inspirèrent beaucoup les fabriques de faïence anglaises.
Avec l’avènement du néo-classicisme, dans les années 1770, le goût pour les chinoiseries va passer totalement de mode.

Assiette peinte à Canton.Commande du commandant Vryburg_1756_Qianlong_period_Canton.Guimet ©World Imaging

Assiette peinte à Canton. Commande du commandant Vryburg. 1756. ©World Imaging.

Assiette decor grisaille la partie de cartes d apres Teniers.1745-1750.©Thierry de Maigret

Assiette à décor de grisaille «la partie de cartes» d’après Teniers.1745-1750. ©Thierry de Maigret.

théière boule couverte.Ecusson famille Edwards.XVIIIème siècle.© DUPONT et Associés

Théière boule couverte. Écusson de la famille Edwards.XVIIIème siècle. © DUPONT et Associes

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