De l’archéologie aux pierres de rêve : sur les traces d’un lettré chinois

Mercredi 13 avril 2011

Compte rendu de la conférence de Eric Lefebvre, Conservateur au musée Cernuschi :
De l’archéologie aux pierres de rêve : sur les traces d’un lettré chinois.

Eric Lefebvre qui est responsable du département des peintures du Musée a abordé le sujet de sa thèse sur Ruan Yuan, résultat d’une étude de huit ans.

Ruan Yuan (1764-1849) né à Yangzhou (Jiangsu) fut un érudit et un haut fonctionnaire de l’empire Qing. Sa célébrité fût telle qu’elle dépassa très tôt les frontières de la Chine comme le suggère le fait que sa biographie ait été traduite en français par Arnold Vissière en 1904.

A cette époque on assiste à un intérêt redoublé de la part des collectionneurs, l’empereur Qianlong en tête, pour les objets anciens et le patrimoine culturel en devenir de la Chine.

La carrière de Ruan Yuan est exemplaire : en 1789, à l’âge de 25 ans, il passe brillamment le jinshi (examen impérial) et est nommé par l’empereur Qianlong à l’Académie Hanlin en 1790. En 1793 il est ministre chargé de l’éducation du Shandong puis du Zhejiang pour devenir gouverneur de la province en 1800, en 1806 gouverneur du Henan ; après une courte période de disgrâce il est nommé en 1817 gouverneur général du Guangdong et du Guangxi, puis de 1826 à 1833 gouverneur général du Yunnan et du Guizhou et termine sa carrière à Beijing avant de prendre sa retraite dans sa ville natale de Yangzhou en 1838. Il aura écrit une cinquantaine d’ouvrages personnels ou de compilations et il se distingue par un esprit curieux et une connaissance encyclopédique. Son travail le plus célèbre est Biographies des astronomes et mathématiciens.

Eric Lefebvre nous propose de relire la vie de ce lettré sous une autre lumière.

Durant les quatre ans qu’il passe à l’Académie Hanlin il va exercer des fonctions
intellectuelles et artistiques auprès de l’empereur, en particulier il est chargé
d’étudier et d’écrire une critique de la collection impériale de peintures et de
calligraphies ce qui va faire de lui un expert pour le restant de sa vie. Un portrait
peint par Zhu Ben le montre dans sa résidence en 1790.

La seconde étape décisive de sa carrière fût sa nomination au Shandong, terre bénie
par la présence du mont Taishan, sujet de nombreuses peintures. Au sommet du mont,
une stèle sans inscription étonnait et interrogeait les lettrés quant à sa date
qu’on disait remonter au premier empereur. Ruan Yuan va faire des recherches pour
trouver d’autres stèles de l’époque des Qin et, en comparant les mensurations,
démontre que la stèle sans inscription date bien de cette dynastie.

Sa quête passionnée pour les vestiges anciens s’accompagne d’études critiques et de publications comme
c’est le cas de la stèle fragmentaire Taishan Keshi (dyn. Qin) qui se trouve au
Musée Daimiao (Taishan, Shandong).

Son enthousiasme et sa passion le mettent en
contact avec d’autres chercheurs tels que Huang Yi. Selon la méthode de Huang Yi,
les stèles sont collectées et parfois mises à l’abri dans des temples, puis elles
sont estampées et publiées. En 1793, il exhume deux grandes statues provenant d’une
tombe Han. Il les fait mettre à l’abri dans le temple de Confucius à Qufu (Shandong).
Une inscription de Ruan Yuan commémorant leur déplacement est gravée au dos des statues.
Une gravure les représente déjà dans une publication de 1821, le Jinshi suo.

La troisième étape décisive dans la vie de Ruan Yuan fût sa nomination au Zhejiang,
une province moins riche en vestiges archéologiques, mais qui constitue néanmoins un
foyer culturel de premier ordre. Il se fait construire une résidence sur une île au
nord du Lac de l’Ouest à Hangzhou. Cette ville est célèbre pour sa culture et ses
littérateurs et Ruan Yuan va créer un petit cénacle. Depuis son séjour au Shandong,
il collectionne les bronzes anciens et son intérêt pour l’épigraphie le porte à
collectionner vases, monnaies, armes, miroirs et estampages. Il publie en 1804 un
ouvrage où sont figurés des objets provenant de sa collection et de collections de
plusieurs amateurs (Jigu zhai zhong ding yiqi kuangzhi) qu’il commente et dont il
étudie et transcrit les inscriptions.

Une peinture de la Bibliothèque Nationale de Chine datant de 1803 le montre en
compagnie de Zhu Weibi et Ruan Changsheng au milieu d’objets de sa collection.

En 1809, une personne travaillant sous son autorité est condamnée pour corruption
et Ruan Yuan est rappelé à la capitale. Sa disgrâce durera très peu de temps car,
en 1817, l’empereur Jiaqing le nomme gouverneur général de deux provinces à problèmes
(menées anti-manchou et traffic d’opium), le Guangdong et le Guangxi. Un portrait le
montre dans le costume somptueux de mandarin de deuxième rang.

Un lieu célèbre pour ses inscriptions ne pouvait qu’attirer son attention, Zhaoqing,
dont les falaises abritent des centaines d’inscriptions gravées. Une carrière de
pierres à encre est proche de ce lieu. Ces pierres de Duan xi étaient très recherchées
par les lettrés pour leur beauté et leurs qualités usuelles. Alors qu’il commence une
collection de pierres de Duan, il détecte des faux provenant de la carrière de Chakeng.
Il est frappé par la qualité de ces pierres et demande aux artisans de ne plus les
travestir mais d’utiliser la gangue ocre jaune pour créer des paysages. Il en achète
une centaine qu’il fait sculpter et graver. Ces pierres sont uniques par la qualité
picturale due à ses grandes connaissances de la peinture.

En plus des pierres à encre, Ruan Yuan va développer un goût pour les pierres de rêve.
Il compose un poème devant le Jiu ma huan shan, le comparant à une peinture de pierre.
Une pierre de rêve portant une inscription de Ruan Boyuan en marbre de Dali
(Metropolitan Museum. N.Y.) illustre bien cet enthousiasme.

Sa nomination au Yunnan le désole car il se trouve loin de ses amis lettrés. Il va
faire graver des poèmes sur des pierres de rêve qu’il expédie à ses amis dans toute
la Chine. A cette époque, il fait construire un pavillon où était exposée sa collection
de peintures de pierre. Son goût et ses connaissance en peinture le mène à les transposer
sur la peinture de pierre. Il va réaliser un catalogue imposant de peintures de pierre en
marbre de Dali.

En 1838, il prend sa retraite et revient dans sa ville natale de Yangzhou. Au moment du
décès de son père, Ruan Yuan avait fait construire un temple familial. Ce temple va jouer
un rôle important, car à la destruction de sa résidence principale, il va y placer une
partie de ses collections. Il va ainsi consacrer de nombreux vases rituels en bronze au
temple qui seront malheureusement dispersés lors de la révolte des Taiping. Un portrait
le montre en compagnie de Zhang Tingji contemplant un vase en bronze et une brique Han.
Le musée Cernuschi possède deux estampages de vases rituels en bronze provenant du temple familial.

Il avait aussi déposé certains objets dans le temple de l’île de Jiaoshan (Jiangsu) :
manuscrits, livres et bronzes. En 1809 il avait conçu une charte pour la protection et
la conservation de ses dons qui se trouvaient ainsi placés dans un lieu ouvert et sous la
protection des moines pour l’éternité selon ses propres termes.

Il est probable qu’il est le premier créateur de bibliothèque et de musée en Chine.

Son ouvrage de 1804 a fait de lui une autorité en épigraphie et son influence fût grande
sur la nouvelle école épigraphique de la fin du 19e et du début du 20e siècle.

Sa collection a été dispersée durant les années de troubles, mais on retrouve ses objets
dans les musées et les grandes collections chinoises et japonaises.

Eric Lefebvre insiste sur l’approche très moderne de Ruan Yuan dans l’étude des objets
anciens : collectionner, comparer, étudier et publier avec des illustrations visuelles
des objets afin de replacer les inscriptions dans leur contexte.

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