ART SACRE DU TIBET – Collection Alain Bordier

Visite de l’exposition Art Sacré du Tibet – Collection Alain Bordier à la Fondation P. Bergé – Y. Saint-Laurent commentée par Gilles Béguin.

Cette collection accumulée durant une vingtaine d’années par Alain Bordier a été « institutionnalisée » en 2009 par la création d’une fondation et d’un musée à Gruyères, en Suisse. Les pièces choisies par Gilles Béguin, commissaire de l’exposition, couvrent l’histoire du Tibet du VIIe au  XVIIe siècles.

Le Tibet entre dans l’histoire avec son unification puis l’introduction du bouddhisme par le roi Srong-brtsan sgam-po (vers 610-649). Après l’assassinat du roi Glang-dar-ma (vers 832-842), l’empire tibétain connaît des troubles dynastiques et des querelles religieuses qui vont conduire à l’anarchie. Vers 866, un prince issu de la branche cadette de la famille royale se réfugie au Tibet occidental et recrée un royaume autour de Gu-ge. Ces souverains, fervents bouddhistes, vont renouer avec la tradition du bouddhisme indien et invitent des maîtres indiens à venir enseigner à la cour, de même qu’ils envoient de jeunes moines se former au Cachemire. L’art du métal y connut un développent considérable mais, seule, une petite statuaire essentiellement bouddhique nous est parvenue, en partie, par l’intermédiaire des temples tibétains qui en conservent de très nombreuses pièces. Héritier de l’art du Gandhara, l’art cachemirien conserva très longtemps des traits occidentaux tels que les drapés et une attention particulière à la musculature masculine, même stylisée. Cet art va fortement influencer la production artistique du Tibet occidental. Les statuettes en laiton se caractérisent par des incrustations d’argent, des visages ronds, une certaine sensualité dans le traitement du corps avec un nombril aux plis fortement marqués (Bouddha Sâkyamuni en souverain du monde ou la Déesse Târâ sous son aspect Syama, tous deux en laiton incrusté d’argent).

L’art de l’Inde du Nord-Est est une autre composante de l’art tibétain. Sous la domination des dynasties Pâla (750-1162) et Sena (1162-1200) le Bengale et le Bihâr connaissent une période de paix et de prospérité. Les grandes universités bouddhiques telles que Nalanda, spécialisée dans l’étude des textes tantriques, attirent des étudiants de tout le monde bouddhique, de l’Indonésie à la Chine. L’abondante production artistique perpétue les canons de l’époque Gupta (320-647) (bodhisattva Avalokitesvara pensif en laiton) mais va évoluer vers une stylisation de plus en plus poussée au cours des siècles (Abbé du monastère de sTag-lung, pigments à la détrempe sur coton). L’expression art « pâla international » permet de donner une unité à ce courant artistique malgré des variations régionales et chronologiques. Avec le temps, les caractéristiques du style « pâla international » vont se fondre avec d’autres traditions d’origines cachemirienne et népalaise pour donner naissance à une esthétique authentiquement tibétaine. Les sculptures et les peintures présentent un géométrisme particulier et divers motifs caractéristiques : stylisation des formes, le type de joaillerie, une grande sinuosité et un certain élan (bodhisattva Manjusrî en laiton).

Le bouddhisme introduit très tôt au Népal y connaît un remarquable développement. Alors que vers 1200, les Etats de l’Inde du Nord sont anéantis par les invasions islamiques, le royaume Newar (vers 740-1482) y échappe, ce qui permet une continuité artistique raffinée, héritière de l’art gupta, qui évolue sans être touchée par la stylisation de l’art « pâla international ». La qualité technique des œuvres népalaises, leur élégance et leur virtuosité décorative les feront appréciées dans tout le monde lamaïque (Kubera ou Jambhala et bodhisattva Avalokitesvara sous son aspect Padmapâni, tous deux en cuivre doré avec incrustations de pierres fines). Cette influence ira jusqu’en Chine où l’art newar rayonnera sous les dynasties Yuan (1279-1368) et Ming (1368-1644). Bronziers, dinandiers et peintres newars seront employés durant des siècles sur les chantiers du Tibet. Les peintures de style « népalisant » montrent de nombreux motifs décoratifs présents dans l’art newar : registres scandés par des arcatures, pilastres ornementés, larges crosses de lotus, fond couvert d’un décor tapissant de petits rinceaux traités en camaïeu, joaillerie caractéristique… (Mandala de Hevajra, pigments à la détrempe sur toile).

Depuis peu, on redécouvre un petit état situé sur tout l’ouest du Népal et une partie du Tibet occidental au XIIIe et XIVe siècles, dont la capitale était Semjâ (Jumla), le royaume des Khâsa Malla. Un art original s’y développe dont les racines se trouvent dans la vallée de Kâthmându (Bouddha couronné en cuivre doré).

Des sculptures en cuivre doré, matériau privilégié des artisans newari, présente une riche dorure à l’amalgame de mercure. Des ciselures et des incrustations de pierres fines confèrent à ces œuvres un caractère raffiné (Bodhisattva Manjusrî sous son aspect Manjughosa, cuivre doré incrusté d’argent, de corail et de pierres fines).

Un second groupe de petites sculptures en laiton, dépourvues d’ornements de surface à l’exception d’incrustations de cuivre rouge ou d’argent, présente des influences cachemiriennes et pâla (Bouddha Sakyamuni copie de la statue de pierre qui ornait la cella du temple de Mahâboddhi de Gâyâ en Inde).

Un style de peinture proprement tibétain s’épanouit, parallèlement à l’influence newari, riche de références à l’art du Tibet occidental et à l’esthétique « post-pâla ».

Le bouddhisme lamaïque est très favorisé par les empereurs Yuan, les premiers Ming puis par les Qing (1644-1911) qui multiplièrent les fondations de temples et de monastères. Les influences réciproques entre l’art tibétain et l’art bouddhique traditionnel chinois sont assez mal connues. Les sculptures en bronze doré d’influence chinoise sont souvent d’une perfection froide (Amitâyus daté du règne de Yongle – 1403-1424 en bronze doré). Une école picturale se développe au XVIe siècle qui, tout en restant fidèle aux techniques picturales tibétaine, emprunte des motifs à la peinture chinoise tels les tons clairs du lavis, le rendu des nuages et des éléments paysagés (Mahâkâla, gardien de la religion, pigments à la détrempe sur coton).

Les rituels souvent fastueux du bouddhisme tibétain nécessitent l’emploi d’instruments liturgiques tels les vajra (foudre), clochettes, kîla (dagues rituelles) ou boîtes rituelles.

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