Les textiles fukusa et l’échange de dons au Japon

Mercredi 10 avril 2019: Les textiles fukusa et l’échange de dons au Japon  par Manuela Moscatiello, responsable des collections japonaises au musée Cernuschi.

Manuela Moscatiello rappelle que ce sujet a été très peu étudié alors que ces textiles sont très importants dans la vie sociale japonaise. Le mot fukusa est une terme général qui suggère un tissu léger et souple en soie, souvent doublé,  généralement de forme carrée, dont la taille peut varier.
La coutume japonaise d’emballer les objets dans un textile pour les transporter est ancienne et les furoshiki sont toujours très utilisés. Généralement en coton ils sont utilisés aussi comme sacs. Les kakebukusa sont, eux employés pour accompagner un don. Il y a aussi les textiles destinés à être placés sous des objets pour les empêcher de glisser d’une table ou d’un autel, dashifukusa ou uchishiki. Enfin les chabukusa sont utilisés durant la cérémonie du thé pour débarrasser les objets de la poussière ou de l’humidité.

L’art d’envelopper un cadeau dans un furoshiki de crêpe de soie.

Kakebukusa figurant trois grues en vol au-dessus des flots. Satin de soie brodé.

Kakebukusa figurant un lion shishi encadré de pivoines. Peinture de Katsushika Hokusai sur un crêpe de soie. ©MFA.

La conférence va se concentrer sur les kakebukusa, liés à une pratique très commune au Japon qui est à la base de la société japonaise et fait partie de l’étiquette: l’échange de cadeaux. Le cadeau doit être en rapport avec un certain moment, que ce soit les festivals saisonniers, un événement de la vie (naissance, anniversaire, obtention d’un diplôme, mariage, départ en retraite, décès), etc. Le décor du kakebukusa joue un rôle important, car ce textile est une sorte de billet d’accompagnement du cadeau et est porteur d’un message transmis par l’image. Lorsqu’on présente un cadeau, il est posé sur un plateau ou sur une petite table et recouvert d’un kakebukusa.  Le cadeau peut être un objet ou de l’argent et il est offert dans l’intimité ; de plus, on ne doit pas montrer de réaction lorsqu’on le reçoit. Les cadeaux sont importants dans la vie sociale japonaise car il fortifient les liens de la société. Les kakebukusa doivent donc exprimer un message et le récipiendaire doit admirer le textile mais le retourner à l’expéditeur. Le  musée Victoria&Albert de Londres a une collection remarquable de kakebukusa  qui provient d’un marchand de thé installé au Japon dont l’épouse a conservé tous les textiles venant de la cour, feignant de ne pas connaître l’étiquette.
Au Japon, l’utilisation d’un objet est très lié à son aspect esthétique et il est normal d’utiliser un bol ancien dont on peut apprécier la beauté tous les jours ; les kakebukusa font souvent partie du patrimoine familial et peuvent être transmis sur plusieurs générations, d’où leur valeur. Les grandes familles faisaient orner la doublure avec le blason du clan.
Les kakebukusa peuvent être décorés de différentes manières: avec des broderies (shishū), des teintures (yūzen qui consiste à utiliser une pâte de riz pour créer des réserves) ou peints à la main (gaku-e). De même, ils peuvent être faits de divers textiles: satin damassé (rinzu), satin précieux (shusu), satin damassé plus épais (donsu), crêpe de soie (chirimen), brocart de soie imitant la tapisserie (tsuzure ori). Plusieurs types de points sont utilisés: passé-plat (hira-nui), point long et point court pour un effet réaliste (sashi-nui). Pour donner encore plus de richesse au textile on peut utiliser du fil de papier doré ou argenté (koma-nui), technique d’origine chinoise. Pour le tsuzure ori, l’artisan travaille au-dessus du modèle peint à l’envers sur un papier et certains liment leurs ongles en râteau pour avoir une plus grande précision. Ce procédé est tellement compliqué que seulement quelques centimètres carrés sont tissés par jour. Souvent ces textiles tsuzure ori utilisent des motifs d’inspiration chinoise.

Kakebukusa figurant un phénix. Brocart de soie tsuzure ori.

Artisan travaillant sur un brocart du type tsuzure ori. ©M.Moscatiello.

Ongle limé en râteau de l’artisan travaillant sur un tsuzure ori. ©M.Moscatiello

Papier doré pour réaliser le fil de papier doré.

Les motifs utilisés sont en rapport avec le message de souhait de bon augure que l’on désire transmettre:

  • La nature avec les trois amis de l’hiver – pin, bambou, et prunus en fleur – (persévérance, longévité), les chrysanthèmes jaune (immortalité), blancs ou de couleur (festival du mois de septembre), les mandarines (santé et longévité, vœux du Nouvel An), etc.
  • Les animaux auspicieux tels que la grue (longévité ou vœux de mariage), la tortue avec une traîne d’algues minogame (longévité), la langouste (longévité), la carpe (longévité et virilité), le dragon (prospérité), le phénix (longévité, immortalité), etc.
  • Des objets auspicieux faisant référence à des festivals saisonniers, à la littérature classique (Genji monogatari), au théâtre nō, aux jeux (cartes à jouer hanafuda), ou aux évènements de la vie (boîte en forme de petit chien (inu hariko) offerte pour une naissance, jeu de coquillages kai-awase pour des vœux de mariage), etc.
  • Des divinités ou des personnages (les sept divinités de la bonne fortune, les sept sages dans la forêt de bambous, les deux personnages de la légende de Takasago pour un souhait de longue vie pour un couple), etc.

Kakebukusa figurant deux tortues minogame. Satin de soie brodé et fils de papier doré.

Kakebukusa figurant une carpe jaillissant des flots. Satin de soie brodé et fils de papier doré. ©Musée de arts décoratifs.

Kakebukusa figurant les boîtes en laque contenant le jeu de coquillage. Satin de soie brodé et fils de papier doré. ©MFA.

Manuela Moscatiello a eu la chance, lors de son séjour à Kyōto, de pouvoir contempler des kakebukusa commandés par le cinquième shogun TokugawaTsunayoshi (1646-1709) qui sont des chefs-d’œuvre de broderie et d’une richesse incroyable.

Au 19ème s., les kakebukusa qui sont importés en Occident sont utilisés de manière totalement différente: comme napperons, pour couvrir des coussins mais aussi pour garnir des pare-feu, encadrés et accrochés aux murs, ceci explique qu’on en trouve autant dans les collections de musées occidentaux (le musée des arts décoratifs de Paris en possède une remarquable collection).

Kakebukusa figurant un lotus. Crêpe de soie teint par le procédé yuzen et rehaussé de fils de papier argenté.

Kakebukusa figurant Jō et Uba sous un pin (personnages de la pièce nō Takasago). Satin de soie brodé et fils de papier doré.

Kakebukusa figurant les sept sages dans la forêt de bambou. Satin de soie brodé et fils de papier doré. ©Victoria & Albert.

Pour résumer, les fukusa et plus particulièrement les kakebukusa réunissent toutes les compétences de l’art textile japonais.

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