Bouddha, la légende dorée
Mercredi 26 juin 2019: Bouddha, la légende dorée, visite-conférence par Sylvie Ahmadian, conférencière au musée national des arts asiatiques – Guimet.
Sylvie Ahmadian rappelle tout d’abord que le bouddhisme, né au 5ème s. dans le Nord de l’Inde, s’est répandu en Asie en suivant différentes routes. L’enseignement du Bouddha a voyagé jusque au Sri Lanka et, de là, a essaimé vers l’Asie du Sud-Est (il s’agit du bouddhisme theravāda, aussi appelé Hīnayāna ou Petit Véhicule). Parallèlement, une diffusion s’est faite sous les Kouchan, vers Mathura et le Gandhara, aux alentours du 2ème s. av. J.C. De là, il a suivi les routes caravanières pour aller jusqu’en Chine, puis gagné la Corée et le Japon (il s’agit du bouddhisme Mahāyāna ou Grand Véhicule). Le Mahāyāna va aussi se propager aux alentours du 7ème s. de notre ère vers Sumatra et Java. Enfin, une troisième école, le Vajrayāna (aussi appelé bouddhisme tantrique) prend forme au 7ème s. dans le Nord de l’Inde, à Nalanda. Il va connaître un grand succès dans le monde himalayen, atteindre la Mongolie et sera adopté par les empereurs de la dynastie Qing (1644-1911).
La première partie de l’exposition est consacrée aux vies antérieures du Bouddha qui sont commentées dans un ensemble d’écrits: les Jātaka. Ces contes, au nombre de 547, ont une valeur moralisante et servent d’exemples.
Un ensemble de sculptures en terre séchée provenant de Tumshuq des 6ème-7ème s. (Xingiang) illustre trois des vies antérieures. Celle illustrant le Shankhacharya Avadāna, montre le boddhisattva assis en méditation entouré de deux apsara. On peut voir que des oiseaux ont fait leur nid dans son chignon et le boddhisattva aurait fait le vœu de rester immobile jusqu’à ce que les oisillons puissent s’envoler. Un long manuscrit birman peint sur papier (Mandalay, 1869) raconte le Nemi Jātaka: Le roi Nemi était tellement sage que les dieux l’invitèrent aux cieux, cependant, le roi demanda à visiter les différents enfers et cieux. Tout au long du rouleau, on le voit assis dans le char d’Indra, au-dessus d’effrayants tourments ou de palais constellés de pierreries.
Vient ensuite la vie de Siddhārtha Gautama, depuis sa naissance jusqu’à son parinirvāna. De nombreuses sculptures évoque sa naissance. L’œuvre en alliage de cuivre doré incrusté (Népal, 19ème s.) montre la reine Maya tenant la branche d’un arbre constellé de turquoises et de corail (symbole de fertilité et d’abondance), dans la posture du tribhaṅga (triple flexion), le visage éclairé d’un léger sourire. L’enfant apparaît, mains jointes, sortant de son flanc droit, afin de ne pas être souillé et sans la blesser. Cependant, Maya décèdera sept jours plus tard.
L’enfant, dès sa naissance et après avoir été baigné, va faire sept pas dans les directions cardinales. Puis il aurait poussé un «rugissement» pour proclamer sa primauté dans le monde. Une sculpture en bois laqué et doré (Vietnam, fin 18ème s.) montre le futur bouddha, debout sur une fleur de lotus entouré de dragons bondissant hors des vagues (dans le monde chinois, les dragons ont remplacé les nāga qui baignent l’enfant).
Le prince va grandir à la cour de son père, le roi Śuddhodana. Comme le sage Asita , ayant observé les trente-deux marques distinctives d’un être d’exception, avait prédit qu’il serait un souverain universel (chakravartin) ou Bouddha, le roi, peu soucieux de voir son héritier chercher une voie spirituelle, lui offrit une vie de plaisir dans le palais de Kapilavastu. Selon les vœux de son père, Siddhārtha Gautama va prendre épouse et aura un fils. Cependant, poussé par la curiosité, le prince va sortir du palais nuitamment à quatre reprises et faire successivement quatre rencontres: un vieillard décrépit, un malade, un mort pleuré par sa famille et un ascète. Comprenant que son destin était de trouver la voie pour échapper à la vieillesse, la maladie et la mort, Siddhārtha décida de quitter le palais clandestinement et de se consacrer à sa quête spirituelle. Ce «grand départ» a été illustré de nombreuses fois et un bas-relief en calcaire provenant d’un stupa d’Amarāvatī (2ème s.) est particulièrement intéressant. On y voit un cheval dont les sabots sont soutenus par des génies pour étouffer ses pas et portant un cavalier invisible protégé par un parasol (symbole de royauté). On comprend qu’il s’agit du futur Bouddha, car dans les premiers temps du bouddhisme, les artistes ne représentaient pas le bienheureux mais le suggéraient par des symboles tels que la roue de la loi, un trône vide, un parasol, etc. Il est à noter que le cheval est vu allant vers la gauche, ce qui sous-entend que la narration se faisait autour du stupa en ayant la paroi à main droite selon le principe de circumambulation rituelle.
S’étant dépouillé de tous ses attributs princiers, Siddhārtha va couper ses longs cheveux et renvoyer son fidèle écuyer Chandaka et son cheval Kanthaka au palais. Il commence sa quête spirituelle auprès de grands religieux sans qu’il y trouve de réponse à ses interrogations. Il va entamer une longue période d’ascèse dont il sortira convaincu que ce n’est pas la bonne voie. Se rendant à Bodhgaya, il entra dans une profonde méditation et aux termes d’intenses combats intérieurs (symbolisés par les assauts de Mara, le démon de la mort). Siddhārtha va s’éveiller à une conscience supérieure. Le Shakyamuni ascète (autre nom de Siddhārtha signifiant sage des Shakyas) a fait l’objet de nombreuses représentations. Un dessin à l’encre et pigments rouges sur papier, de Kawanabe Kyosai (1831-1889), montre le futur Bouddha dans une pose proche de celle du délassement royal, pose réservée normalement aux boddhisattvas, comme le sceptre nyoi qu’il tient dans la main droite. Les traits tirés, le corps creusé ne sont pas sans évoquer les images émaciées gandhariennes. Une représentation courante en Asie du Sud-Est est de figurer Shakyamuni en méditation sur les anneaux d’un nāga qui le protège de son capuchon à multiple têtes. C’est le cas de la sculpture khmère en grès (11ème s.) dans le style du Baphuon d’Angkor. Ceci évoque l’épisode où le roi des nāga, Mucilinda, lors d’une effroyable tempête, suréleva le futur Bouddha et le protégea de son capuchon.
Une peinture sur soie du 10ème s. provenant des grottes de Mogao (Dunhuang) décrit l’assaut de Mara, le démon de la mort et de l’enchaînement dans le cycle des renaissances (samsara). Shakyamuni est assis sur un trône multicolore (le vajrāsana ou trône de diamant), abrité sous un arbre formant un dais. Impassible il fait le geste de «la prise de la Terre à témoin» (bhūmisparshamudrā) alors qu’autour de lui grouille une armée de démons. Dans la partie inférieure, les sept trésors d’un souverain chakravartin sont figurés: la roue, l’épouse, le ministre, l’éléphant blanc, le cheval blanc, le coffre symbolisant le trésorier et le joyau exauçant les désirs.
Une sculpture gandharienne (4ème-5ème s.), provenant du Pakistan, montre l’Éveillé faisant le geste de mise en branle de la roue de la Loi (dharmachakramudrā). Ce geste évoque le premier sermon, dans le parc des gazelles de Sarnath, où il dévoile les quatre vérités:
- La naissance est une souffrance, la vieillesse est une souffrance, la maladie est une souffrance, la mort est une souffrance.
- Les souffrances existent parce qu’il y a des causes qui entraînent leur apparition. Donc il est tout à fait logique de connaître quelles sont ces causes.
- Une fois que les origines sont connues, on agit sur les causes pour les éradiquer, jusqu’à atteindre la «libération finale».
- La quatrième noble vérité est celle du chemin menant à la cessation des souffrances, c’est le noble sentier octuple.
Sur certaines représentations, des gazelles sont figurées au bas du trône sur lequel est assis le Bouddha, la roue de la Loi peut aussi y être sculptée. Un autre relief gandharien en schiste (1er-3ème s.), provenant aussi du Pakistan, présente Shakyamuni entouré de ses disciples, assis sous le figuier, effleurant une roue posée sur le triratna en forme de trident qui évoque les trois joyaux du bouddhisme (Bouddha – l’éveillé, Dharma – l’ensemble des enseignements et Sangha – l’ensemble de la communauté), le dit triratna reposant sur une deuxième roue encadrée de gazelles.
A la suite de la prédication, une communauté tant laïque que religieuse se développe et ses disciples vont être les propagateurs de la Loi. Parmi eux, les deux grands disciples, Mahakashyapa, souvent représenté comme un personnage austère et âgé, et Ananda, plus jeune, caractérisé par sa douceur, son humilité et sa prodigieuse mémoire, assurent la transmission du bouddhisme.
Un relief en schiste gandharien (1er-3ème s.) figurant trois moines assis, dans le style influencé par l’art gréco-romain, pourrait faire penser que ce sont de véritables portraits.
Deux statues d’Ananda et de Mahakashyapa sont caractéristiques de la statuaire de l’époque Sui (581-618). Sculptées dans le marbre et presque de grandeur nature, elles portent encore des traces de la polychromie qui ornait le vêtement monastique. Ces deux statues devaient encadrer une image centrale du Bienheureux. A partir du 6ème s., en Chine, ces deux disciples vont faire partie d’un ensemble composé de cinq personnages: Shakyamuni au centre entouré de deux boddhisattvas, chacun accompagné d’un des grands disciples.
Les arhat (littéralement ceux qui méritent d’être honorés) vont prendre une place importante dans le développement de la foi et sept d’entre eux avaient été choisis par le Bouddha pour perpétuer la Loi bouddhique jusqu’à l’arrivée du Bouddha du Futur, Maitreya. Bien qu’issus de la doctrine Hīnayāna, ils vont être adoptés par les bouddhistes adeptes du Mahāyāna et c’est au Tibet, en Chine et au Japon qu’on rencontre le plus de témoignages de leur vénération. Trois arhat en porcelaine aux émaux de la famille rose ont probablement été commandés par l’empereur Qianlong (1736-1795) lors de son 80ème anniversaire (1790) et faisaient partie d’un ensemble de dix-huit statues entourant un Bouddha. Ces trois statues représentent un tour de force technique des fours de Jingdezhen. De même, l’empereur fit gravé des plaques de jade figurant les seize arhat, dont trois exemplaires sont au musée Guimet. Les sages sont dessinées dans le style du moine poète, peintre et calligraphe Guanxiu (832-912). Ces plaques relèvent aussi de la virtuosité technique: la finesse de la gravure est rehaussée par une application de feuilles d’or et d’encre de chine pour certain détails.
Le manteau liturgique des moines bouddhistes est appelé kesa (kashaya en Inde) au Japon. La légende raconte que Shakyamuni demanda à Ananda de concevoir un vêtement pareil au paysage de rizières pour ses disciples. Ceci explique que le manteau soit fait de morceaux de tissu assemblés en patchwork. Certains peuvent être d’une incroyable richesse tel celui, datant du 18ème s. et provenant de Chine, qui est composé de trois bandes de satin de soie brodé avec des applications de fils d’or, de corail et de perles. Un autre, japonais de la fin du 18ème s., est constitué d’un patchwork taillé dans un somptueux tissu utilisé pour la confection des robes du théâtre no.
Les premiers enseignements se sont faits oralement et les dires du Bouddha ne furent consignés par écrit qu’à partir du 1er s. av. J.C. au Sri Lanka. La codification du canon chinois daterait du 5ème s. et la première édition xylographique du 10ème s., sous les Song (960-1279). En Asie du Sud-Est, les manuscrits sont de forme oblongue et souvent écrits sur des feuilles de palmier (ôles) percées d’un ou deux trous pour les assembler et sont protégées par deux couvertures en bois. Un manuscrit birman (kammavaca, littéralement «paroles des actes»), datant du 19ème s. est particulièrement précieux car il est écrit en laque noire dans le style dit graine de tamarin sur des lames d’ivoire.
Selon la légende, Shakyamuni voyagea pendant quarante-cinq années pour dispenser sa connaissance. Au cours de ces pérégrinations de nombreux miracles et conversions spectaculaires eurent lieu. Le plus célèbre est le miracle de Shravasti où le Bouddha s’élève dans les airs, l’eau s’écoule de ses pieds, des flammes jaillissent de ses épaules. Une stèle gandharienne en schiste du 3ème-4ème s. illustre bien cet épisode. Il est à remarquer que sous les Kouchan, l’art gréco-romain est aussi influencé par l’Iran proche: auréole en forme de soleil, léogryphes bondissant, etc.
Une sculpture en bronze doré de la dyastie Wei du Nord (386-535) montre les bouddhas Shakyamuni et Prabhūtaratna. Ce dernier, un bouddha du passé, avait émis le vœu de pouvoir écouter la prédication du Sutra du Lotus et de la Bonne Foi, un des textes fondateurs du bouddhisme. Cette charmante représentation des deux bouddhas, assis l’un à côté de l’autre, incarne la promesse d’universalité, par-delà le temps et l’espace, chère au bouddhisme Mahāyāna.
Un thangka tibétain du 19ème s. figure le sermon sur le pic des vautours à Rajagriha. Dans le Sutra du Lotus et de la Vraie Loi, Shakyamuni rapporte que, bien qu’il soit entré au nirvana, il réside éternellement sur le pic des Vautours, Terre Pure peuplée de jardins, d’arbres constellés de joyaux, de fleurs et de fruits. Au centre, le Bouddha trône sous un arbre fleuri et orné de perlages tenant un lotus épanoui dans sa main droite. Il est entouré de moines, de boddhisattvas et de déités. Un autre thangka de la même série dépeint la descente du ciel des trente-trois dieux: le Bienheureux est ici figuré lors de sa descente de ce séjour céleste où il s’était rendu afin d’enseigner la Loi bouddhique aux divinités, tout particulièrement à sa mère qui, décédée peu après sa venue au monde, n’avait pu bénéficier de l’enseignement dispensé par son fils sur terre.
Au terme de sa vie, le Bouddha est entré dans le nirvāna dans sa quatre-vingtième année à Kushinagara, capitale du royaume Malla. Cette épisode, appelé le parinirvāna (complète extinction), est assez souvent représenté comme sur le relief gandharien en schiste (Pakistan, 1er-3ème s.). On y voit Shakyamuni couché sur le flanc droit entouré de ses disciples éplorés. Après la cérémonie de crémation, les monarques des royaumes avoisinants réclamèrent une part des cendres et, grâce à l’intervention du sage brahmane Drona, on évita une guerre des reliques. Celle-ci furent partagées équitablement entre les huit différents états. Chaque roi fit élever un stupa, tertre funéraire destiné à abriter les restes du Bienheureux. A l’origine, probablement un amas de pierres, ces stupas prirent dès le 2ème s. av. J.C. une forme hémisphérique posée sur un soubassement et furent construits en matériaux pérennes comme à Sānchī. La forme globale de ce type de monument a beaucoup évolué dans le temps et dans l’espace et des stupas furent érigés pour abriter des reliques mais aussi pour commémorer un saint personnage. Un exemple précieux a été réalisé sous le règne de l’empereur Qianlong (1736-1795). Sous les Qing, le bouddhisme tibétain étant devenu la religion officielle en Chine, ce grand stupa (H. 97cm) a la forme typique du chorten tibétain et a été réalisé en cuivre doré et incrusté de turquoises ; il était probablement destiné à une chapelle impériale.
La dernière partie de l’exposition est consacrée aux différentes représentations du Bouddha en fonction des régions. Sculpté en haut relief sur un montant de balustrade en grès rouge provenant de Mathura (1er-2ème s.), le Bouddha esquisse le geste de l’absence de crainte (abhayamudrā) de sa main droite tandis que la gauche retient un pan de son vêtement. La tête se détache sur un nimbe circulaire festonné surmonté d’un parasol, insigne de dignité. Si l’urna est visible à la jonction des sourcils, la protubérance crânienne (ushnisha) n’est évoquée que par un chignon torsadé. C’est sous les Gupta (320-550) que les critères de représentation du Bouddha vont se fixer en Inde et essaimer de par le monde. Une statue en grès provenant de Sarnath (fin du 5ème s.) est caractéristique de ce style: le rendu diaphane du vêtement souligne, encadre et épouse les formes sveltes et épurées. Des trente-deux signes de l’homme éminent, cette image possède le torse de lion, les jambes d’antilope et les trois plis de beauté sur le cou.
Une stèle en roche cristalline de Bihar, d’époque Pala (8ème-12ème s.), figure le Bouddha Māravijaya (vainqueur de Mara) dans l’acte de prendre la Terre à témoin. Assis sur un trône de lotus, il est protégé par un parasol et est encadré de deux boddhisattvas. Deux apsaras présentent des guirlandes fleuries de chaque côté de sa tête. Une tête khmère, en grès, dans le style du Bayon (12ème-13ème s.), reflète la sérénité et la douceur propres à cette époque. La très belle tête de Bouddha en bronze, de l’époque d’Ayutthaya (Thaïlande, 16ème s.), montre le Bouddha en majesté, paré d’un diadème-casque en harmonie avec la pompe royale contemporaine. Un Bouddha assis coréen, de l’époque Koryo (11ème-12ème s.) fait le geste de la prédication (vitarkamudrā). Il est en bois doré et présente une particularité: une coque nue et vide se détache à la base de l’ushnisha sur la chevelure noire hérissée de boucles serrées. Ceci serait un héritage des Liao (907-1125). Un autre Bouddha Māravijaya en bronze, d’origine birmane et du 19ème s., démontre que les artistes avaient encore conservé une grande maîtrise de leur art. La sculpture est très fluide et très sobre, mais les plis du vêtement donnent une dynamique à l’œuvre.
Il faut mentionner une œuvre contemporaine de Takahiro Kondo (né en 1958) appelée Reduction. Après le tremblement de terre dévastateur de 2011, l’artiste a voulu répondre par son art à la catastrophe. Il crée à partir de 2014 une série de sculptures d’après un moulage fait sur son corps assis en position yogique. La glaçure gintesikai, caractéristique de l’œuvre de Kondo, illustre son intérêt pour l’eau mais fait aussi référence à la radioactivité.
La thématique très illustrée de cette exposition montre la richesse du MNNA-Guimet car peu de musées dans le monde possèdent une collection aussi abondante, variée et étendue, allant de l’Inde au Japon.