Zen et civilisation japonaise
Mercredi 17 septembre 2008
Compte rendu de la conférence « Zen et civilisation japonaise : histoire d’une ambiguïté » par François Macé, professeur à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO)
Le professeur Macé a tout d’abord rappelé que dans le langage courant, être zen signifie être relaxé ou « cool ». Cette expression vient de la mode du Zen adoptée par les « hippies » dans les années 60. Pour eux, cela semblait combler leur aspiration à la liberté mais c’était une vision assez légère et superficielle.
Les universitaires allemands se trouvaient à l’avant-garde de l’intérêt pour les pratiques zen, tout comme ils l’avaient été dans le processus de traduction de textes bouddhistes. Dans les années 1960, cela tenait d’un certain snobisme intellectuel.
L’attrait pour le Zen est aussi associé aux arts martiaux : le Zen est l’art chevaleresque du tir à l’arc et, dans ce courant, la publication de textes comme « le mystère de la sagesse immuable » a renforcé cette idée. S’il a existé des relations entre le Zen et les arts martiaux, le premier ne se limite pas seulement au second.
Le Zen fut introduit en France vers en 1967 pour l’école Sôtô et 1974 pour l’école Rinzaï. Taisen Deshimaru arrivé en 1967 fonde peu après un dojo à Paris.
Il existe maintenant des lignées de Maîtres européens et américains.
Zen au Japon
Premier paradoxe :
Le rayonnement et l’âge d’or du bouddhisme Zen au Japon correspond à la période troublée de la fin de l’époque Muromachi et à l’époque Momoyama (14ème –16ème siècles). Les guerriers tiennent le haut du pavé et il y a une esthétique de guerre.
Deuxième paradoxe : Retour à la Chine.
Les relations entre le Japon et la Chine ont toujours été compliquées et, durant l’ère Heian, le Japon avait pris ses distances avec son voisin. Cependant, au 13ème siècle, de grands moines vont partir en Chine pour y chercher quelque chose de nouveau. Le moine Eisai ramène le Zen Rinzai (propositions absurdes ou paradoxales) et Dogen, le Zen Sôtô (méditation à vide sans objet), deux écoles issues du bouddhisme Chan chinois.
Durant les 13ème et 14ème siècles il y eu de nombreux échanges entre monastères chinois et japonais.
Les moines chinois vont influencer les textes littéraires et philosophiques. Du 13ème au 19ème siècle, la littérature japonaise est d’influence chinoise (littérature religieuse mais aussi poèmes sans connotation religieuse évidente).
Les textes confucianistes font partie des classiques extérieurs et sont transmis au japon par les moines Zen.
L’architecture de cette époque est aussi inspirée de la Chine.
Néanmoins, la culture Zen est sans conteste une grande réussite de l’esprit japonais : la cérémonie du thé est une invention japonaise et les jardins Zen de sable et de pierres n’existent pas en Chine.
Durant les 17ème et 18ème siècles, c’est grâce au Zen que le bouddhisme survit au Japon. En 1868, à l ‘avènement de l’ère Meiji, l’instauration du shintoîsme comme religion d’état marginalisera encore plus le bouddhisme jusqu’en 1945.
Pendant la dernière guerre, les militaires japonais ont utilisé une caricature du Zen.
Troisième paradoxe :
Un des côtés les plus attirants du Zen est sa liberté : dans la peinture Zen les personnages sont souvent hilares ; Hotei, personnage historique mais considéré comme une réincarnation du Bouddha, est représenté avec un ventre rond et un sourire béat.
Cependant, dans le Zen, les rapports entre maître et disciples sont souvent durs.
Si le Zen a horreur de tout ce qui pourrait être élévation spirituelle et opte pour un refus des convenances, cela se traduit souvent par des représentations triviales.
A l’époque Muromachi, Ikkyu, supérieur du Daitoku-ji, écrit des poèmes extraordinaires « le recueil des nuages vagabonds » où il est question de personnages qui s’enivrent et qui fréquentent les prostituées.
En même temps les institutions du bouddhisme Zen sont rigides. Grâce à sa structure pyramidale (système des Cinq Montagnes où cinq temples chapeautent tous les autres) il a pu résister aux changements politiques. Entre le 14ème et le 16ème siècle, le commerce avec la Chine se faisait sur des bateaux appartenant à des sectes Zen.
Erudits, les moines ont été les conseillers des chefs politiques.
Le Zen fut créé en réaction aux commentaires « byzantins » du bouddhisme afin d’atteindre directement à la vérité. Il peut avoir un aspect blasphématoire : les soutras n’ont pas d’importance.
La production littéraire est une retranscription des paroles des Maîtres.
Quatrièmes paradoxe : la production esthétique.
La cérémonie du thé naît à l’époque Muromachi : c’est un marchand, Sen no Rikyu, disciple du temple Taikofu-ji qui devient le maître du style Wabi et entre au service des Shoguns. C’est lui qui fait créer le style de poterie raku.
Le jardin Zen ou jardin sec de sable ou gravillons, de mousse et de pierres semble facile, mais il est régit par des règles très strictes et les quinze pierres sont choisies avec soin et doivent être placées au bon endroit.
Pour la peinture Zen, il y a confusion entre la production picturale à l’époque de l’épanouissement du Zen et un style. En fait les peintres les plus Zen se situent à la fin du 18ème et le début du 19ème siècle. Comme la calligraphie, elle est caractérisée par le minimalisme.
Le jardin ou la peinture ne sont nullement l’objet de la méditation. Tout ce qui est décoration ne peut être le cœur du Zen.
Cinquième paradoxe : liberté et contrainte.
Pour amener à la méditation il y a un ensemble de règles qui codifient tous les instants de la vie d’un moine (dans un monastère Zen il y a cinq bâtiments importants dont les cuisines et les toilettes).
La préparation ou la mise en condition à la méditation se fait en récitant des soutras.
Pour l’école Rinzaï, les koans sont des propositions absurdes ou paradoxales que pose le maître et que le disciple doit dissoudre (plutôt que résoudre) dans la vacuité du non-sens.
Pour l’école Soto le zazen (méditation assise pour pratiquer l’éveil) est l’éveil. Néanmoins l’éveil ne saurait être un but en soi…