Ukiyo-E

Mercredi 19 novembre 2008

Compte rendu de la conférence « UKIYO-E », par Michel Maucuer, conservateur en chef du patrimoine au musée Cernuschi, richement illustrée de reproductions d’oeuvres.

Michel Maucuer souligne que la deuxième partie de l’exposition « Splendeurs des courtisanes » est visible depuis le 17 novembre au Musée Cernuschi.

Il rappelle que, pendant longtemps, dans l’esprit occidental, le terme ukiyo-e a résumé la peinture japonaise en général. A tel point que le premier ouvrage sur l’art japonais par Louis Gonse, paru en 1883, illustre la peinture par des « images du monde flottant » et sa couverture reproduit une estampe, représentant un groupe de corneilles devant un soleil couchant appartenant à Henri Cernuschi. Dans son livre, Louis Gonse oppose les écoles aristocratiques (Kanô et Tosa) à l’école vulgaire de l’ukiyo-e qui est selon lui une peinture bourgeoise et plus populaire.

La couverture de l’ouvrage sur la peinture japonaise par Teruzaku Akiyama, paru chez Skira en 1961, reprend lui aussi une estampe de Suzuki Harunobu représentant une jeune fille visitant un temple. L’ukiyo-e semble encore alors le genre le plus représentatif du « Japon profond ».

Il est très difficile de définir l’ukiyo-e (images du monde flottant) qui se retrouve aussi bien en peinture que sur estampes ou comme illustrations de livres.
A l’origine le terme bouddhique ukiyo fait référence au caractère éphémère de la vie, et signifie « un monde de misères » («cette vallée de larmes »). Vers 1662 le terme apparaît dans le titre d’un roman à succès, Ukiyo monogatari, dans lequel le caractère qui signifie « misères » est remplacé par le caractère « flottant », avec le sens diamétralement opposé des plaisirs de la vie dans un monde meilleur où l’on se laisse flotter au gré du courant comme une gourde surnage sur le torrent. Le Monde flottant correspond donc à une vision de l’existence, une attitude qui engendre un style de vie, un monde où on « se la coule douce ».

Le premier « roman du Monde flottant » (ukiyo-zôshi) est dû à l’auteur satyrique Ihara Saikaku. Ce grand succès de 1682, Kôshoku ichidai otoko (l’homme qui ne vécut que pour aimer) raconte l’histoire de Yonosuke qui a des rapports avec des centaines de femmes (des hommes aussi).

Trois éléments peuvent cependant caractériser les images ukiyo-e :

  • les thèmes représentés se situent dans l’époque, dans un monde actuel et moderne, alors que la peinture classique japonaise ou Yamato-eles situe plutôt dans un monde médiéval. La nouvelle capitale Edo, ou les grandes métropoles (Kyôto et Ôsaka) en étant le cadre.
  • La galanterie : on représente des acteurs et des jolies filles et plus particulièrement les courtisanes et les geishas.
  • La peinture comme allusion, devinette, avec une nécessité d’interprétation, de re-lecture par le spectateur ; peinture au second degré.Des sujets particulièrement représentés sont :
  • les scènes de banquets privés dans des maisons de rencontre aussi bien en peinture que sur estampe.
  • Des scènes ou des acteurs célèbres de théâtre kabuki.
  • Les « jolies filles » (bijin), surtout des actrices, des courtisanes et (à partir du XVIII° siècle) des geishas sont un des sujets de prédilection en peinture comme sur estampe. Les scènes des établissements de rencontre du quartier de Yoshiwara (thème pratiqué par Moronobu aussi bien en peinture que sur estampe) ou la parade des courtisanes sur l’allée centrale, Nakanochô, le « chemin de l’amour » de Yoshiwara sont très souvent représentées. Des ouvrages montrent des vues du quartier de Shimabara, le quartier réservé de Kyôto, ou donnent le plan du Yoshiwara avec les noms et les tarifs des principales courtisanes. Utamaro fait le « portrait » des grandes courtisanes de la maison des éventails (ces portraits sont toujours idéalisés et n’ont rien à voir avec une représentation fidèle du modèle). A la fin du XVIII° siècle, courtisanes et geishas sont représentées comme un type social. Ces dames pouvaient être aussi célèbres pour leur beauté que pour leur culture et pratiquaient la calligraphie.

    MACHI-ESHI

    Ce titre définit les « maîtres peintres des villes » que sont les peintres de l’ukiyo-e. Ces artistes ne dépendent plus d’un seul mécène ou d’une seule famille mais travaille pour une clientèle diversifiée. Ceci les amène à illustrer des livres profanes ou à créer des estampes en séries ou isolées à partir du XVII° siècle. Ces ouvrages peuvent être littéraires mais aussi des « guides touristiques» de la ville d’Edo et de son quartier Yoshiwara, ou de voyage tels « les Cinquante-trois étapes de la grande route de Tôkaidô » de Hiroshige ou « les trente-six vues du Mont Fuji » de Hokusai.

    L’ukiyo –e inaugure de nouveaux rapports entre artistes, mécènes et marché. Les scènes de rue montrant des magasins et la vie des quartiers qui peuvent aussi servir de publicité pour un marchand : un jeune homme choisit une estampe représentant une courtisane dans le magasin Nishimuraya, marchand d’estampe, dans une estampe par Torii Kiyonaga, publiée par Nishimuraya en 1787. Un restaurateur, Kuriyama Zenshirô, propriétaire du célèbre restaurant Aoyazen, fait éditer un livre de recettes de cuisine, le Edo ryûkô Ryôri tsû, illustré de représentations de ses clients et des artistes qui ont participé à la publication : Sakai Hôitsu, Tani Bunchô, Ôta Nanpo, ….

    Une des caractéristiques des artistes ukiyo-e est qu’ils peuvent travailler en mélangeant des styles ou des écoles différentes (Utamaro a aussi peint dans la technique de la peinture au lavis (sumi-e) des paysages évoquant la peinture des Song. D’une manière générale, l’ukiyo-e est un genre fait d’imbrications (de styles, de thèmes, d’époques), de transpositions, utilisant une grande variété de procédés picturaux.

    MEGANE-E

    Système optique qui permet de voir une image en accentuant l’effet de profondeur et de perspective.

    UKI-E

    Images ou peintures en perspective influencées par la peinture occidentale au travers de la peinture chinoise des Qing. Cette utilisation de la perspective était considérée comme vulgaire mais fut très utilisée par les peintres de l’ ukiyo-e. Une peinture de Katsukawa Shunshô (1726-1792) utilise une construction fuyante pour représenter des jeunes femmes distinguées choisissant des peintures de l’école Kanô.

    MITATE-E

    Ce terme définit une œuvre dont le thème fait allusion à une œuvre ou une histoire ancienne (mitate-e). L’époque moderne est reliée aux époques anciennes qu’elle rejoue. Parfois il peut y avoir un mélange de deux histoires (yatsushi). La peinture ukiyo-e est presque toujours à lire au second degré : pastiche ou parodie sont une forme d’hommage au sujet imité. Quelques éléments donnent au spectateur les indications permettant d’identifier personnages et histoires transposées dans le monde moderne : Onnasannomiya, héroïne du Genji Monogatari (Dit du Genji), poursuivant son petit chat est un thème très populaire. Une transposition permet d’identifier une courtisane montée sur une feuille comme Daruma (Boddhidarma), le premier patriarche du Chan (Zen).

    Peintures et estampes de l’ ukiyo-e permettent de mieux appréhender le Monde flottant, sa représentation et son univers, et à travers lui l’époque d’Edo (1615-1868).

0

Saisir un texte et appuyer sur Entrée pour rechercher