Yan Pei-Ming, Au nom du père

Visite-conférence par Mael Bellec, conservateur en chef du département d’arts chinois du musée Cernuschi, de l’exposition au musée Unterlinden de Colmar.

Alors que les expositions consacrée à Yan Pei-Ming sont généralement thématiques, le musée Unterlinden a organisé une rétrospective qui permet d’appréhender toute la carrière de l’artiste.

Né en 1960, à Shanghai, dans une famille ouvrière, Yan Pei-Ming a grandi dans l’ambiance de la Révolution culturelle (1966-1976). Très jeune, il commence à pratiquer le dessin et la peinture et, entre 1972 et 1976, son talent est remarqué et on lui demande de réaliser des peintures maoïstes.

Grand-mère de l’artiste. 1976. Fusain sur papier. 49 X 39 cm. Fonds de l’artiste.

Autoportrait. 1978. 39,7 X 27,7 cm. Sanguine sur papier. 49 X 39 cm. Fonds de l’artiste.

Autoportrait. 1982. Gouache sur papier. 79,8 X 59,7 cm. Fonds de l’artiste.

L’intérêt majeur de l’exposition est de montrer quelques œuvres de jeunesse, exécutées dans un style figuratif, académique influencé par l’art soviétique. Un portrait, La grand-mère de l’artiste, exécuté en 1976, au fusain, fut refusé dans les années 2000 par le commissaire d’une exposition à Shanghai, sous prétexte que cela relevait du culte de la personnalité. Quelques autoportraits témoignent du talent de Yan Pei-Ming dans le maniement de la mine de plomb, de la pierre noire ou du fusain. Ayant été refusé à l’École des Arts appliqués de Shanghai, en 1979, il décide de quitter la Chine et de poursuivre ses études en France. Ne connaissant de l’art occidental que Courbet et les impressionnistes, il sera marqué par sa première visite au Centre Pompidou. Admis, en 1981, à l’École des Beaux-Arts de Dijon, il en sortira diplômé en 1986. Ses Autoportraits de 1982 relèvent de l’expressionisme ou du symbolisme et annoncent ce qui sera son style et sa manière. En peinture il va s’essayer à différents types de vocabulaire mais déjà sa palette est essentiellement noire, rouge et verte.

Portrait de Mao.1990 (Diptyque). Huile sur toile. 300 X 400 cm. Museum Ludwig. Cologne.

Mao Zedong’s remains. 2002. Huile sur toile. 150 X 300 cm. Collection particulière.

Après sa sortie de l’École, il se fait remarquer par ses tableaux représentant Mao. Bien qu’actif à Paris, il crée ainsi des œuvres qui sont en accord avec celles produites au même moment en Chine, Mao ressurgissant alors dans les œuvres de nombreux artistes. L’utilisation de l’image de Mao est une manière de se l’approprier mais aussi de la détourner et d’en faire autre chose. Les cadrages sont très serrés, rappelant les portraits officiels ; si les premières œuvres montrent le visage souriant du Grand Timonier, par la suite, Yan Pei-Ming va transposer sur la face des expressions différentes en variant les techniques. Partie intégrante de l’identité de l’artiste, Mao est non seulement une figure politique mais aussi une figure paternelle et Yan Pei-Ming continuera à en peindre des portraits jusqu’en 2008. Un triptyque figurant trois grands visages, Père, Inconnu, Mao (1994) montre bien le rapprochement. Un Portrait de Mao, de 1990, illustre parfaitement le style personnel de l’artiste qui s’était contraint à n’utiliser qu’une grande brosse de 20 cm de large et parvient tout de même à donner à ses tableaux une grande variété d’effets. Mao Zedong’s remains (2002) reprend le thème de la mort qui est omniprésent dans l’œuvre de Yan Pei-Ming. La grande série des portraits de Mao est dédié à un homme mort et, bien que disparu, qui reste très présent dans les mémoires.

L’homme le plus perspicace, père de l’artiste. 1996. Huile sur toile. 200 X 230 cm. Collection particulière.

L’homme le plus respectable, père de l’artiste. 1996. Huile sur toile. 340 X 400 cm. Collection particulière.

Funérailles, Y.Z.T (détail). 2003. Huile sur toile. 235 X 250 cm. Collection particulière.

L’image du père est un des sujets les plus importants et les plus récurrents de l’œuvre du peintre. Très proche de sa famille, dès qu’il va pouvoir vivre de sa peinture, il va faire venir ses parents en France et les installer près de lui. Les rapports qu’il a avec son père semblent compliqués. Il a l’impression qu’il n’a jamais vraiment connu cet homme taciturne qui parle peu. Tous les portraits vont décliner l’image de son père sous différents aspects et les titres des toiles lui attribuent toutes sortes de qualités ou de défauts. Cependant, il s’agit moins de faire un vrai portrait que d’explorer son rapport avec son père. Dans ce jeu des titres des œuvres on passe du singulier au général et, de l’individualité du personnage, il glisse vers le type humain général. Alors que dans la tradition classique, pourtant importante pour Yan Pei-Ming, on essayait d’avoir accès à l’intériorité du modèle par la représentation de l’aspect physique, lorsqu’on met tous les portraits du père de l’artiste côte à côte on ne sait pas qui était l’homme. Par ces nombreuses représentations, Yan Pei-Ming semble vouloir aussi faire parler son père et lui donner différentes personnalités.

L’homme le plus perspicace, père de l’artiste (1996), comme beaucoup d’autres portraits, reprend la technique des larges coups de brosse et utilise des tons de rouge alors que L’homme le plus respectable, père de l’artiste (1996) est décliné en camaïeu de noir et de gris.

Il est à noter que Yan Pei-Ming s’inscrit dans le mouvement du retour à la peinture après les années où celle-ci était  déconsidérée dans l’art contemporain avec l’art conceptuel, le happening ou la performance des années 60-70. Deux grands tableaux, Funérailles Y.Z.T. et Fleurs funérailles (2003) ont été peints peu après la mort du père. Dans les tonalités de blanc (couleur du deuil en Chine) et gris, le premier laisse deviner la forme du défunt dans son linceul alors que, dans le second, il ne reste que les gerbes de fleurs.

Yan Pei-Ming est un artiste prolifique mais en même temps quelqu’un qui met du temps à produire ses œuvres.

Le paysage est un sujet extrêmement présent dans l’œuvre de Yan Pei-Ming. Ses paysages qui ont tous le même titre, les «Paysage international», sont rarement identifiables. Paysage international, lieu du crime, lieu de naissance du père de l’artiste (1996) représente un arbre au bord d’un lac, invitant à la méditation dans la pure tradition chinoise, mais la sombre monochromie, les larges coups de pinceaux et les coulures créent une atmosphère plutôt angoissante, renforcée par le sous-titre. L’artiste force le spectateur à se poser des questions, à émettre des hypothèses et à devenir un acteur de l’œuvre.

Une salle est consacrée au thème bouddhique car la famille de Yan Pei-Ming est religieuse et il a vécu dans sa jeunesse dans deux temples désaffectés. Sous la Révolution Culturelle, les représentations religieuses étaient interdites et il en exécuta un certain nombre pour des membres de sa famille. A partir de 1999, la figure du Bouddha va resurgir dans son œuvre, en variant les cadrages et les poses. Buddha’s warrior n-3 ((2002) est une représentation du visage d’un Dvārapāla (gardien de temple). Le traitement à larges coups de brosse augmente encore le côté caricatural de la sculpture. A l’opposé, Invisible Buddha (2000) exprime la douceur par un traitement moins «agressif» de la couche picturale. L’artiste travaillait à partir de photos et ce visage évoque un Buddha japonais.

Paysage international, lieu du crime (lieu de naissance du père de l’artiste. 1996. Huile sur toile. 235 X 400 cm. Collection du FRAC des Pays de la Loire, Carquefou.

Invisible Buddha. 2000. Huile sur toile. 115 X 115 cm. Collection particulière.

Buddha rouge. 2005. Huile sur toile. 150 X 150 cm. Collection particulière.

Ici, aussi, on retrouve la dimension sérielle. Les représentations du Buddhas étaient très répétitives, mais l’artiste va utiliser des éclairages et des cadrages différents pour les individualiser. Yan Pei-Ming cite souvent les séries des cinq cents arhats (disciples du Buddha) et il met en parallèle sa manière de créer des personnages qui sont toujours les mêmes mais toujours différents comme les cinq cents arhats qui sont tous individualisés. Red Buddha (2005) représente une statue classique de bodhisattva mais la technique en est intéressante. Ici, le travail de la matière est bouillonnant, par touches et empâtements pour «sculpter», donner les effets de lumière et relève d’une technique picturale occidentale dérivée de l’impressionnisme.

Selfportrait at Four ages. 2006. Huile sur toile. 250 X 250 cm (chaque toile). Collection particulière.

Alors que l’autoportrait avait été un sujet largement exploité depuis sa jeunesse, il cesse d’en produire de 1983 jusqu’en 1999. Après avoir visité l’exposition «Rembrandt by himself» à la National Gallery de Londres, il est frappé par cette soixantaine de portraits réalisés au cours de toute une vie et revient sur le sujet. Son goût du grand format est induit par sa technique de larges touches, de bosselages et d’empâtements. Ses séries d’autoportraits sont à la fois des déclinaisons d’expressions mais aussi certains sont traités comme des vanités. Selfportrait at four ages (2006) le représente quatre fois: jeune, adulte, sur son lit de mort et à l’état de crâne. Par ce biais il apprivoise le temps qui passe et la notion de finitude. Il est juste de dire que ces autoportraits dégagent généralement une impression de tristesse causée par les tonalités sombres et les expressions du visage.

Shanghai at night (2003) s’inscrit dans la série des paysages mais est parfaitement identifiable avec le Bund en premier plan et les immeubles modernes suggérés dans le fond de la composition. De même, International Landscape, Shanghai (2004) représente le panorama urbain de Pudong.

Si Yan Pei-Ming s’inscrit dans la tradition picturale occidentale, intellectuellement il reste profondément chinois et la notion de piété filiale est ancrée en lui. Sa mère apparaît pour la première fois, en 2014, sur un diptyque la représentant jouant aux cartes alors que lui est prosterné à genoux, dans une attitude qui n’est pas sans rappeler l’usage dans la Chine impériale. Ma mère (2018) a été réalisé l’année de sa disparition et Yan Pei-Ming lui rendra hommage par de nombreux portraits monumentaux après.

Nom d’un chien/Un jour parfait (2012) est un triptyque représentant l’artiste dans trois positions totalement christiques qui évoquent la Crucifixion. Comme dans toute son œuvre, les références à l’iconographie religieuse est extrêmement présente dans ces autoportraits.

Ma mère. 2018. Huile sur toile.350 X 350 cm. Collection particulière.

Nom d’un chien ! Un jour parfait. 2012. Huile sur toile. 400 X 280 cm (chaque toile). Collection particulière.

Pandémie (2020) est un très grand tableau créé spécialement pour cette exposition. Yan Pei-Ming est un artiste qui est idéal pour exposer dans un musée, car il va chercher à trouver des échos des œuvres des collections. Pandémie est une réponse au retable d’Issenheim. Ce retable avait été commandé par la congrégation des Antonins qui soignaient les malades de l’ergot de seigle (feu de Saint-Antoine). Il est intéressant de voir comment l’artiste, à partir de quelques esquisses préparatoires, modifie la composition au fur et à mesure qu’il peint, ce qu’on peut suivre car le musée a documenté les différentes étapes. L’œuvre s’inscrit dans l’actualité avec les immeubles HLM qui occupent la droite répondant à Saint-Pierre de Rome, à gauche. Dans cette atmosphère sombre, des personnages ensevelissent les cadavres en arrière-plan tandis qu’au premier plan un personnage méditatif, penché, contemple quelques sacs mortuaires. Yan Pei-Ming fait souvent référence à Courbet et, ici, on peut penser que c’est une réinterprétation de Un enterrement à Ornans qu’il a beaucoup copié.

Shanghai at night. 2003. Huile sur toile. 350 X 350 cm. Collection particulière.

Pandémie. 2020. Huile sur toile. 400 X 560 cm. Collection particulière.

Yan Pei-Ming s’inscrit totalement dans la tradition picturale de la peinture d’Histoire. On a dit qu’elle était morte à la fin du 19ème siècle mais l’artiste essaie de renouer avec cette grande tradition et de trouver un style qui lui permette de traiter les grands sujets, de représenter les évènements et d’entrer en écho et en relation avec toute l’histoire de la peinture.

Comme dit précédemment à propos de son exposition à Dijon, Yan Pei-Ming est un peintre engagé, un peintre d’Histoire mais aussi un homme qui continue à se battre.

 

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