Les Tambours de bronze de l’Asie du Sud-Est

Conférence par Jacques de Guerny, économiste, professeur associé à HEC et membre de la Société Asiatique, Institut de France.

Les tambours de bronze sont nés dans le bassin du Fleuve Rouge (actuel Yunnan et Nord Vietnam) au milieu du premier millénaire avant notre ère. Cette région semble avoir été composée d’un ensemble de petits royaumes que les Han appelaient les «Barbares du Sud» et qui ont été conquis par la Chine à partir de 200 av. J.C.

La technique du bronze, alliage de cuivre, d’étain et/ou de plomb est apparue tardivement dans le Sud-Est asiatique, au cours du premier millénaire avant notre ère, d’abord pour fabriquer des armes et des récipients, puis des objets cérémoniels de prestige que l’on a pu retrouver dans de riches tombes.
Le bronze est un métal solide et pérenne. Il présente deux qualités majeures: sa fluidité, lorsqu’il est fondu, qui permet de rendre tous les détails du moule ; dilaté à l’état fluide, il se contracte en refroidissant, facilitant ainsi le démoulage.
L’étain a été utilisé pour accroître la dureté et la sonorité de l’alliage tout en réduisant la température de fusion. Cependant, comme il était rare, on a ajouté du plomb. Ainsi les taux varient de 0,1% à 12% pour l’étain et de 0 à 15% pour le plomb. A partir de moules ouverts en pierre ou en argile, le processus s’est affiné par l’utilisation de moules en plusieurs parties et, finalement, la technique de la fonte à la cire perdue a permis la production d’objets décorés de reliefs de grande qualité.
Les tambours de bronze étaient fabriqués à partir de trois moules, un pour le tympan et deux pour le corps cylindrique. Certains éléments, tels que poignées ou figurines en relief étaient fondus séparément et soudés sur l’objet.
Le décor des tambours peut être soit géométrique soit figuratif. Ces mêmes motifs étaient déjà employés sur les objets en céramique bien avant.

Anciennes routes commerciales empruntées par les tambours de bronze.

Chaudrons ou premiers tambours de bronze. Wanjiaba. 6e s. av. N.E. ©Musée de la Province du Yunnan.

Le tympan est souvent orné en son centre d’une étoile ou d’un soleil  entouré de bandes concentriques décorées ou non de chevrons et autres motifs géométriques ou de  scènes narratives représentant des activités humaines telles que la navigation, la vie du village, des musiciens ou des danseurs. Ces décors correspondaient aux croyances animistes des peuples de la région.

«Première grappe» ou premier groupe.

Depuis le bassin du Fleuve Rouge, ces tambours ont essaimé dans toute l’Asie du Sud-Est jusqu’en Indonésie. C’est dans la région du Fleuve Rouge qu’on trouve la première «grappe» qui se caractérise par une forme évoquant un champignon et qui a été classée (de un à quatre) en 1902 par un savant autrichien, Franz Heger.

Tambour Wanjiaba (reproduction au musée de Chuxiong).

Tambour du Song Da (dit « Tambour Moulié »). Vietnam, bassin du Song Da. Culture de Đông Sơn II. Milieu du premier millénaire avant notre ère. Bronze. MNAA-GUIMET.I©MNAAG-P.Pleynet.

Schéma du décor du tympan du tambour dit « Tambour Moulié ».

Il semble que le site  de Wanjiaba (royaume de Dian, 6e s.-2e s. av. J.C.), au Yunnan, ait été précurseur avec des formes frustes et sans décor. Entre le cinquième siècle avant notre ère et le second après, la création et le développement des tambours connut son apogée sans réelle différence entre les cultures de Dian, au Nord, et de Đông Sơn au Sud. Il est à noter qu’on a découvert des tambours de très petites tailles au Vietnam, peut-être pour les moins fortunés.  L’exportation vers toute l’Asie du Sud-Est fut intense mais s’arrêta et les tambours furent «oubliés» pour un temps. On en a retrouvé en Thaïlande, au Cambodge, au Laos, au Myanmar et en Indonésie.

Tambour de Sao Vang. Đông Sơn .©Musee National d’Histoire du Vietnam.

Tympan d’un tambour de bronze avec grenouilles. Đông Sơn.

Tambour de bronze miniature. 4e – 1er s. av. N.E. Đông Sơn. ©Musée cernuschi.

«Seconde grappe» ou second groupe.

Vers l’an mille de notre ère, les Karenni du Myanmar reprennent une fabrication de tambours de forme «conique» qui sera exploitée par les Shan et qui se fabriquera jusqu’à la fin du vingtième siècle. Leur taille modérée (45 cm de haut), facilita leur commercialisation et leur adaptation à différents usages (cérémonies, autels, tombes, orchestres). Leur décor et les animaux en relief (soleil, étoile, grenouilles, canards, éléphants,…) sur le tympan et la base portent les valeurs communes à toute l’Indochine restée profondément animiste. Ils seront exportés dans tout le sous-continent et, en Thaïlande, leur succès entraîna même une production locale de copies.

Tympan d’un tambour de bronze Karenni ou Shan. 18e-19e s. ©Michael Backman Ltd.

Tambour de pluie. 19ème s. Birmanie-Laos. ©Proantic.

Lorsqu’ils sont utilisés en orchestre, il faut plusieurs tambours, car chacun ne produit qu’un son, ce qui demande de la part du fondeur une très bonne connaissance technique.

 «Troisième grappe» ou groupe.

Vers le début de notre ère, les tambours de type Heger atteignirent l’Indonésie et leur présence est attestée dans des tombes. Quelques siècles plus tard, leur forme fut adaptée pour prendre celle d’un long «sablier» rappelant les membranophones de bois. Le plus célèbre est la «lune de Pejeng» qui donnera son nom à ce modèle et les Pejeng seront fabriqués jusqu’au dix-septième siècle. En parallèle, à partir du sixième siècle, un autre modèle de type sablier, le Moko est fabriqué à Java et connaît un immense succès dans l’île d’Alor. D’abord en bronze, ils furent ensuite fabriqués en laiton, moins onéreux, et constituent encore aujourd’hui des cadeaux de mariages appréciés. Au contraire des Pejeng, on ne les retrouve pas dans les fouilles anciennes.

Tambour « Lune de Pejeng ». 3e s av. N.E. ? Musée des civilisations asiatiques de Singapour.©Pkersale.

Moko. Ile d’Alor. Indonésie.19e s.

Un couple de tambours représentant homme et femme.©Authentic Vietnam Travel.

Créés il y a 2500 ans, de simples pots devenus des chef-d’œuvre de métallurgie, les tambours de bronze témoignent des valeurs spirituelles et commerciales des peuples d’Asie du Sud-Est. Bien qu’ayant été «oubliés» durant certaines périodes, ils ont survécus et sont encore utilisés lors de festivals. Cette pérennité est probablement due à l’enracinement des cultures animistes et à leurs multiples adaptations: instruments sonores pour attirer l’attention des Cieux, utilisés pour les cérémonies familiales ou les festivités, comme dialogue avec les esprits quand ils sont utilisés par les chamans, vecteurs de richesses lorsqu’ils sont enterrés dans une tombe et statuts de classe.

Aujourd’hui, sauf de rares exceptions, ils servent encore dans des festivals de nostalgie…

Jacques de Guerny est l’auteur d’un ouvrage  Les TAMBOURS de BRONZE de l’Asie du Sud-Est – Hémisphère éd. Paris. 2017.

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