Une vie au bord du fleuve
Exposition de l’artiste Chen Jialing au Réfectoire des Cordeliers (Paris), visite commentée par Cao Dan et He Jing, commissaires de l’exposition.
Pour sa première exposition personnelle en France, l’artiste chinois Chen Jialing, né en 1937, présente au public une quarantaine de peintures, céramiques et tapisseries illustrant l’importance de la thématique du fleuve au sein de sa production.
Cette exposition s’inscrit dans le cadre du 60e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la France et la Chine ainsi que dans celui d’un projet interculturel et artistique entre Paris et Shanghai. Prenant pour thème le fleuve, elle témoigne du lien entre l’artiste et l’eau ; né à Tonglu, ville au confluent de deux rivières affluentes du Yangtsé, au sud-est de la Chine, il a ensuite fait ses études à l’Ecole des Beaux-arts de Hangzhou, près du grand lac de l’Ouest avant de s’établir, dans les années 70, à Shanghai, ville située, elle aussi, au bord de l’eau. Le fleuve est ainsi le reflet de l’artiste et de sa vie.
D’un point de vue esthétique, Chen Jialing est l’un des grands représentants de l’École de Shanghai, un courant artistique, initié dès le milieu du 19ème siècle, qui est à l’origine du renouvellement de la peinture traditionnelle chinoise. L’artiste, qui s’inscrit dans l’héritage de la grandes tradition chinoise du shanshui (montagnes et eau) qui consiste à peindre des paysages naturels au pinceau et à l’encre, cherche également à renouveler cet art millénaire.
La scénographie, réalisé par le Français Pascal Rodriguez, qui a notamment travaillé pour le Centre Pompidou, met en valeur un parcours conçu comme une promenade dans un jardin chinois. Tandis que certaines œuvres ont été réalisées dans les années 1990, d’autres ont été créées spécialement pour cette exposition.
Le polyptyque Lune d’automne sur un lac paisible (2024) dépeint le grand lac de l’Ouest, près de Hangzhou, ville qui revêt une grande importance pour l’artiste. Inscrit dans le courant de l’Ecole de Shanghai, Chen Jialing réalise ici une œuvre à la croisée de la tradition et de l’art contemporain. En effet, le paysage s’attache à prendre une forme abstraite qui n’existe pas dans la peinture chinoise traditionnelle. Une autre peinture, qui porte le titre poétique de L’épanouissement du pinceau (2024) montre le Huangshan, la Montagne jaune, et l’un de ses détails caractéristique et reconnaissable par tous ; l’artiste a représenté, au cœur de cette imposante montagne, un arbre, unique, né d’une graine déposée par un oiseau au hasard de ses aventures.
Chen Jialing utilise également des couleurs particulièrement vives pour rendre toute la vivacité et la délicatesse des éléments de la nature. Ainsi, Couleurs d’automne (2017) témoigne de toute la modernité recherchée par l’auteur qui s’éloigne de la peinture traditionnelle chinoise. La nouvelle voie (2024), quant à elle, illustre cette permanence de la métaphore de la vie dans l’art de Chen Jialing.
Inspiré par les céramiques chinoises découvertes au Musée national des arts asiatiques – Guimet lors d’un séjour en France dans les années 1990, Chen Jialing commence, dans la décennie suivante, à peindre ses propres céramiques. De volume imposant, ces objets sont réalisés par des artisans avec lequel l’artiste travaille en étroite collaboration. Ce dernier se plaît à se mesurer aux difficultés de cuisson de l’encre et des émaux sur l’argile. Chen Jialing qui apprécie que la texture et les couleurs soient différentes de celles utilisées sur le papier Xuan, aime laisser la place aux accidents de la cuisson. Pour lui, ils sont la libre expression du «dieu du feu» et de la force de la nature.
Par cet art de la céramique, Chen Jialing s’inscrit dans la longue tradition des fours de Jingdezhen. Certaines de ses productions nous montrent des lotus, symboles de pureté dans le bouddhisme, ou encore des iris, «symboles de la France» selon l’artiste, qui décorent d’imposantes jarres de plus de 522 cm de circonférence et des assiettes.
La dernière partie de l’exposition présente une tapisserie en fils de soie exécutée selon la technique traditionnelle du kèsī, d’après une peinture créée en 2009.
Ainsi, cette exposition du Réfectoire des Cordeliers – pour laquelle Éric Lefebvre, Directeur du musée Cernuschi, a été conseiller scientifique -, témoigne du talent versatile de Chen Jialing, dont la production artistique est caractérisée par un équilibre constant entre tradition et modernité.