Ultime combat. Arts martiaux d’Asie
Vendredi 10 décembre 2021: , visite commentée par Julien Rousseau, commissaire de l’exposition au musée du Quai Branly-Jacques Chirac.
L’exposition remonte aux origines des arts martiaux d’Asie et retrace leur histoire jusqu’aux temps modernes avec les figures emblématiques de Bruce Lee, de Jacky Chan et les super-héros ou les robots des bandes dessinées et des films japonais. Des projections d’extraits de films ponctuent tout le parcours.
La première salle évoque la figure de Vajrapāni, protecteur du Bouddha dans l’iconographie du mahāyāna. Dans l’art gréco-bouddhique, il est représenté comme Héraclès, tenant une courte massue en forme de vajra, un foudre stylisé.
Cette image va évoluer et se transformer au cours de siècles pour être reprise dans la représentation des gardiens de temples. On retrouve ces dvārapāla armés d’une massue ou sans, parfois avec une musculature hypertrophiée et l’air farouche comme gardiens de temples chinois des cinquième-huitième siècle en Chine. Les gardiens des temples médiévaux hindous ou ceux de l’Asie du Sud-Est sont plutôt associés à des divinités tutélaires ou des figures guerrières, calmes ou menaçantes.
Les racines des arts martiaux se trouvent en Inde où la caste guerrière dominante des Kshatriyas qui patronnait les arts, favorisa une représentation de son pouvoir pour donner une dimension divine au combat. Skanda (Kârttikeya ou Kumara), le dieu de la guerre est souvent figuré éternellement jeune et accompagné de sa monture, le paon. Les dieux hindous possèdent plusieurs aspects, paisibles ou violents. Vishnou peut ainsi prendre des aspects redoutables pour combattre les démons comme dans son avatar de l’homme-lion, Narasimha. De même, Pārvatī, la douce épouse de Shiva, peut prendre l’aspect farouche de Durgā, déesse de la guerre. Les grandes épopées hindoues telles que le Mahābhārata ou le Rāmāyana regorgent de faits guerriers et on y trouve les premières descriptions des arts martiaux. Hanumān, le général de l’armée des singes qui aida Rāma à vaincre le démon Rāvana, est le patron des lutteurs et est souvent représenté avec une massue. Il incarne la loyauté et la force.
La transition vers la Chine se fait avec «Le voyage vers l’Ouest», célèbre roman de l’époque Ming (1368-1644) qui retrace les pérégrinations d’un moine accompagné de quatre disciples dont Sūn Wū Kōng, un singe immortel, versé dans les arts martiaux. Cette œuvre, extrêmement célèbre en Chine et au Japon, est à la base d’une multitude d’adaptations: peinture, théâtre, opéra de Pékin, bandes dessinées, feuilletons télévisés ou téléfilms.
Shaolin est évoqué par le légendaire Bodhidharma, moine originaire d’Asie centrale, qui aurait enseigné le bouddhisme chan dans ce temple, au début du 6ème s. Bodhidharma aurait inculqué aux moines des techniques de lévitation et de combats, «le poing de Shaolin». Les moines Shaolin utilisent ainsi le souffle de la méditation bouddhique pour développer leur force physique et mentale. Le monastère fut renommé pour ses moines bouddhistes combattants et on a la preuve que des moines Shaolin combattirent aux côtés des armées Tang (618-927). Sous les Ming, le monastère est particulièrement célèbre pour l’enseignement des techniques de combat et sa fidélité à la dynastie, lors de la prise du pouvoir par les Qing (1644-1912), va nourrir toute une littérature populaire qui, à son tour, va engendrer des séries télévisées ou des films.
Certaines techniques d’arts martiaux ont été développés à partir d’autres sources comme le taï-chi qui a été conçu par les familles des gardes qui accompagnaient les caravanes marchandes. D’autres trouvent leurs origines dans la connaissance du corps et des souffles vitaux, qi, liés au taoïsme et au bouddhisme chan. Certains mouvements politico-religieux comme les Boxers ont aussi utilisé les arts martiaux pour se défendre ou tenter d’imposer leurs idées.
Une tenue militaire de parade de l’empereur Qianlong (1736-1795) montre aussi le luxe que pouvait revêtir l’art de la guerre. Certaines armes sont spécifiques des arts martiaux comme les dagues trident, les couteaux croissant de lune, les tri-bâtons à chaîne ou les bâtons de combat, etc., largement utilisés dans les films chinois.
Le cinéma populaire aura permis la renaissance des arts martiaux après la période maoïste qui les considérait comme symboles de rébellion. A côté des films de type kung-fu qui connurent un grand succès dans les années 1970-1990, on voit aussi apparaître le genre wuxia, films de cape et d’épée inspirés des grandes épopées. Si à l’origine, les arts martiaux étaient l’apanage des hommes, la culture populaire les a beaucoup féminisés.
La maîtrise du peintre ou du calligraphe relève aussi de la technique du qi, le contrôle du souffle, car l’artiste utilise tout son corps lorsqu’il manie le pinceau.
Installation, extraits de films, vitrines remplies de magazines, posters, bandes dessinées et manuels racontent comment Bruce Lee, «le petit dragon», disparu à l’âge de 33 ans, est devenu une icône mondiale, mais aussi un héros des luttes anticoloniales.
Au Japon, la tradition des arts martiaux trouve son origine dans le bushidō, la voie du guerrier. La figure héroïque du samouraï apparaît à l’époque de Edo (1603-1868) dans ce pays qui avait connu des siècles de guerres féodales. Homme d’épée et d’esprit, loyal jusqu’à la mort à la «voie du guerrier», il va inspirer la littérature et les arts. Avec l’institution d’une paix relative et l’usage des armes à feu, les anciennes techniques de combat (bujutsu) s’éloignent des champs de bataille. L’élite militaire va valoriser son héritage martial et justifier son rang à travers l’enseignement des bujutsu, renforçant leurs dimensions théoriques et philosophiques et devenant ce qu’on pourrait appeler aujourd’hui des méthodes de développement physique et spirituel de la personne. Cette élite va aussi contribuer à l’épanouissement du bouddhisme zen. Le groupe des Cinq Rois de Science, réplique du mandala du Tōji de Kyōto commandée par Émile Guimet en 1878, évoque les cinq divinités irritées du bouddhisme ésotérique. Leur rôle était de protéger le bouddhisme et de combattre les démons.
Daruma (Bodhidharma), censé être à l’origine du bouddhisme zen, est un modèle de force de caractère et de détermination qui a fait l’objet de nombreuses représentations en peinture et en sculpture. Très populaire au japon, il est souvent représenté en papier mâché, de forme arrondi sans bras ni jambes et généralement de couleur rouge. La forme particulière de la statuette lui permet de toujours se remettre droite quelque soit sa position initiale. Les daruma sont aujourd’hui considérés comme des symboles de bonne chance et de bonne fortune.
La figure du samouraï mais aussi celle du yakuza vont beaucoup inspirer les dessinateurs de bandes dessinées et les producteurs de films.
Le judo (voie de la souplesse) fut créé, en 1882, par Jigoro Kano comme «voie martiale moderne». Cet art a évolué en sport de combat puis en sport olympique, en 1964. Le judo se caractérise par la bonne utilisation de l’énergie et, dans l’esprit de son créateur, dispensait un système éducatif à usage d’activités morales et physiques. Le karaté (karate-dō- la voie de la main et du vide) est aussi un art martial de combat sans arme qui serait originaire d’Okinawa. Cette discipline vise à se défendre, puis à répondre par une attaque, au moyen des différentes parties du corps.
Pour conclure, on termine avec les représentations des super-héros (sentai), des robots (mecha) et des monstres géants (Kaijū), terrifiants à l’image des catastrophes naturelles et nucléaires. La salle est dominée par la figure géante de Black Fire, robot dessiné et réalisé spécialement par QFX Workshop (Thaïlande) pour l’exposition.