Relation du Voyage au Sichuan du 31 mars au 13 avril 2018
Le programme élaboré par Mael Bellec, conservateur au musée Cernuschi, et Jacqueline Berthelot-Blanchet a permis aux amis de découvrir les différentes facettes du Sichuan, le pays des quatre rivières.
Dès l’arrivée à Chengdu, la visite du temple taoïste Qinyang Gong (des chèvres de bronze) et du temple bouddhiste Wenshu nous a plongés dans une atmosphère de ferveur populaire. Les riches collections du Musée Provincial du Sichuan nous ont permis de nous familiariser avec l’histoire de l’art chinois grâce aux commentaires de Mael Bellec, qui a aussi profité d’une exposition de reproductions des peintures des grottes de Dunhuang au musée de l’Université du Sichuan pour nous faire un point sur le bouddhisme en Chine. Le Musée Provincial abrite par ailleurs un ensemble de salles où sont exposées des œuvres du grand peintre et calligraphe Zhang Daqian (1898-1983).
Le célèbre poète Du Fu a été évoqué dans son temple où la chaumière qu’il fit construire lors de son séjour à Chengdu a été reconstituée.
La visite du site de Jinsha et de son musée nous a émerveillés par la richesse des objets trouvés. Cette région, du néolithique aux Royaumes Combattants (421-221), semble avoir développé une civilisation originale tout en ayant eu des contacts avec les royaumes de la plaine centrale. La ville, cernée de remparts de terre, était aussi importante que celle d’Anyang (1300-1050 av. J.C.), capitale des Shang. Cette culture se singularise par l’enfouissement d’objets cultuels tels que des bronzes, des jades, des laques et une grande quantité de défenses d’éléphants dans des fosses.
La présence de nombreuses feuilles d’or travaillées pour être plaquées sur différents supports est unique pour cette période.
La découverte de ce royaume ancien s’est poursuivie au musée de Sanxingdui avec notamment des masques en bronze, dont certains de très grande taille, avaient été exposés, à l’initiative du musée Cernuschi, à l’Hôtel de Ville en 2003, sous le titre « l’énigme de l’homme de bronze », en même temps que le grand arbre en bronze et un personnage mystérieux, lui aussi en bronze, sur un piédestal. Il semble que le site de Sanxingdui (1800-1250 av. J.C.) ait connu un essor remarquable. Ensuite, peut-être à la suite d’inondations, c’est le site de Jinsha qui a pris le relais mais qui a connu, lui aussi, une période de déclin jusqu’à son annexion par les Qin en 221 av. J.C. En l’absence d’écrits, il est très difficile de savoir quels étaient les rituels mis en œuvre et la raison d’être de ces masques ou de ces têtes en bronze.
Le voyage nous mena ensuite au mont Emei, l’une des quatre montagnes sacrées du bouddhisme en Chine. Sur la route conduisant à ce qui est en fait un massif montagneux parsemé de nombreux temples, nous avons visité le temple Sansusi reconstruit au 18ème s. pour honorer Su Xun et ses deux fils, Su Shi et Su Zhe, célèbres poètes sous la dynastie des Song du Nord (960-1127). Un autre temple, le Wanniansi (temple de Dix Mille Ans), construit sous les Ming (1368-1644), a été restauré en 1953. Son architecture particulière évoque le temple de Bodh-Gayā en Inde (ou une yourte mongole) : de plan carré, il est surmonté d’un toit orné de cinq stupas de style tibétain. La salle intérieure, couverte d’un dôme, abrite une statue de Puxian (bodhisattva Samantabhadra) du 11ème s., haute de plus de 8 mètres et pesant 62 tonnes. Le bodhisattva est assis sur un lotus posé sur le dos d’un éléphant à six défenses qui lui tient lieu de monture.
Leshan est célèbre pour son grand Buddha assis, sculpté dans la falaise qui surplombe la rivière Min. Un moine, Haitong, trouvant qu’il y avait trop de naufrages dus aux remous de la rivière, voulut mettre l’endroit sous la protection du buddha Maitreya. Sculpté à son initiative à partir de 713, il ne fut achevé qu’en 803, sous les Tang (618-907). Ce buddha colossal mesure 71 mètres de haut et 28 mètres de large aux épaules (c’est le plus grand buddha du monde). Un temple, le Dafosi, situé au sommet de la colline et proche de la tête du grand buddha, est dédié à Maitreya.
Non loin de là, une pagode d’époque Tang a été restaurée de nombreuses fois. Situé dans la même zone, un ensemble de tombes Han (206 av. J.C.- 220 apr. J.C.) présente la particularité d’avoir été creusé dans la roche. Un petit buddha sculpté au-dessus d’un passage serait l’une des plus anciennes manifestations du bouddhisme en Chine.
Flâner dans les marchés locaux et dans le bourg de Luocheng, dont les maisons ont conservé le style des Ming et des Qing, a permis d’observer la vie quotidienne de la population locale. Les amis ont eu aussi la possibilité de goûter au maotai (alcool à base de sorgho et de blé titrant plus de 50°), lors de la visite d’une distillerie artisanale.
Dans la ville de Zigong nous avons eu l’occasion de visiter le musée du sel qui retrace l’histoire de cette denrée depuis l’époque des Han de l’Est (25-220). Le sel se trouvant dans des nappes de saumure souterraines, les Han creusèrent des puits pour l’extraire et le récolter par évaporation. Au cours des siècles, les puits ont été de plus en plus profonds et celui de Sheng Hai, creusé en 1835, atteint le record de 1 001,42 m. En plus de la saumure, il produit un gaz naturel qui est récupéré pour chauffer les cuves et accélérer ainsi l’évaporation. Le sel a toujours été une denrée indispensable à l’économie de la Chine impériale qui prélevait des taxes plus ou moins importantes suivant les périodes.
Proche d’Anyue, le site de Bamiao est orné de nombreux reliefs et de grottes bouddhiques allant des Tang (618-907) à la période des Cinq Dynasties (907-979). Le plus remarquable est un grand relief du Parinirvāna (le Buddha Śākyamuni couché sur le flanc, entouré de ses disciples, quittant ce monde pour rejoindre le nirvāna-paradis). Dans cette composition, qui mesure 23 mètres de long sur 5 de haut, on peut admirer la statue d’un buddha couché complet, la plus grande qu’on connaisse. Une quinzaine de grottes sculptées et de nombreuses inscriptions permettent d’étudier les textes des sutras.
Non loin de là, le temple Mumensi abrite une étonnante construction en pierre imitant une structure en bois de l’époque Ming. Elle renferme un stupa et aurait été construite sur la tombe d’un moine au 15ème s.
Les grottes de Pilu Dong sont célèbres pour la qualité de leurs reliefs bouddhiques datant de l’époque des Song du Nord (960-1127). Plus de 465 statues et 14 stèles sculptées dans la roche illustrent une version du bouddhisme ésotérique (Vajrayāna). Cet ensemble aurait été réalisé à l’initiative du moine Liu Benzun (852-907). Selon la tradition, Liu Benzun aurait mené une vie ascétique faite de privations consistant à rechercher une libération de l’esprit par la mortification des sens. On peut observer Liu Benzun exécutant «les dix actes de mutilation» autour du buddha Vairocana dans la grotte N° 8 datant des 12ème-13ème siècles. La grotte N° 19 abrite une remarquable statue de Guanyin (bodhisattva Avalokiteśvara) «aux bambous noirs» ou «contemplant la lune dans l’eau». Toutes ces sculptures étaient peintes de couleurs vives et on peut encore en juger dans les endroits où elles ont été protégées des intempéries.
Notre route s’est poursuivie vers Dazu, site mondialement renommé pour son ensemble de sculptures de l’époque Tang et Song.
Le premier groupe, le Beishan (la montagne du Nord), a été commencé en 892 sous les Tang et s’est poursuivi sous les Cinq Dynasties et les Song. Quelques grottes sont particulièrement intéressantes pour leur iconographie du bouddhisme ésotérique. La niche (N° 5) de Vaiśravana, dieu-roi, le montre revêtu d’une armure complète de l’époque Tang (892). Son allure farouche était censée protéger le site tout comme les quatre gardiens disposés à l’entrée de tous les temples. La grotte N° 9 abrite une statue d’Avalokiteśvara aux mille mains, datant aussi de 892. Cette représentation illustre la grande compassion de ce bodhisattva, émanation du Buddha, qui a été doté de mille mains et de mille yeux pour voir et aider tous les êtres. La grotte N° 245 (892-906) donne à voir la Terre Pure de l’Ouest où trône le Buddha Amitābha flanqué de deux bodhisattvas ; ce thème a été très souvent illustré sous les Tang, en particulier à Dunhuang. La statue (1126) du saint moine de Sizhou le montre assis, accoudé sur un repose- bras dans la grotte N° 177. La reine-paon de la grotte N° 155 figure la mère spirituelle du Buddha Śākyamuni tandis que Maya Dévi en est la mère corporelle. Elle est entourée de mille petits buddhas sculptés sur les murs. Douze formes d’Avalokiteśvara entourent la sculpture centrale figurant ce dernier assis en pose de délassement royal (lalitāsana) dans la grotte N° 180 (1116-1122) datant des Song du Nord. La grotte N° 136 (1142-1146), où malheureusement on ne peut pas pénétrer, abrite la fine fleur de la sculpture de l’époque des Song du Sud. Dite du «moulin à prières», on y voit plusieurs représentations de Guanyin (Avalokiteśvara) accompagnées de Puxian (Samantabhadra) sur son éléphant et de Wenshu (Maῆjuśrī) sur son lion.
Le sommet de la colline est couronné d’une pagode, peut-être d’époque Song, qui surplombe une niche où sont assis deux grands buddhas.
Le second groupe, le Baodingshan, qui se déploie dans une gorge en fer à cheval, fut sculpté à l’initiative du moine Zhao Zhifeng entre 1177 et 1249, et présente une iconographie faisant référence aussi bien au bouddhisme mahāyāna qu’au bouddhisme vajrayāna, au taoïsme ou au confucianisme. Zhao Zhifeng pensait être une réincarnation de Liu Benzun et la niche N° 21 montre le patriarche au centre d’une composition qui reprend «les dix actes de mutilation». Dans la niche N° 20, on contemple une représentation du Buddha Kshitigarbha, entouré de buddhas et de juges présidant les différents niveaux des enfers. La niche N° 18 reprend le thème du paradis de l’Ouest, la Terre Pure d’Amitābha où les âmes renaissent sous forme d’enfants sortant de lotus. La niche N° 15 illustre le thème de la piété parentale figurant sous sept buddhas. Le fond de la gorge est occupé par une représentation du paranirvāna, on y voit le Buddha Śākyamuni couché sur le flanc droit entouré de ses disciples, devant lui à mi-corps, comme émergeant du sol. La grotte N° 8 abrite une statue d’Avalokiteśvara aux mille mains, récemment redorée, qui fait encore l’objet de dévotion. Trois hautes statues de Vairocana entouré de Maῆjúsrī et Samantabhadra occupent la niche N° 5. La niche suivante montre une remarquable représentation de la Roue des réincarnations tenue par un roi-démon. La roue est divisée en six parties par des rayons et trois cercles concentriques où sont dépeints les différents niveaux de renaissance. Les reliefs suivants développent la parabole du bouvier et du buffle, le bouvier étant associé à l’homme et le buffle à son esprit : c’est à force de patience et de persévérance que l’homme parvient à maîtriser son esprit. Dans la dernière grotte N° 29, dite de l’Éveil parfait, on peut admirer trois buddhas, du passé, du présent et du futur, devant lesquels est agenouillé un bodhisattva. Les parois sont ornées de bodhisattvas et d’êtres célestes.
A la fin du voyage, nous avons visité le quartier de Ci Qi Kou dans la grande ville de Chongqing, quartier grouillant d’activités où ont été restaurées les anciennes maisons de l’époque Qing, au bord du fleuve Jialing. Le musée Stillwell nous a ramenés à l’époque de la guerre sino-japonaise où ce général, qui n’était pas hostile au parti communiste, a tenté de réunir les deux forces, celles du Kuomitang et celles de Mao Zedong pour lutter contre les Japonais.
Le musée des Trois Gorges a permis un survol de l’histoire de la région ainsi que la visite d’une exposition de peintures classiques qui ont été commentées par Mael Bellec. La maison de la guilde des marchands de Huguang (provinces des Hubei, Hunan, Guangxi et Guangdong), remarquablement restaurée, nous a fait comprendre comment fonctionnaient ces associations.
Pour conclure, ce voyage a été une parfaite réussite grâce à l’ambiance amicale et chaleureuse dans laquelle il s’est déroulé et aussi grâce aux explications éclairées de Mael Bellec.