Places fortes du Chosŏn, l’ancienne Corée

Conférence par Francis Macouin, Conservateur général retraité du MNAA-Guimet.

L’histoire du Chosŏn s’étend sur 500 ans (1392-1897) et est marquée par une assez grande stabilité politique car il n’y a eu que deux épisodes de guerre avec les invasions des Japonais en 1592 et 1597, et les campagnes mandchoues en 1626 et 1636. En dehors de cela, il eut une campagne contre Tsushima en 1419 et quelques escarmouches avec les puissances occidentales à la fin du 19ème s. Ce royaume n’a pas eu de politique expansive mais plutôt défensive. Ceci est dû aux relations de vassalité reconnue vis-à-vis de la Chine de Ming (1368-1644) puis celle des Qing (1644-1912), à partir de 1636. Si le Chosŏn verse un tribut à la Chine, celle-ci a aussi la responsabilité d’assurer la sécurité du royaume vassal en cas d’attaque et elle intervint, en effet, en 1593.
Cette politique défensive s’est traduite par la création de fortifications pour protéger les frontières maritimes et terrestres. Un projet qui n’a pas abouti était de construire une muraille qui aurait traversé toute la péninsule à la frontière avec le continent pour empêcher les incursions nomades.

Carte de Nagan. 1872.

Porte Chuhŭl-kwan. Col de Saejae.

À cette époque, les bourgs, qui étaient les sièges de l’administration, sont protégés par des fortifications dont la plupart ont été restaurées. Ces murailles enferment généralement une zone assez vaste et épousent les reliefs du terrain. Un bon exemple est le bourg de Nagan où on voit que la muraille enserre une zone presque carrée qui comprend le siège de l’administration, la place du marché, des arsenaux, la prison, des greniers à grain, etc. L’autel de la terre et des céréales, celui de la divinité du bourg et celui des esprits esseulés se trouvent à l’extérieur. À la fin du 16ème s., il y avait approximativement 190 bourgs administratifs construits sur le même schéma. Hamhŭng, sur une carte de la fin du 18ème s., bien que située au bord d’un fleuve, présente à peu près la même disposition. Le bourg est enserré de murailles ponctuées de bastillons surmontés de pavillons.

Chuhŭl-Kwan. Col De Saejae. Porte d’eau.

Carte de l’île de Kanghwa. 18ème s.

Les différents fortins de l’île de Kanghwa dans leur état actuel. ©F.Macouin.

Non seulement les bourgades étaient protégées de fortifications mais, pour protéger le pays, on bloquait les voies de circulations aux endroits stratégiques. Un exemple est le col de Saejae (col de l’oiseau), sur la route qui relie la capitale Séoul à Pusan, où toute la largeur du col est barrée d’une muraille avec une seule porte en plein cintre surmontée d’un pavillon. Deux autres portes ont été construites en même temps au 16ème siècle. Pour ne pas bloquer les ruisseaux ou les rivières, une porte d’eau était ouverte dans les murailles qui empêchait les envahisseurs de passer mais laissait couler l’eau.

La sécurité des côtes était particulièrement importante et l’île de Kanghwa, située à l’embouchure du fleuve Han qui remontait à la capitale, en est un bon exemple. Le passage de l’île au continent se faisait par bac et une forteresse protégeait la passe sur le continent. En face, toute la côte de l’île était protégée de fortifications ponctuées de fortins, de redoutes, de camps et de batteries. La hauteur des murs allait de un à cinq mètres suivant la configuration du terrain. La plupart des forts qui sont visibles aujourd’hui sont des restitutions datant des années 1970, car ces fortifications ayant subi l’attaque des Français en 1866, des Américains en 1871 et des Japonais en 1875 étaient très ruinées.

Porte Namdaemun (Grande porte du sud). Séoul.1904.

Porte Hongjimun et la porte d’eau. Fin 19ème ou début 20ème s.

Le poste de commandement Suŏ-changdae de Namhan-sansŏng. Fin 19ème ou début 20ème s.

La capitale Séoul était ceinte d’un rempart qui faisait 17 km de long et tout l’espace intramuros n’était pas encore construit à la fin du 19ème s. Le rempart était percé de quatre portes principales et de quatre portes secondaires. À la fin du 18ème s. on a construit dans la montagne, au nord, une forteresse (Pukhansan-sŏng) pour renforcer la sécurité et une muraille la reliait aux murs de la capitale, barrant la vallée. A côté de la porte Hongjimun permettant le passage, se trouvait une porte d’eau à cinq arches. Le sud de la ville était aussi protégé par une citadelle de montagne, sur le mont Namhan. Sur une carte ancienne, on voit que les murs sont garnis de bastillons avancés qui permettaient des tirs latéraux. Cette forteresse abritait, en plus des aménagements classiques, un palais royal provisoire. Dans toutes ces forteresses, le poste de commandement est un élément important et se distingue par la présence d’un étage et d’un double toit.

Les murailles de Hwasŏng avec la grande porte sud (P’aldal-mun). 1907. Suwŏn.

Plan de la ville de Hwasŏng. Suwŏn.

Illustration du Hwasŏng sŏngyŏk ŭigwe détaillant une machine de levage. ©BNF.

La forteresse de Hwasŏng à Suwŏn a été construite, entre 1794 et 1796, sur les ordres du roi Chŏngjo (1752-1800) avec la participation de  Chŏng Yak-yong qui appartenait au mouvement Sirhak (études pratiques). Celui-ci encourageait l’usage de  la  science et de l’industrie.

Un livre, Hwasŏng sŏngyŏk ŭigwe  (Règles protocolaires de la construction de la forteresse Hwasŏng) fut publié en 1800, peu après la mort du roi Chŏngjo. Formé de dix volumes, il a constitué une source indispensable pour les efforts de reconstruction en 1970 suite aux destructions de la guerre de Corée. C’est ainsi qu’on voit l’adoption de grues et de poulies, de même que l’utilisation de briques comme matériau de construction.
Aujourd’hui, la forteresse est complètement enserrée dans la ville moderne alors qu’au début du 20ème s. on peut voir qu’il y avait des étendues cultivées à l’intérieur de murs. Dans le Hwasŏng sŏngyŏk ŭigwe, on trouve des planches qui détaillent tous les éléments de construction. Certains bastillons présentent des ouvertures qui permettent un tir du haut vers le bas. Les portes sont protégées par des barbacane pour lesquelles on a utilisé des briques. La porte sud P’aldal-mun est une des deux plus imposantes et présente une superstructure en bois à double toit pour marquer son importance. La muraille était aussi percées de cinq poternes (ouvertures dérobées) construites en briques. La ville était traversée par un cours d’eau qui était fermé par les portes d’eau du nord et du sud. Celle du nord est surmontée d’un petit pavillon qui pouvait aussi avoir une fonction d’agrément car surplombant un étang artificiel. Des bastillons quadrangulaires ponctuaient la muraille qui permettaient d’installer des canons et servaient aussi de postes de garde.

Illustration du Hwasŏng sŏngyŏk ŭigwe montrant la porte Changan-mun. ©BNF.

La grande porte du sud P’aldal-mun dans son état actuel. Hwasŏng-Suwŏn. ©F.Macouin.

Poterne du nord dans son état actuel. Hwasŏng. Suwŏn. ©F.Macouin.

Certains de ces bastillons, construits en briques, possédaient trois étages où étaient aménagées des canonnières. Une autre particularité de cette enceinte est la présence de tours creuses construites en briques sur des bastillons en granite. Celle du nord-est a la particularité d’être construite à l’arrière du rempart et de présenter un escalier intérieur en colimaçon. Il y avait deux postes de commandement, à l’est et à l’ouest, ce dernier présentant un étage et un double toit. Comme dans toutes les forteresses, on trouve aussi des feux d’alarme avec cinq cheminées pour faire des signaux avec du feu ou de la fumée ; une seule cheminée allumée signifiait  «paix», deux cheminées «l’ennemi a été vu», trois «l’ennemi approche de la frontière», quatre «l’ennemi attaque», et cinq «l’ennemi a franchi la frontière». Le pavillon Panghwasuryu-chŏng , construit sur une hauteur, présente une architecture complexe et servait de lieu pour la contemplation d’un étang.

Illustration du Hwasŏng sŏngyŏk ŭigwe détaillant une batterie. ©BNF.

Porte d’eau du nord, Hwahõng-mun. Fin 19ème – début 20ème s. Hwasŏng. Suwŏn.

La forteresse de Hwasŏng à Suwŏn, présente une architecture militaire innovante ; le soin apporté à sa construction, la solennité des portes d’entrée, le souci du décor ou la présence de pavillons de loisir, donne l’impression que la ville a été conçue pour être plus qu’une place forte. On a prêté  au roi Chŏngjo le désir de déménager la capitale à Suwon. La mort du roi, peu de temps après l’achèvement des travaux, fit que la ville n’eut comme destin que d’être un siège militaire et administratif. Ceci lui a valu de tomber plus ou moins dans l’oubli et, peut-être, d’avoir survécu et de se trouver maintenant inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Poste de commandement de l’ouest. Fin 19ème – début 20ème s. Hwasŏng. Suwŏn.

Tour des feux d’alarme dans son état actuel. Hwasŏng. Suwŏn. ©F.Macouin.

Illustration du Hwasŏng sŏngyŏk ŭigwe montrant le pavillon Panghwasuryu-chŏng. ©BNF.

Cette revue de l’architecture militaire du Chosŏn met en évidence l’aspect traditionnel des fortifications et, même si au 18ème s., on a essayé d’adapter les systèmes défensifs aux nouveaux armements, on sent qu’il y a eu un décalage avec le développement des armes à feu des pays étrangers. Ainsi, cette citadelle, qui a été construite à l’extrême fin du 18ème s., a encore des meurtrières pour tirer à l’arc et des installations pour le tir à l’arbalète. Comme en Chine et au Japon, les fortifications coréennes n’étaient pas prévues pour affronter un tir d’artillerie lourde.

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