L’arc et le sabre – Imaginaire guerrier du Japon

Visite-conférence par Sylvie Ahmadian, conférencière au MNAA-Guimet.

Le terme samouraï est mentionné pour la première fois dans un texte du 10ème s., mais n’est employé dans son sens actuel qu’à partir du 17ème s. L’image du samouraï a investi le théâtre kabuki et, à partir du 19ème s., la  littérature avec les grandes épopées, les arts figuratifs, avant d’être reprise au cinéma.

C’est durant l’époque Heian (794-1185) qu’apparaissent des groupes armés au service des notables provinciaux, eux-mêmes, au service de la cour impériale de Kyōtō. Cette classe de guerriers (bushi) va se développer progressivement au cours des 10ème-12ème siècles, mettant en place un réseau de loyautés et de dépendances. Ces guerriers professionnels sont à l’origine des archers montés sur des étalons. La fin troublée de l’époque Heian favorise une autonomie grandissante des seigneurs provinciaux et de la classe militaire qui se fait au détriment de la noblesse de cour. En 1185, les clans Taira et Minamoto s’affrontent dans la baie de Dan-no-ura et, après la victoire des Minamoto, ceux-ci vont instituer un nouveau régime politique, le shogunat, avec Kamakura comme résidence. Le shogun est seul responsable de l’ordre militaire et policier. En 1336, le shogunat s’installe à Kyōtō, symbolisant ainsi la réunion de l’est et de l’ouest du Japon.

Cette période voit l’alliance entre la noblesse de cour, les grands monastères bouddhistes et les grands vassaux guerriers du shogun. Les époques Kamakura (1185-1333) et Muromachi (1336-1573) établissent la toute-puissance de l’aristocratie militaire et la mise en place de régimes politiques totalement sous son contrôle avec le bakufu (gouvernement de la tente). C’est durant cette période qu’apparaît le bushido (la voie du guerrier), code strict qui exigeait loyauté et honneur jusqu’à la mort. Les samouraïs vaincus ou condamnés avaient le droit de se suicider en pratiquant l’éventration (seppukku) à l’aide de leur sabre, ceci, afin de retrouver leur honneur. Sept grandes vertus sont associées au bushido: droiture, courage, bienveillance, politesse, sincérité, honneur et loyauté ; l’influence des trois courants idéologiques (shintoïsme, bouddhisme et néoconfucianisme) n’y est pas étrangère. Au sein de l’élite guerrière il y avait une hiérarchie : les samouraïs vassaux directs du shogun, ceux qui étaient rattachés à un daimyō (seigneur féodal), et ceux qui n’avaient aucun rattachement à un clan ou à un seigneur, ces derniers étaient nommés rōnin.

Ambassaseur Japonais. Fin du 19ème s. Épreuve sur papier albuminé. Atelier Nadar.

Senju-Série Représentation de théâtre nō (Détail). Tsukioka Kogyo (1869-1927). Estampe polychrome (nishiki-e).

Officiers du fief de Satsuma (Détail). Felice Beato (1832-1909). Photographie extraite de l’album Views & Costumes of Japan de Stillfried&Andersen. Fin 19ème s.

En 1603, le clan Tokugawa prend le pouvoir et Tokugawa Ieyasu (1543-1616), devenu shogun, déplace la capitale à Edo (Tokyo) pour s’éloigner de la cour impériale de Kyōtō.

À l’époque d’Edo (1603-1868), la société japonaise se divise en quatre classes: les guerriers (shi), les paysans (), les artisans () et les commerçants (shō). Le gouvernement des Tokugawa conduit à un renfermement du Japon sur lui-même mais aussi à une ère de paix relative. La fonction guerrière diminuant, les samouraïs deviennent des «fonctionnaires» et se tournent vers les arts, essentiellement la poésie et la calligraphie. Avec l’institution du sankin-kōtai (rotation de service), les daimyō furent contraints, par le shogunat, d’avoir deux résidences où ils demeuraient en alternance, une année sur deux: une dans leur fief et une à Edo. Les voyages dans un sens comme dans l’autre étaient de véritables convois de centaines de personnes dont faisaient partie les samouraïs. L’entretien d’une double résidence et les voyages coûteux appauvrissaient les daimyō et permettaient au shogun de les affaiblir tout en les contrôlant.

Une photo colorisée, de Felice Beato (1832-1909), montre des samouraïs du fief de Satsuma. Ce clan qui s’était rebellé contre l’empereur, sera défait, en 1877.  Le statut de samouraï est alors aboli avec l’interdiction de porter les sabres, d’arborer la coiffure typique et ils ne sont plus les seuls à avoir le privilège de monter à cheval.  Cependant, la disparition de cette élite se fera progressivement.

L’exposition commence avec un haniwa représentant un personnage portant une épée de l’époque Kofun (350-550). A l’origine de simples cylindres de terre cuite, les haniwa étaient placés autour des tumuli qui abritaient la tombe. A partir du 5ème s., les cylindres vont servir de support à des figures humaines ou animales. La diversité des costumes met en évidence la hiérarchisation de la société et il semble qu’une haute aristocratie militaire dirigeante se soit développée. Ses cavaliers portent des armures de fer et des armes, notamment des épées. Ici, l’homme, vêtu d’une tunique, d’un pantalon bouffant resserré aux genoux, coiffé d’un casque, est paré d’un collier et porte une courte épée. L’arrivée du bouddhisme au Japon entraînera la disparition, à la fin du 6ème s., de cette forme de statuaire en apportant de nouveaux modes d’inhumation.

Haniwa représentant un personnage avec une épée. Terre cuite. Époque Kofun (350-550).

Casque (suji bachi kabuto) aux armoiries du clan Wakizawa et demi-masque (menpo). Fin 18ème s. Fer laqué noir, fer naturel, bois laqué, soie, poils d’ours, crins de cheval.

Jimbaori. 1858. Écailles de cuir laqué assemblées par laçage de soie blanche, doublure en brocard de soie.

Tsuba de katana à décor de libellules. 19ème s. Alliage à base de fer, incrusté de métaux de couleurs différentes : alliage à base d’or, shibuichi (alliage de cuivre et d’argent).

La toute-puissante aristocratie guerrière accorde une importance fondamentale aux lettres et à la culture, influençant la production artistique, comme en témoignent la mode des casques spectaculaires et exubérants, la pratique de la littérature et de la poésie par les shoguns, daimyos et samouraïs. La plupart des daimyos pensent de leur devoir et de leur rang d’entretenir des troupes théâtrales ; le théâtre nō met en scène des épisodes s’inspirant des grandes batailles du passé où se sont illustrés de célèbres guerriers comme Minamoto no Yoshitsune ou le moine Benkei, modèle du guerrier valeureux. Les somptueux costumes et les masques sculptés par les plus grands artistes étaient offerts par leur protecteur.

La relation des samouraïs à l’esthétique se traduit aussi par un certain nombre de pratiques et de divertissements aristocratiques qu’ils partagent assez largement avec les moines bouddhistes: la voie du thé (chadō), la voie des bois odoriférants (kōdō) et la voie des fleurs (ikebana). Les armes et les arts sont les deux ailes d’un oiseau, sans l’un deux, il ne peut voler.

La tenue du samouraï se compose d’un ensemble, parfois très luxueux: l’armure constituée de nombreuses pièces métalliques tenues par des passementeries, le casque, le sabre et le poignard, le gilet d’apparat, porté sur l’armure. Tous ces éléments étaient le résultat du travail collectif de nombreux artisans spécialisés et certaines armures sont des œuvres d’art à part entière. Bien que la période d’Edo ait été d’une grande stabilité politique, les samouraïs devaient entretenir leur équipement qui devint un instrument de prestige et de cérémonie, plus que réellement militaire et devaient, si possible, posséder un cheval.

Le casque (kabuto) est un élément important de l’armement du samouraï. Il est constitué d’une «bombe» composée de diverses plaques en métal forgé et rivetées entre elles, protégeant le sommet du crâne ainsi qu’une série de lamelles souples (shikoro) protégeant le cou. Ces casques pouvaient être parés d’un ornement frontal (maedate) et arborer le blason (mon) du clan d’appartenance du samouraï. Un casque spectaculaire (suji-bachi kabuto) complété par un demi-masque (mempō) est aux armoiries du clan Wakizawa. Les masques présentent souvent de grosses moustaches (en poils d’ours, crins de cheval, etc.) pour renforcer leur aspect effrayant.
Un gilet sans manche (jimbaori), à porter sur l’armure est un bon exemple de l’ostentation de certains samouraïs. Il est fait d’écailles de cuir laquées, assemblées par laçage de soie blanche et doublé d’un luxueux brocard de soie.

Sabre (tachi) de cérémonie. 1750. Acier et laiton ciselé, soie tressée.

Sabre tanto monté en aikuchi et son fourreau. Milieu 19ème s. Poignard (aikuchi) et son fourreau à décor de singes. Lame (1569), poignée et fourreau fin 19ème s. Métal et bois laqué.

Guerrier. Atelier de Katsushika Hokusai (1760-1849). Encre colorée et encre de Chine sur papier. 19ème s.

L’acteur de kabuki Bando Mitsugoro II. Katsukawa Shun’ei (1762-1819). Estampe polychrome (nishiki-e). 1789.

Les samouraïs étaient les seuls autorisés à porter le grand sabre (katana) souvent associé à un couteau ou petit sabre (kogatana). Ces armes faisaient aussi l’objet d’une grande recherche esthétique et pouvaient se transmettre de génération en génération. Les lames en acier étaient confectionnées par de célèbres artisans de même que la garde du katana, le tsuba, qui est souvent une véritable œuvre d’art, pouvant associer divers métaux dont l’or ou l’argent. Le katana comme le kogatana étaient portés glissés dans la ceinture. Les poignées et les fourreaux protégeant les lames étaient aussi fabriqués dans des matières luxueuses. Certains tsuba exposés évoquent des épisodes guerriers ou sont ornés de symboles comme la libellule qui incarne, pour les samouraïs, la force et le courage, le dragon, lui aussi, symbolisant la force et la puissance, le lapin qui ne revient jamais en arrière ou le serpent, symbole de longévité et de régénération avec sa mue.

Acte 11 de la série «le trésor des vassaux fidèles»: attaque nocturne 5, la retraite par le Ryogoku. Utagawa Hiroshige (1797-1858). Estampe polychrome (nishiki-e). 1830-1840.

Le grand bodhisattva Hachiman. 1795. Bois polychrome à rehauts d’or.

Combat au bâton. La Manga de Hokusai. 1819. Livre illustré de gravures sur bois imprimées en deux teintes.

Si les daimyō entretenaient des troupes de théâtre nō, le kabuki va s’emparer de l’image du samouraï. Cette forme de spectacle, plus populaire, alterne épisodes dramatiques et comiques. Le sabre et l’éventail sont les symbole du samouraï au théâtre. Le jeu des acteurs est fondamental et, souvent, le public venait voir les acteurs plus que la pièce qu’il connaissait déjà. La magnificence des costumes, les maquillages et la pose (mie), chargée de puissance et d’émotion, faisaient la renommée des plus fameux acteurs. Il faut rappeler que depuis 1642, les rôles féminins (onnagata) sont tenus par des hommes. Certains artistes, comme Utagawa Kunisada (1786-1864), se spécialisaient dans les portraits d’acteurs et d’autres ont représenté  des scènes de kabuki. Utagawa Hiroshige (1797-1858) a ainsi dessiné tous les épisodes d’une pièce célèbre, Le trésor des vassaux fidèles, qui sont exposés.

Le daimyō portait un bâton de commandement (saihai) et un éventail en plus de son armure afin de transmettre des ordres pendant la bataille. Un de ces éventails est exposé, il porte d’un côté, un soleil rouge sur fond blanc, et de l’autre, une lune dorée sur fond noir.

Une petite chapelle miniature abrite une représentation de Hachiman Daibosatsu, à cheval. Cet ancêtre impérial, dieu de la guerre dans le shinto, a été intégré au bouddhisme pour devenir le grand bodhisattva Hachiman, protecteur divin du Japon et du peuple japonais. Hachiman est symbolisé par le pigeon et deux de ces oiseaux ornent le devant du petit sanctuaire.

Le manga, avant de devenir une bande dessinée contemporaine, était un ensemble de croquis qui servaient ensuite pour la composition d’estampes. Une page d’un de ces livres, La manga de Hokusai (Denshin kaishu Hokusai manga- L’initiation à la transmission de l’essence des choses), illustre une démonstration de combat au bâton.

Le Samouraï de cristal, est une sculpture de Patrick Neu (né en 1963) ; il combine cristal, métal et papier pour symboliser la fragilité de l’image du samouraï.

Le manga moderne est apparu dans les années 1950 et s’inspirait, alors, des récits traditionnels dans lesquels la figure du samouraï redevient prépondérante. L’art de l’estampe a beaucoup influencé le manga dans la représentation du mouvement et la nervosité du trait. Les mangas se sont aussi beaucoup inspirés du théâtre kabuki, de même que l’animé japonais où l’on retrouve des super-héros dotés de capacités surhumaines.

Miyamoto Musashi. Ishinomori Shotaro (1938-1998). Éditions Kana.Paris. 2008.

Samouraï de cristal. Patrick Neu (né en 1963). Cristal, métal et papier. 1999-2015.

Affiche du film Kagemusha de Akira Kurosawa (1910-1998). 1980.

Détail d’une poupée Dark Vador. Hong Kong. 1978. Plastique.

Le mythe du samouraï jalonne toute l’histoire du cinéma japonais. De nombreux films ont mis en exergue l’idéal guerrier japonais et ont contribué à ce qu’il incarne l’identité japonaise dans l’imaginaire occidental.

George Lucas s’est beaucoup inspiré de la culture traditionnelle du Japon pour sa série Star Wars: le casque de Dark Vador est copié du kabuto, le personnage de Maître Yoda semble s’inspirer de l’enseignement du bouddhisme zen, le Jedi, vêtu d’un kimono léger, manie le sabre laser comme un samouraï, etc.

 

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