Phi ta khon, bouddhisme et culte des esprits en région Isan (Nord-Est de la Thaïlande)

Mercredi 22 mars 2017 : Phi ta khon, bouddhisme et culte des esprits en région Isan (Nord-Est de la Thaïlande) par Julien Rousseau, conservateur du patrimoine, responsable scientifique de l’unité patrimoniale Asie au Musée du quai Branly – Jacques Chirac.

En Thaïlande, comme au Cambodge ou au Laos, le bouddhisme theravada (du petit véhicule) a intégré, dès son origine, le culte des génies de la nature et des esprits en général. Le culte des phi n’est pas en contradiction avec le bouddhisme populaire et il est courant de voir une maison des esprits dans l’enceinte des temples et devant les maisons. Ce culte aniconique consiste à abriter et nourrir les phi (esprits du sol, de la nature et des défunts non réincarnés).
Chaque année, la commune de Dan Sai, dans la région Isan (Nord-est de la Thaïlande) organise une fête renommée dans tout le royaume : le Festival Phi ta khon. Cet événement se tient généralement en juin, combinant la transition entre la saison sèche et la saison des moussons (Bun bang fai) et la célébration du quatrième mois lunaire (Bun phra wet). Le médium de la commune décide de la date et c’est lui qui, accompagné des notables et de militaires, va appeler les génies tutélaires avant l’ouverture des festivités.

La parade des phi ta khon. ©J.Rousseau

Maison des esprits dans l’enceinte d’un temple. ©J.RousseauMaison des esprits dans l’enceinte d’un temple. ©J.Rousseau

Discours officiel du médium Chao pho khuan accompagnés d’élus et de militaires au wat pho chai. ©J.Rousseau

Ce festival fait allusion à la dernière des vies antérieures du Buddha, au cours de laquelle, il était un prince du nom de Vessantara. Phi ta khon marque le retour, après un long exil, de ce prince dans son village natal. Son accueil fut si grandiose qu’il réveilla les esprits des morts, qui décidèrent alors de se joindre à la fête. Phi ta khon célèbre ainsi l’union des esprits des morts et des vivants et la symbiose entre bouddhisme et animisme.
Les festivités se déroulent durant trois jours. Le premier jour voit les habitants demander la protection de Phra Uppakhut (moine « saint » bouddhiste et l’esprit de la rivière Mun) ainsi que des génies tutélaires. Les jeunes hommes du village se parent de costumes colorés et de masques effrayants pour une grande procession (phi ta khon signifie « masques de fantômes »). Les costumes et les masques des villageois leur permettent ainsi d’incarner ces fantômes. Le concours de danse qui les voit s’affronter est un moment très attendu.

Procession du prince Vessantara. ©J.Rousseau

Parade des phi ta khon. ©J.Rousseau

Fabrication des masques. ©J.Rousseau

Une maquette du stupa de wat Pon Chai accompagne la procession de Vessantara et de Maddhi. Le deuxième jour, une nouvelle parade investit le village avec le Bun Bang Fai, une tradition commune aux autres provinces de l’Isan, qui consiste à lancer des fusées artisanales qui doivent s’élever le plus haut possible dans le ciel. Elles ont pour objectif d’encourager la pluie à tomber. Le troisième jour, les habitants se réunissent au temple wat Phon Chai pour écouter treize sermons bouddhiques délivrés par les moines locaux. Dans le cadre de ces célébrations, il y a aussi différents concours, dont le costume du meilleur fantôme.
Les masques phi ta khon sont fabriqués à partir de matériaux de récupération. Le chapeau est constitué d’un «huad» (récipient de bambou tressé utilisé pour cuire du riz gluant à la vapeur), plié pour s’adapter à la tête et de stipes de palmier. La face est fabriquée à partir de feuilles et de fibres de cocotier. Le grand nez crochu est en bois tendre. Tous ces différents éléments sont reliés entre eux avant que le masque soit minutieusement peint. Enfin, du tissu est cousu et collé, afin d’en couvrir la partie arrière. La fabrication de ces masques se transmet de génération en génération. Leur iconographie combine la puissance et l’ambivalence des génies du sol, à l’image de la nature, source de vie et de mort. Leur aspect effrayant qui évoque les créatures du monde souterrain associé aux damnés et aux enfers n’exclut pas des représentations du Buddha ou de symboles bouddhiques. Normalement ces masques sont détruits après les festivités, mais des artistes locaux de talent se sont lancés dans la production de masque phi ta khon et vendent leur production.

Stipes de palmier et panier à riz gluant. ©J.Rousseau

Fabrication et décoration d’un masque avec une figure de Garuda. ©J.Rousseau

Masque avec tête de kala et motif d’un linteau angkorien avec Lokesvara. Coll. MQB. ©J.Rousseau

Masque avec une représentation de l’éveil du Buddha par Angchai Sampho. Coll. MQB. ©J.Rousseau

L’origine exacte de cette fête reste mystérieuse et on ne sait pas de quand elle date, peut-être du 17ème siècle ? Bien qu’elle réponde, à l’origine, à la volonté de favoriser les pluies de la mousson et d’assurer ainsi la fertilité des terres cultivées, elle offre aussi l’occasion d’acquérir des mérites spirituels importants à ceux qui y prennent part.

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