Paravents, 18ème siècle
visioconférence par Estelle Bauer, Professeure d’histoire de l’art du Japon classique à l’INALCO.
Élément du mobilier et support de la peinture, le paravent (byōbu) est un objet étonnant par sa plasticité: il se plie et se déplie, unit et divise la surface picturale.
Les plus anciens paravents qui nous soient parvenus datent du 8ème s. et sont conservés au Trésor du Shōsōin à Nara. L’un, se compose de six feuilles, chacune figurant une beauté sous un arbre. Le style est très nettement influencé par l’esthétique des Tang. L’autre, porte des textes moralisateurs chinois et était censé se trouvé près du siège de l’empereur.
D’après ces deux exemples, on voit qu’un paravent ne se définit pas par son décor mais par sa surface: il se compose de feuilles, généralement au nombre de six. Chaque feuille peut être autonome mais aussi peut répondre à celle qui la précède ou la suit.
Le byōbu est un objet mobilier, fait de plusieurs panneaux, ou feuilles, articulés, qui se plie et peut être rangé. On oppose souvent les paravents aux fusuma rattachés à l’architecture. Les fusuma sont les cloisons coulissantes qui définissent l’espace d’une pièce et peuvent servir de portes. Bien que pérennes, ils peuvent être démontés. Ce sont aussi des supports de peintures afin de créer une atmosphère et le décor en est conçu pour rythmer la progression d’une pièce à l’autre. A l’inverse, les paravents sont totalement mobiles, ils peuvent être déplacés et posés dans différentes parties d’une pièce et choisis en fonction des circonstances.
Un paravent du 17ème s. est décoré d’une scène tirée de «les cérémonies annuelles à la cour», un ensemble de soixante rouleaux commandé par l’empereur retiré Goshirawaka-in, dans la deuxième moitié du 12ème s. Si cet ensemble a été perdu, lors d’un incendie en 1661, il en existe plusieurs lignées de copies partielles. Ce qui est intéressant ici est la représentation d’un banquet à la cour, dans la partie supérieure. Deux côtés de la pièce sont tapissés de byōbu ornés de peintures de paysages. Chaque feuille est entourée d’un galon (ou d’une passementerie), typique des premiers exemplaires. Il semble, qu’au début, les paravents fonctionnaient non pas seulement par paire mais dans des ensembles beaucoup plus importants pouvant aller jusqu’à douze. Un document du protocole datant du début du 12ème s. montre le plan du déroulement d’une cérémonie religieuse dans le palais impérial. On y voit des paravents disposés dans certains endroits pour créer une atmosphère différente et qualifier ce lieu de la vie quotidienne.
Le «journal de ce que j’ai vu et entendu» tenu par le prince Sadafusa (1372-1456) nous éclaire sur l’utilisation des paravents. Le prince, qui reçoit d’éminents amis pour une réunion de poésie, décrit la manière dont il a décoré la pièce: il y a, certes, installé deux paires de paravents, mais les éléments les plus importants sont des peintures. Pour la fête de Tanabata, il emprunte une paire de paravents ainsi qu’un autre pour décorer la pièce. Cela démontre qu’on pouvait se les prêter suivant l’effet recherché ; de plus, ils ne sont pas uniquement posés par paire. Dans un autre passage, il est question de deux paires de paravents sur lesquels on a suspendu sept peintures montées en rouleaux verticaux. Il semble que, dans ce cas, les paravents étaient disposés à plat devant les fusuma et que les kakemono aient été des peintures de style chinois à l’encre alors que les paravents étaient de sensibilité japonaise. Cela atteste bien que les paravents ne sont pas regardés en tant qu’œuvres d’art, mais sont là pour créer une ambiance.
Sur un rouleau de 1351 qui raconte la vie d’un moine, on voit une scène de repas où un noble adolescent rend visite au moine. Derrière ce dernier, un grand paravent est déployé pour magnifier l’espace et rendre hommage au visiteur. Sur un autre rouleau de la même histoire datant, de 1482, une scène montre la réception du moine par un haut personnage. Tous deux sont adossés à un grand byōbu à fond d’or orné de pins. Dans la pièce adjacente a lieu un accouchement et celle-ci est entourée de paravents pour préserver l’intimité du moment. Ces paravents sont à fond blanc avec un très léger décor à l’encre ou au mica pour assurer la pureté du lieu. Il n’en resterait que deux paires.
Sur une peinture de Kawahara Keiga (1786-1860), «La vie d’un homme», deux scènes liées à la mort montrent que les paravents disposés dans les pièces ont été posés à l’envers.
Une paire de paravents ornée de byōbu datant du 18ème s., conservée au Metropolitan Museum, est unique par le fait qu’elle montre tout un ensemble de formats et de décors différents, comme un catalogue. On y voit un paravent illustrant le Dit du Genji avec plusieurs scènes réparties sur le fond or. Devant celui-ci, se trouve déployé un autre à fond or mais orné d’une seule scène tirée du Dit des Heike représentant la bataille d’Ichi no tani. A côté figure un paravent orné d’un paysage d’inspiration chinoise. Sur l’autre paravent, un byōbu illustre une mode consistant à coller des éventails peints sur la surface. Les sujets de cette paire pourraient évoquer le printemps pour celui de droite et l’automne pour celui de gauche.
Les byōbu peuvent se composer de deux, quatre, six et plus rarement huit feuilles.
La surface d’une paire de paravent peut être traitée de manières différentes.
Chaque feuille reçoit une peinture indépendante.
C’était le cas pour les premiers byōbu comme on l’a vu pour ceux datant du 8ème s. Une paire de paravents, du 17ème s., illustre la vie des paysans en 12 mois, chaque mois étant sur une feuille.
Une composition unifiée contrebalancée.
Sur une paire de paravents attribuée à Shūbun (15ème s.), Paysage au fil des saisons, la composition, contrebalancée, se lit de droite à gauche et occupe toute la surface des deux paravents, partant du printemps à l’extrême droite pour se terminer par l’hiver à l’extrême gauche. De même, il y a opposition entre celui de droite qui illustre le jour et celui de gauche, la nuit. Il est à noter que le centre est traité de façon plus légère alors que les deux extrémités sont plus chargées, créant une composition en diagonales.C’est aussi le cas sur une paire attribuée à Sesson Shūkei (1504-1589) qui montre des gibbons dans un paysage. Bien que le centre de la scène ne soit pas vide, les deux extrémités sont occupées par des arbres qui encadrent le tout. Ici, les paravents peuvent se lire indépendamment ou être assemblés pour former une grande scène.
Une composition contrastée.
Chaque byōbu porte un motif qui répond à l’autre. C’est le cas d’une paire peinte par Nagasawa Rosetsu(1754-1799) qui représente, à gauche, un grand buffle gris et, à droite, un éléphant blanc qui peine à entrer dans le cadre. Chaque gigantesque animal est accompagné de plus petits ; un petit chien blanc est blotti contre le flanc du buffle alors que deux corneilles noires sont perchées sur la croupe de l’éléphant.
Une autre paire, de Sakai Hōitsu (1761-1828), oppose un prunier blanc à un prunier rouge, chaque arbre occupant le centre de chaque paravent.
Une composition progressive.
Ce système est particulièrement utilisé pour évoquer le passage des saisons.
Le byōbu de Hikone, du milieu du 17ème s., illustre les «Quatre passe-temps du lettré» transposé dans un quartier réservé dans le style de l’école Kanō.
La lecture peut se faire deux feuilles par deux feuilles. A gauche la musique est évoquée par un groupe jouant du shamisen devant un byōbu. La feuille adjacente montre un autre groupe jouant au jeu de sugoroku sur un plateau. Les deux feuilles suivantes illustrent la peinture et la poésie associée à la calligraphie. Un groupe de femmes en discussion avec un jeune homme occupent les deux dernières feuilles. Les vêtements et objets personnels suggèrent les quatre saisons, comme dans les traditionnelles «images des quatre saisons». Lorsque le paravent est mis en accordéon il donne vraiment l’impression que chaque groupe a une interaction sur deux feuilles.
Cette impression de dialogue entre les feuilles se retrouve sur deux byōbu de deux panneaux. Rester au frais sous la tonnelle de volubilis de Kusumi Morikage (1620-1690) montre une famille de paysans prenant le frais un soir d’été. Les personnages semblent regarder la lune qui apparaît sur l’autre feuille. Shoki piégeant un démon dans une toile d’araignée de Soga Shohaku (1730-1781), lui aussi sur deux feuilles, met en opposition Shoki (Zhong Kui), traité de manière puissante à l’encre, au démon pris dans la toile qui, lui, est peint avec plus de détail et d’un pinceau plus léger.
Des scènes individuelles au milieu de nuages.
C’est souvent le cas pour l’illustration d’épisodes tirés de la littérature tels que le Dit du Gengi, de scènes de fêtes ou de lieux célèbres.
Une composition sur un motif centré.
Le motif est centré lorsque les deux paravents sont mis côte à côte ou occupe le centre d’un seul paravent.
Une composition décorative.
Il s’agit souvent d’oiseaux, de fleurs qui peuvent avoir un sens symbolique et sont répartis sur toute la surface. Ce genre est souvent associé à l’école Rinpa.
Il est utile de rappeler que les paravents japonais ont connu une très grande vogue en Occident et ont contribué à la diffusion du japonisme. Une peinture de James Tissot (1836-1902), Jeunes femmes regardant des objets japonais (1869), montre deux jeunes femmes examinant attentivement un paravent à six feuilles ornées de la bataille de Yashima qui fait souvent pendant à celle d’Ichi no tani (Dit des Heike). Dans, Caprice en violet et or – le paravent doré (1864), James McNeill Whistler (1834-1903) témoigne de cette mode du japonisme à la même époque. Une jeune femme vêtue d’un kimono regarde des estampes devant un byōbu à fond or. Il est évident que les Occidentaux ont apprécié les paravents d’une manière très différentes de celle des Japonais.