Meiji, splendeurs du Japon impérial

Mercredi 14 novembre 2018: Meiji, splendeurs du Japon impérial, visite-conférence de l’exposition présentée au MNAAG par Sylvie Ahmadian, conférencière au Musée national des arts asiatiques-Guimet.

Cette exposition, consacrée au Japon de l’ère Meiji, s’intègre dans le cadre de la saison culturelle «Japonismes 2018» qui commémore le 150ème anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre le France et le Japon, ainsi que le cent cinquantenaire de la promulgation de l’ère Meiji (1868-1912). Durant cette période de mutation et de profonds changements, l’empereur Mutsuhito (1852-1912) et son gouvernement conduisent une politique de modernisation sans précédent qui permet au Japon de devenir, en quelques décennies, une nation et une puissance mondiale.
La restauration du système impérial fait de l’empereur Meiji le chef politique et militaire du pays. Même si l’on ne conserve que quatre photographies du personnage, son image a été abondamment diffusée par le biais de l’estampe, comme celle de l’exposition, montée en kakemono, où il figure en costume militaire «à l’occidentale», portant l’insigne de l’Ordre du Chrysanthème. Dans la partie supérieure de l’estampe, la présence de l’empereur Jinmu, fondateur mythique du Japon et descendant de la divinité du Soleil Amaterasu, souligne l’ascendance divine du souverain. Il est cependant difficile de savoir s’il fut un véritable réformateur ou la marionnette d’un milieu progressiste.
Par de multiples photographies colorisées du musée Guimet (comme l’usine de filature de Tomioka construite par l’ingénieur français Paul Brumat) et des estampes de Kobayashi Kiyochika (1847-1915) au message propagandiste, le début de l’exposition évoque de nombreux domaines dans lesquels s’accomplit la modernisation effrénée du Japon qui, par le nouvel ordre «imiter l’occident pour devenir son égal», entend rivaliser avec les puissances occidentales. Sur le plan militaire, le Japon, fort d’une armée et d’une flotte désormais modernes, se lance dans plusieurs guerres victorieuses contre l’Empire de Chine (1894-1895) et la Russie (1904-1905) et annexe la Corée à partir de 1910. A la fin de l’ère Meiji, désormais affranchi des Traités inégaux, l’archipel nippon atteint son objectif, son ascension politique et militaire lui permettant de figurer désormais au ban des grandes puissances mondiales.

Portrait de l’empereur Meiji, accompagné d’un poème calligraphié de l’empereur. Estampe. Vers 1900.Coll. Khalili.

Nos troupes prenant l’île de Liugong. Kobayashi Kiyochika. Estampe polychrome sur papier. 1895.MNAAG.

Détail du brûle-parfum. Suzuki Chokichi. Bronze et métal doré.Vers 1870. Coll. Khalili

L’exposition vise à montrer au public occidental les divers domaines artistiques du Japon de l’ère Meiji à travers de nombreux chefs-d’œuvre de la prestigieuse collection Khalili et des œuvres provenant de divers collections publiques britanniques et françaises (dont celles du musée Cernuschi).
Le Japon, dont l’ouverture coïncide avec le développement des expositions nationales et internationales, va désormais régulièrement participer aux expositions universelles en sélectionnant les artistes et les œuvres d’art, souvent de grandes dimensions et d’une grande virtuosité technique. Les productions artistiques permettent au Japon non seulement de promouvoir son image à l’étranger mais aussi de redresser sa balance commerciale déficitaire par le poids de la modernisation.
L’ère Meiji connaît un remarque essor dans les domaines du cloisonné, des arts du métal et du laque. Parmi les oeuvres présentées dans la 1ère salle figurent notamment un monumental brûle-parfum de Suzuki Chokichi (1848-1919), soutenu par trois oni musclés et surmonté d’un aigle, présenté à l’exposition internationale des Arts du métal de Nüremberg en 1885, ainsi que de multiples émaux cloisonnés d’Andô Jubei dans la technique musen «sans fil», tels que le vase à décor du Mont Fuji, vers 1900 ou la paire de paravents incrustés chacun de quatre plaques en émail cloisonné sur le thème des quatre saisons, et présentée à l’Exposition universelle de Liège en 1905. Quant au paravent à décor de divinités shintoïstes appartenant à une paire, il comprend de vastes panneaux en bois laqué qui témoignent d’un remarquable savoir-faire technique et d’un art du laque très sophistiqué.

Détail du paravent à décor de divinités shintoïstes. Bois, laque, ivoire, nacre. 1880-1890. Coll. Khalili.

Vase à décor de bambous et vase à décor de pivoines. Miyagawa Kozan. Porcelaine. Vers 1910. Victoria & Albert Museum.

Brûle-parfum. Oie. Namikawa Sôsuke. Émaux, bronze doré. 1880-1885. Coll. Khalili.

Pour affirmer son identité culturelle, le Japon se tourne vers son propre passé en renouant avec certaines écoles artistiques tels que le courant Rimpa, en revisitant une thématique emblématique du Japon ancien (par exemple les samouraïs) ou un savoir-faire traditionnel tel que l’art de la laque. Les meilleurs artisans japonais puisent aussi leur inspiration dans les chefs-d’œuvre de la Chine ancienne qui renouvellent leur langage artistique et stimulent leurs prouesses techniques. Parmi les œuvres remarquables de la seconde salle, on peut citer le bol à décor d’aigrette ou les «vases balustres à décor de pivoines ou de bambous» de l’illustre céramiste Miyagawa Kozan (1842-1916), fournisseur de la Maison impériale, et dont les œuvres ont été plusieurs fois primées dans les expositions internationales ; l’ «Oie» en émaux cloisonnés en fils d’argent et au style naturaliste de Namikawa Sôsuke (1847-1910) ; ou encore le somptueux coffret de rangement pour inrô en laque, provenant tous de la collection Khalili.

Shakyamuni assis sur un rocher. Kawanabe Kyôsai. Peinture sur soie. 1876. MNAAG.

Brûle-parfum. Tengu sortant d’un œuf. Kobayashi Shunkô. Émaux, cuivre doré, bronze et argent. Vers 1885. Coll. Khalili.

Vase à décor de poule. Namikawa Sosuke. Émaux cloisonnés musen, or, argent, cuivre doré. 1890-1900. Coll. Khalili.

Sur le plan religieux, le shintoïsme devient le courant officiel de l’ère Meiji et l’empereur la figure centrale de l’idéologie d’Etat. Malgré des réactions antibouddhiques et un patrimoine artistique en déclin,  le bouddhisme demeure très ancré dans la population japonaise et suscite l’intérêt des Occidentaux : Henri Cernuschi rapporte de son séjour au Japon (1871-72) le brûle-parfum enlacé par un dragon de Kimoura Toun placé au centre de la 3ème salle de l’exposition ou le monumental Bouddha Amida en bronze du musée Cernuschi ; Emile Guimet rapporte aussi, en 1876, de nombreuses œuvres d’art bouddhiques (dont le fameux mandala du Toji) et contribue aussi à faire connaître en Occident le talentueux Kawanabe Kyôsai (1831-1889) qui réalise à son attention la peinture sur soie «Shakyamuni assis sur un rocher» présentée dans cette salle. Cet artiste de génie, qualifié de «Démon de la peinture», est aussi l’auteur de livres d’estampes et de dessins caricaturaux ou «images loufoques» (présentés plus loin dans l’exposition) et dans lesquels s’expriment son inventivité, son humour et son style provocateur tandis qu’une puissante énergie se dégage de sa peinture  «Susanoo terrassant le dragon à huit têtes» appartenant au Bristish Museum.
Durant l’ère Meiji, les croyances populaires ancestrales ne sont pas pour autant abandonnées si bien que de multiples supports artistiques sont peuplés de fantômes et de démons, de monstres yôkai ou de redoutables tengu, parfois sublimés dans des œuvres telles que le ravissant petit brûle-parfum «tengu sortant d’un œuf» de Kobayashi Shunkô (vers 1885).
Encouragés par le gouvernement, les artistes japonais font preuve d’une extraordinaire maestria qui s’exprime magistralement à travers les techniques de l’émail cloisonné musen (sans cloison) ou moriage (en relief) dont les plus illustres représentants Namikawa Yasuyuki (1845-1927) et Namikawa Sôsuke (1847-1910), tous les deux nommés « Artistes de la Maison impériale » et primés dans plusieurs Expositions universelles, sont respectivement les auteurs du «Vase à décor floral» (vers 1890, Victoria&Albert Museum) et de la «Paire de vases à décor de coqs et de poules» (1890-1900, collection Khalili) au rendu quasi pictural et portant le kikumon. Les domaines de l’art du métal et de la laque produisent aussi des chefs-d’œuvre grâce au savoir-faire inégalé de Suzuki Chokichi (1848-1919) et Shibata Zeshin (1807-1891). Ce dernier, aussi célèbre au Japon qu’à l’étranger, «Artiste de la Maison impériale», est l’inventeur de la peinture à la laque sur du papier japonais (washi) et de multiples techniques de laque telles que l’ «enduit à motif de vagues» ou «l’enduit imitant le bronze». Il réalise de sublimes œuvres «intemporelles», empreintes de sobriété et de raffinement comme «Boîte à papier et écritoire» (vers 1860-1870, collection Khalili) à décor de symboles de bon augure associés aux Sept Dieux du Bonheur.

Boîte à papier à décor de symboles de bon augure. Shibata Zeshin. Bois, laque rouge et laque or maki-e, nacre. 1860-1870. Coll. Khalili.

Diogène. Shimomura Kanzan. Encre et peinture sur soie. 1903-1905. British Museum.

Dessin de deux bols japonais. Christopher Dresser. Aquarelle sur papier. 1876-1878. Victoria & Albert Museum.

Les dernières salles de l’exposition soulignent l’importance du courant Nihonga et le développement du japonisme. Le courant nihonga (peinture japonaise), qui s’oppose au courant Yôga (peintures de style occidental), s’inspire de la tradition japonaise et de la peinture au lavis tout en usant d’influences occidentales : le portait de «Diogène» (1903-1905, British Museum), dont le visage résulte de l’emploi du clair-obscur, reflète le style éclectique de Shimomura Kanzan (1873-1930). A ce courant se rattachent aussi des artistes dont les travaux de peintres, céramistes et émailleurs sont parfois associés : le «Plat à décor de moineaux sous la neige» (vers 1890, collection Khalili) en émail cloisonné, est l’oeuvre de Namikawa Sôsuke d’après un dessin de Watanabe Seitei (1851-1918), réputé pour ses peintures de «fleurs et oiseaux», aux couleurs et nuances délicates et au réalisme occidental.
Enfin, à l’extraordinaire engouement pour l’art japonais, développé en France, succède un courant artistique sans frontière : le japonisme. A Paris, de nombreuses collections d’art japonais voient le jour grâce aux marchands d’art tels que Siegfried Bing et Hayashi Tadamesa tandis que certaines œuvres de l’Américain Edward Chandler Moore, du Français René Lalique ou du Britannique Chritopher Dresser s’inspirent de modèles japonais où s’expriment le goût pour la nature, l’asymétrie et l’emploi du vide.

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