Mandalay, le chant du cygne du royaume birman

Mercredi 27 septembre 2017 : Mandalay, le chant du cygne du royaume birman, conférence par Pierre Baptiste, conservateur général au musée national des arts asiatiques-Guimet, en charge des arts de l’Asie du Sud-Est.

Le nom de Mandalay qui fut la dernière capitale des rois birmans, entre 1860 et 1885, évoque le poème de R. Kipling mais aussi les relations conflictuelles entre les cultures occidentales et orientales.

Le MNAA-Guimet possède une petite collection de tirages anciens de qualité qui ont fait l’objet de restauration et qui seront présentés dans une exposition de photographies sur la Birmanie.

Cette ville possède un tracé urbain orthogonal assez lâche qui la relie aux traditions des autres grandes capitales d’Asie du Sud-Est continentale. Le palais royal de plan carré, divisé en blocs, entouré de remparts et de douves était au centre de la ville disposée en carré tout autour, au pied de la colline Mandalay Hill. Si, à Mandalay, l’architecture en bois a totalement disparu ou presque suite aux nombreux incendies, les images anciennes renvoient à une disposition proche des cités royales d’Angkor, de Sukhothai, d’Ayutthaya ou de Bangkok.
La province de Haute-Birmanie s’étire du Nord au Sud, le long de l’Irawady et Mandalay naît au 19ème siècle un peu par la force des choses : au 17ème s., la dynastie Taungû avait dû abandonner la Basse-Birmanie à cause de la présence croissante des Portugais qui seront remplacés, à partir du 18ème s., par les Anglais qui cherchent à étendre leurs colonies et avaient déjà grignoté la presque totalité du sous-continent indien.

La dernière dynastie Konbaung qui va régner sur la Birmanie pendant une centaine d’année a à sa tête des hommes extrêmement forts que le nationalisme actuel met beaucoup en exergue. Le fondateur de la dynastie, Alaungpaya, fut un très grand militaire qui, à partir d’une province, va conquérir les territoires voisins et établir son autorité sur l’ensemble de la Birmanie. Ses fils vont poursuivre la politique d’expansion et le deuxième fils, Hsinbyushin va mettre à sac Ayutthaya et repousser des tentatives d’invasion chinoise.

DYNASTIE KONBAUNG

 

No Titre Capitales Parenté Règne Notes
1 Alaungpaya Shwebo Chef de village 1752-1760 Fondateur de la dynastie et du 3e Empire Birman ; envahit Ayutthaya
2 Naungdawgyi Sagaing Fils 1760-1763 Envahit Ayutthaya avec son père
3

 

Hsinbyushin

Ava (Innwa) Frère 1763-1776 Prit et dévasta Ayutthaya, envahit Chiang Mai et le Laos, envahit Manipur, repoussa 4 invasions chinoises (1765-1769)
4 Singu Min Ava (Innwa) Fils 1776-1782 Perdit le Lanna
5 Phaungkaza Maung Maung Ava (Innwa) Cousin (fils de Naungdawgyi) 1782 Le règne le plus court : une semaine
6 Bodawpaya Amarapura Oncle (fils d’Alaungpaya) 1782-1819 Annexa l’Arakan, attaqua Ayutthaya
7 Bagyidaw Amarapura puis Ava à partir de 1823 Petit-fils 1819-1837 Participa à la 2e expédition de son grand-père contre Ayutthaya, envahit l’Assam et Manipur, fut vaincu lors de la Première guerre anglo-birmane
8 Tharrawady Min Ava puis Amarapura à partir de 1841 Frère 1837-1846 Rejeta le traité de Yandabo
9 Pagan Min Amarapura Fils 1846-1853 Renversé par Mindon après sa défaite dans la Deuxième guerre anglo-birmane
10 Mindon Min Amarapura puis Mandalay à partir de 1860 Demi-frère 1853-1878 Conclut la paix avec les Britanniques, échappa de justesse à une révolution de palais menée par deux de ses fils (son frère, le prince royal Ka Naung fut tué)
11 Thibaw Min Mandalay Fils 1878-1885 Dernier roi de Birmanie, contraint à l’abdication et à l’exil en Inde après sa défaite lors de la Troisième guerre anglo-birmane

Lors de la prise d’Ayutthaya, s’il y eut pillage, les Birmans ramènent aussi des artistes qui vont apporter le savoir-faire et le style siamois influençant ainsi les modes et le goût birmans.
L’avant-dernier roi, Mindon Min, va créer une nouvelle capitale et, malgré un royaume réduit puisque les Anglais occupent le Sud du pays depuis Rangoon (Yangon), va redonner un certain lustre à la dynastie.
Sous la dynastie Konbaung, la capitale changea plusieurs fois pour des raisons religieuses, politiques ou stratégiques. Au cours de ces changements, l’ensemble des palais était démonté et transporté à dos d’éléphants sur le site choisi.

Carte des différentes capitales successives.

Réception de Michael Symes au palais royal d’Amarapura. An account of an embassy to the kingdom of Ava sent by the Governor-General of India in the year 1795. Londres. 1800.

Nous avons une idée de la ville royale d’Amarapura grâce aux descriptions et gravures des Anglais qui ont envoyé un certain nombre d’ambassades commerciales. Une gravure de 1800 montre la grande salle du trône d’Amarapura supportée par une forêt de colonnes : le trône royal se situe au fond et les dignitaires de la cour sont assis par terre de part et d’autre de l’axe central.
Mindon Min va faire démonter le palais d’Amarapura pour le transporter sur le site de Mandalay, la nouvelle capitale. La ville royale fut officiellement nommée Yadanabon, version birmane de son nom pâli Ratanapura, signifiant « la Cité des joyaux ». Des gravures ou des photographies anciennes montrent que la ville est centrée autour du palais royal de plan carré, entouré de murailles et de douves. Mais si le plan est hippodamien, les bâtiments en bois sur pilotis sont construits le long des rues, au milieu de jardins, ne donnant pas ainsi une impression de ville dense. On peut s’en rendre compte aujourd’hui en visitant le palais royal qui a été recréé sur l’ancien modèle, même s’il y a moins de constructions. Cette reconstitution n’est peut-être pas archéologiquement très juste mais se justifie pour les Birmans car Mandalay est le symbole fort d’une capitale qui a résisté aux Britanniques. Toute l’architecture de bois a été reconstruite d’après les modèles anciens mais il reste un élément ancien qui a été transporté dans le monastère Shwe-Kyaung par le fils et successeur de Mindon Min. On peut cependant regretter que toutes les toitures soient en tôle ondulée peinte en rouge.

Vue panoramique du palais royal et de la ville de Mandalay en 1896.

Monastère Shwe-Kyaung.

Les pavillons d’angle de l’enceinte, qui sont des tours sanctuaires (prasat), ont une architecture surélevée pour évoquer le Mont Méru, résidence des dieux. Ce système de structures répétées en étages superposés en réduction reprend l’architecture de tous les grands sanctuaires du monde indien et du Sud-Est asiatique. En Birmanie, depuis le 18ème s., les architectes ont eu tendance à schématiser les formes, donnant une certaine raideur à l’ensemble qui est cependant compensée par une multitude d’ornements sculptés. Les portes de l’enceinte présentent une modénature blanche, commune à beaucoup de constructions d’Asie du Sud-Est, sur laquelle est élevé un pavillon. On a des traces de toute cette architecture grâce à des manuscrits enluminés que les membres de la cour faisaient faire pour leur propre plaisir et dont le MNNA-Guimet possède des exemplaires. On a des plans plus ou moins schématiques du palais royal datant de la fin du 19ème s. relevés par les Britanniques.
Le palais proprement dit était construit sur une terrasse et chaque bâtiment avait une fonction précise. La salle, la plus à l’Est, était la salle d’audience principale mais il y en avait sept autres.

 

Portrait du roi Mindon Min.

Peinture montrant les abords du palais royal de Mandalay.

Vue des douves du palais royal de Mandalay.

Comme à la Cité interdite ou au palais royal de Bangkok, il y a des salles qui ne servent presque jamais et la salle d’audience principale n’était utilisée que trois fois par an. D’après les manuscrits enluminés, on peut voir que l’approche du palais se faisait en passant plusieurs palissades de bois et une enceinte. Selon son rang, on abandonnait palanquin ou monture dans ces espaces pour terminer à pieds et se prosterner devant le roi. La toiture de la salle d’audience principale est la plus haute du palais mais aussi de la ville ; elle symbolise l’axe du monde, le mont Méru, séjour d’Indra, rois des dieux. Toutes les constructions annexes étaient situées à l’arrière et autour, la circulation se faisant sous des galeries couvertes. Des gravures anglaises décrivant le palais royal d’Ava ou celui d’Amarapura montrent bien que le même palais a été démonté et remonté dans les différentes capitales au cours des ans.
En Birmanie, le trône est une porte qui ouvre sur un piédestal redenté, évoquant lui aussi le mont Meru, sur lequel le souverain s’assoie sur une natte. L’accès se faisait par un escalier à l’arrière. Le roi apparaissait ainsi en position très surélevée comme à Ayutthaya lors de la réception par le roi du Siam des ambassadeurs français qui en sont restés très impressionnés. Des huit trônes qui se trouvaient dans le palais royal de Mandalay, seul, le trône du lion a été sauvé. Emmené à Calcutta par les Anglais, il a été rendu lors de l’indépendance de l’Inde et se trouve à Yangon. Le riche décor sculpté est très inspiré du vocabulaire indien : devatas, apsaras, fleurs de lotus, etc.
Tout le cérémonial de la cour est régi par un protocole très stricte. Un carnet conservé au Victoria and Albert Museum illustre les costumes et les objets distinctifs de la noblesse birmane. Les dignitaires s’assoient sur un piédestal ou sur une natte, ils ont droit à un parasol ou pas, et devant eux sont exposés leurs attributs : arme, nécessaire à bétel, vases, etc., leur nombre étant régi par le protocole en fonction du rang.

Peinture montrant une audience royale dans la salle du trône du palais royal Mye Nan Phyatthat de Mandalay. Saya Chone, peintre de la cour.

Le trône du lion provenant de Mandalay. Bois laqué doré avec incrustations de pierreries. National Museum Yangon.

Personnage princier. Carnet présentant les costumes et objets distinctifs de la noblesse birmane. Encre et aquarelle sur papier. 1860.©Victoria & Albert Museum.

La tradition culturelle d’offrir du bétel est encore très vive en Birmanie et cette coutume permet toujours une certaine convivialité. Il y a tout un ensemble de récipients ou d’instruments pour contenir, couper, broyer ou râper et mélanger les feuilles de bétel, la noix d’arek et la chaux éteinte. Ces nécessaires, souvent en métaux précieux, sont un témoignage du statut et de la richesse du propriétaire.
Quelques costumes de cour ont aussi été conservés en Angleterre et on voit que les vêtements sont beaucoup plus couvrants que ceux du Siam à la même époque et que l’utilisation du velours de soie se combine aux brocards de soie et aux broderies. Certains costumes très riches et très lourds, brodés de fils d’argent et de verroteries, n’étaient portés qu’une fois par an lors de la réception royale. Leur forme n’est pas sans évoquer les costumes des devatas et les «volants» devaient donner l’impression que la personne volait sur des nuages.

Boîte à bétel. Or incrusté et serti de pierres précieuses. Vers 1860. ©Victoria&Albert Museum.

Photo du Prince Yawnghwe et de son épouse. @Dr Susan Conway.

Robe de dame de la cour, velours de soie, brocart de soie et d’or, broderies de perles et de pierres précieuses. Vers 1860. ©Victoria&Albert Museum

Coiffure de danseur. Bois, laque, métal doré, incrustations de verroteries. 19ème s. ©Victoria&Albert Museum.

La régalia comportait tout un ensemble d’objets : les trônes, les couronnes, le nécessaire à bétel le plus grand, le plus riche et le plus complet, des vases et récipients de formes diverses en métaux précieux incrustés de pierreries, des armes richement ornées. Des parasols et des écrans (éventails ?) qui sont les symboles royaux par excellence dont l’usage pourraient remonter aux temps anciens comme on peut le voir sur des reliefs angkoriens. Tout cela est encore d’actualité à la cour de Thaïlande ou celle du Kampuchéa lors des cérémonies de couronnement. Un ensemble d’objets de la régalia birmane sont encore visibles au musée de Yangon ainsi que quelques meubles.

Si le palais royal peut être évoqué par sa reconstruction, la ville d’aujourd’hui, même si elle suit le plan original, ressemble à toutes les villes d’Asie avec une grande densité de constructions.

 

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