Livres et documents de la Chine ancienne
Mercredi 14 septembre 2016 : Livres et documents de la Chine ancienne par Olivier Venture, Maître de conférences EPHE.
La Chine est le pays de l’écrit par excellence et ce, sur différents supports : pierre, métal, bois, languettes de bambou, soie et, plus tard, sur papier.
Compilé sous la dynastie des Han (206 av. J.C.- 220 apr. J.C.), le catalogue d’une bibliothèque impériale a été conservé jusqu’à nos jour. Cette bibliothèque renfermait au total plus de treize mille deux cents rouleaux. La plupart des œuvres mentionnées dans cette bibliographie ont, aujourd’hui, entièrement disparues.
La Chine est aussi le pays de l’administration et des documents administratifs. Dans la Cité Interdite, le bâtiment qui abritait les archives des Ming (1368-1644) et des Qing (1644-1911) a la particularité d’être essentiellement en pierre et, à l’intérieur, les documents étaient conservés dans des armoires en métal, le tout pour les préserver des incendies. Seulement pour la dynastie des Qing, on estime à plus de vingt millions le nombre de pièces d’archives conservées.
Jusqu’à récemment, les œuvres de la période des Qin (221-206) et des Han ne nous sont parvenues que sous forme de copies réalisées au cour des siècles et conservées dans des documents postérieurs de plus de mille ans aux documents d’origine. En plus de copies tardives, il y a des copies sur pierre ou sur métal qui nous permettent de prendre connaissance du contenu des textes mais pas sur la forme d’origine de ces documents. Ce n’est que par les découvertes archéologiques du XXème et XXIème siècles qu’un nombre assez important de documents des temps anciens nous est parvenu.
Les premières découvertes ont été faites à l’époque des grandes expéditions vers l’Asie centrale à la fin du XIXème et au début du XXème siècle. Ces expéditions avaient un caractère scientifique, politique et même, parfois, stratégique. Aurel Stein, au cours de ses trois expéditions au nord-ouest de la Chine (1900-1901, 1906-1908, 1913-1916) trouve de nombreux documents anciens. En particulier, de Dunhuang, Niya et Juyan, il rapporte des textes de la période des Han sur bois mais aussi sur soie. Ces sites étaient importants pour la surveillance des frontières avec les Xiongnu et les documents sont essentiellement à caractère administratif. Aurel Stein, pour la publication en Angleterre de ces documents, fit appel à Edouard Chavannes puis à Henri Maspéro, ce qui explique qu’ils soient édités en Français. Depuis Aurel Stein qui rapporta un millier de documents de l’époque des Han, nous en possédons, aujourd’hui, plus de vingt-cinq mille.
Parmi ces textes, on trouve des listes de matériel, des inventaires, etc. rédigés sur des tablettes de bois ou des lattes de bambou reliées entre elles par des ficelles de chanvre. La longueur des lattes réglementaire était d’environ 23cm. Sur un document de l’an 23 avant notre ère, provenant d’un relai de poste, on mentionne le nombre de chars disponibles, le type de chars, mais aussi l’état dans lequel ils se trouvent (il est aussi mentionné s’ils sont utilisables ou non). Un second document provenant du même relai de poste est une lettre privée sur soie de la même hauteur de 23cm. Cette lettre était pliée à l’intérieur d’une pièce en bois scellée par un sceau en argile qui servait «d’enveloppe». La lettre émane d’un certain Yuan qui demande à un collègue de lui acheter différente choses. Il est intéressant de noter que parmi les nombreuses formules épistolaires, certaines sont encore utilisées aujourd’hui. Parmi le corpus de manuscrits de Dunhuang, on trouve de nombreux documents concernant la surveillance des Xiongnu.
La tombe N° 1 de la marquise Xin Zhui, à Mawangdui, remontant aux années 168-145 av. J.C. a livré, en plus de la momie parfaitement conservée de la marquise, un mobilier funéraire important dont la célèbre bannière funéraire sur soie. Les conditions particulières de l’ensevelissement ont permis une conservation exceptionnelle des objets en matières organiques. La tombe N° 3 du même site était masculine et, malgré une moins bonne conservation du corps du défunt, le mobilier funéraire était en très bon état. On y a trouvé un inventaire funéraire du contenu de la tombe, composé de 5 tablettes de bois et de 402 lattes de bambou. Une des lattes correspond à un document officiel pour annoncer à l’Au-Delà l’arrivée du défunt afin qu’il soit accueilli avec les égards dus à son statut. Dans un des compartiments de la tombe, les archéologues ont trouvé une malle en bois laqué qui contenait une véritable bibliothèque funéraire constituée de 30 manuscrits sur soie et de 4 manuscrits sur bambou portant des textes médicaux et copiés sur des lattes de 23cm de longueur. Dans les manuscrits sur soie on trouve principalement deux formats : 24cm et 48cm de hauteur (là aussi standardisés), la longueur pouvant être variable, allant de quelques dizaines de centimètres à deux mètres trente. Parmi les manuscrits les plus remarquables, il y a un Livre des Mutations (Yi Jing ou Zhou Yi), deux éditions différentes du Dao De Jing, mais aussi des textes oubliés comme un texte de divination par la forme des nuages et des comètes. Deux cartes ont été aussi trouvées ; il s’agit de cartes à destination militaire et stratégique. La zone du Changsha (aujourd’hui Hunan) où exerçait le défunt est figurée de manière assez fidèle alors que les zones éloignées sont plus schématiques.
Il est à signaler que sur plus de 100 tombes contenant des livres et des documents découverts par les archéologues, allant des Royaumes Combattants (481-221 av. J.C.) au Han, seules deux tombes contenaient des manuscrits sur soie ce qui implique que ce type de support était réservé à une élite et pour des usages très particuliers.
La tombe N° 11 de Shuihudi (Hubei) fouillée en 1975 a été la première tombe de la dynastie des Qin avec des manuscrits découverts en milieu archéologique. L’intérêt particulier de cette tombe est que les manuscrits ont été déposés à l’intérieur du cercueil tout autour du défunt et non pas, comme il était de coutume, dans des compartiments de la tombe. Sur les dix textes, un mentionne des évènements historiques relatifs à l’État de Qin et à un certain Xi, probablement le défunt. Ce personnage aurait été un fonctionnaire de l’empire des Qin qui serait né en 262 av. J.C. et mort à l’âge de 46 ans. De plus, on a trouvé des textes de divination, de lois, de pratiques judiciaires et administratives. Un texte mentionne que lorsqu’on reçoit ou envoie un message, on doit écrire le jour, le mois et le moment de la journée de son envoi ou de sa réception, de façon à ce qu’on puisse répondre aussitôt. Un document, le Jin bu lu, Règlement concernant les monnaies métalliques et en tissu, mentionne que « la valeur de la pièce de monnaie ne dépend pas de sa qualité, bonne ou mauvaise, et que le tri est un délit ». La valeur d’échange est clairement attachée au signe monétaire, indépendamment de sa valeur métallique. L’ensemble de ces documents contient de précieuses informations sur les règles qui encadraient la vie quotidienne à l’époque des Qin.
A Liye (Hunan), dans une ancienne ville fortifiée et partiellement détruite par la rivière You, les archéologues ont trouvé dans le puit N° 1 plus de 36 000 lattes et tablettes en bois et en bambou. 17 000 présentaient des caractères d’écriture et il semble qu’on soit là, devant les archives de l’administration Qin, de la préfecture de Qianling qui avait pour siège cette ville. Ces documents sont essentiellement des rapports officiels de l’administration, mais aussi des listes de recensement de population, des inventaires d’armes, etc. On constate qu’il s’agit, ici, du contrôle de la population locale et de veiller à ce que celle-ci paye ses taxes et participe aux corvées. Mais dans certains documents, des supérieurs se plaignent du fait que des fonctionnaires ne font pas respecter les règles ou ne les respectent pas eux-mêmes. Il en ressort que, malgré un cadre législatif et administratif très strict, en réalité, les lois étaient appliquées ou ne l’étaient pas. Certains textes sont plus triviaux et montrent un aspect de l’administration beaucoup plus humain.
La découverte, en 2015, de la tombe de Liu He (92-59 av. J.C.), marquis de Haihun, a été un évènement archéologique. Cette tombe située près de Nanchang (Jiangxi) a livré un trésor inestimable, tant par sa richesse que par les informations qu’elle a livrées. Liu He, petit-fils de l’empereur Wudi (141-87 av. J.C.) des Han, accéda au pouvoir à l’âge de 18 ans, en 74 av. J.C., mais son règne ne dura que 27 jours. Destitué, il fut privé de son titre de prince de Changyi et rétrogradé au rang de marquis de Haihun. Les archives officielles justifiaient cet acte par son comportement incompatible avec la charge d’empereur mais la découverte d’une importante bibliothèque bat en brèche cette théorie. Le statut particulier de Liu He explique la dimension exceptionnelle de la tombe (400 m2) et la richesse du mobilier : dix tonnes de monnaies de bronze, 378 lingots d’or sous forme de galettes, de sabots de cheval et de sabots de licorne, des objets de luxe en or, en argent ou en bronze incrusté d’or et d’argent ainsi qu’en jade dont le sceau de Liu He, des objets en laque, en bronze, en terre cuite, des armes et plusieurs milliers de tablettes de bois et de lamelles de bambou. On y a trouvé aussi un vase en bronze du début de la dynastie des Zhou occidentaux (1046-771 av. J.C.) qui devait être particulièrement apprécié par le défunt. Une clepsydre en bronze a été découverte qui démontre l’importance de la mesure du temps à cette époque.
Parmi les différents textes on a principalement rencontré des inventaires funéraires sur les tablettes en bois, mais sur les lattes de bambou, on trouve des ouvrages classiques tels que le Livre des Mutations (Yi Jing), une édition des Entretiens de Confucius, l’édition la plus ancienne connue à ce jour du Livre des Rites (Liji), ainsi que des textes relatifs à la médecine traditionnelle et des textes de divination.
Grâce aux deux bibliothèques de Mawangdui et de Nanchang on voit qu’elles se composaient de textes classiques, de textes techniques et de textes de médecine.
Durant le premier millénaire avant notre ère, l’écrit a pris une place de plus en plus importante dans la société chinoise, pour des raisons pratiques ou plus intellectuelles. Une grande quantité de livres et de documents a été produite dans l’antiquité et sous les deux premières dynasties impériales. La plupart de ces écrits ont disparu à jamais, seule, une petite partie a pu être sauvée sous forme de copies dans des ouvrages postérieurs mais, seuls, les textes considérés comme les plus importants ont été copiés et recopiés au cours des siècles. Les découvertes récentes par les archéologues ont permis de découvrir tout un ensemble de textes qui avaient disparu et aussi des textes transmis par la tradition mais sous une forme différente. Plusieurs centaines de manuscrits apportent un éclairage nouveau sur la pensée intellectuelle de cette période, que ce soit dans le domaine de la littérature, de la philosophie, des sciences ou de la religion. Aujourd’hui, on peut s’appuyer sur plus de 200 000 documents originaux qui autorisent à étudier l’histoire de la Chine ancienne de manière concrète, au-delà de l’image parfois déformée par des générations de lettrés. Grâce au travail des archéologues, des restaurateurs et des sinologues, de nombreux documents devraient être publiés dans les années à venir.