LES OBJETS D’ART VOYAGENT
10/04/2013. Conférence Les objets d’art voyagent : Le commerce des objets d’art entre le Japon, la Chine et la Corée du 7e au 16e siècle par Charlotte von Verschuer, directrice d’études, Ecole Pratique des Hautes Etudes.
Du VIIe au IXe siècles
Durant les périodes Asuka (552-645), Nara (645-794) et Heian (794-1185) le Japon entretient des relations officielles avec ses voisins de Chine et de Corée en envoyant des ambassades à la cour des Sui puis des Tang, des Trois royaumes puis du royaume de Silla. Le bouddhisme est un vecteur important des relations officielles car il devient religion d’état au VIIe siècle et on voit la construction de grands temples comme le Tōdai-ji à Nara.
Le japon envoyait une délégation de 500 à 600 personnes à Chang an (actuelle Xian) où résidait la cour des Tang. Pour exemple les ambassades, dans les annales japonaises, sont au VIIe s. de 12 vers la Chine et de 7 venant de Chine, de 24 vers la Corée et de 104 en provenance de Corée, au VIIIe s. de 12 vers la Chine et de 2 venant de Chine, de 15 vers la Corée et de 22 venant de Corée, au IXe s. de 2 vers la Chine et aucune en retour, de 5 vers la Corée et de 4 venant de Corée.
Les navires arrivaient à Yangzhou ou Ningbo puis remontaient le Grand Canal jusqu’à la capitale Chang an. Tous les ans la cour chinoise recevait le tribut de 60 à 100 pays « barbares » considérés comme tributaires. Mais si dans les annales japonaises, le Japon traite d’égal à égal avec la Chine, il considère la Corée comme un état tributaire. Ces ambassades apportaient des « cadeaux » mais revenaient aussi chargées de présents qui faisaient le bonheur de la cour.
La cour de Nara adapte le système administratif centralisé de la Chine et la ville est construite sur le plan de Chang-an.
Au milieu du VIIIe siècle, l’Impératrice Kōmyō fait don en 756 au Tōdai-ji d’une grande quantité d’objets exotiques de métal, de céramique, de bois (instruments de musique), d’artisanat (verre, miroirs incrustés, laques incrustés de nacre, objets peints) et aussi des tissus précieux. Tout ce trésor sera entreposé dans le Shōsō-in qui, de grenier, devient un « coffre-fort ». On y trouve aussi bien des objets venant de Corée tels que des tapis de feutre, de la vaisselle métallique, de l’encre chinoise ou coréenne, des objets en verre de cobalt ou en agate provenant d’Iran ou d’Asie centrale, du lapis-lazuli d’Afghanistan et de Chine, ainsi qu’une grande variété d’épices (cannelle, clou de girofle, ginseng, etc.), de bois odoriférants (santal blanc, aloès aussi appelé agar), de résines (encens, benjoin), des cornes de rhinocéros, de la cochenille, etc. La situation du Japon à l’extrémité orientale de la « Route de la Soie » explique la diversité des provenances.
Le japon exporte d’abord de l’or, du taffetas de soie.
Du IXe au XIIe siècles
A l’époque de Heian la capitale se déplace de Nara à Kyoto. Il n’y a plus d’ambassade mais les échanges commerciaux sont maintenus par l’intermédiaire de marchands étrangers qui s’installent au nord de Kyushu dans le port d’Hakata (actuelle Fukuoka). Ce commerce est limité, contrôlé et canalisé par l’administration impériale et ce sont les ministres et la cour qui sont les premiers intéressés. Si en Chine le commerce extérieur est taxé, au Japon les marchands sont les hôtes du gouvernement et sont logés et nourris. Cependant il existe un commerce illicite alimenté par des marchands japonais.
Des moines des deux courants bouddhistes majoritaires (Tend aï et Shingon) voyagent aussi sur les bateaux marchands étranger et vont chercher en Chine ou en Corée des textes et des enseignements.
Les régents Fujiwara font importer des soies précieuses de Chine, particulièrement des brocards de soie qui servent pour « l’ameublement » (bordures de tatamis, de paravents, nappes) car à partir du VIIIe s. le Japon produit les tissus utilisés pour les vêtements.
Les principales importations à l’époque de Heian sont la céramique (céladons chinois et coréens, porcelaine blanche de ding, grès temmoku), les parfums et résines, les remèdes, les bois odoriférants, les épices (cannelle, réglisse, rhubarbe, ginseng, anis étoilé), le musc, les livres imprimés, le sappan (teinture végétale rouge bordeaux), etc. A cette époque on organise à la cour des concours de parfums.
En contrepartie, le Japon exporte de l’or, du mercure très utilisé dans l’alchimie chinoise et coréenne, du cristal de roche, des taffetas de soie, des huiles, du papier (le papier japonais gampi est plus résistant et plus doux que le papier chinois), des éventails pliants en papier, des objets en bois laqués incrustés ou non de nacre (ce sont les japonais qui inventent le maki-e, laque à décor d’or ou d’argent), des sabres dont les lames sont renommées. Pour exemple, en 1072, le Japon envoie au royaume de Koryo, du mercure, une selle en bois laqué incrusté de nacre, un écritoire, des meubles, des brûle-parfums, des paravents et en 1087, des perles, du mercure, des sabres, des chevaux et des bœufs.
Du XIIe au XIVe siècles
Si jusqu’au XIIe siècles le commerce se fait au travers de marchands étrangers, après, ce seront des marchands japonais qui contrôlent les échanges. Le shogunat de Kamakura devient commanditaire d’expéditions commerciales. Le bouddhisme zen est un vecteur important d’échanges entre la Chine et le Japon. La monnaie chinoise fait son apparition au Japon à partir du XIIIe siècle et sera utilisée jusqu’au XVIe siècle. L’épave d’un vaisseau découverte au sud de la Corée a livré 28 tonnes de pièces de monnaie, 700 objets de bronze ou d’argent et 21 000 objets en céramique. Ce bateau avait été commandité en 1323 par un temple de Kyoto.
Du XVe au XVIe siècles
Le shogunat continue d’envoyer des ambassades accompagnées de commerçants en Chine. Pas moins de vingt missions commerciales se sont rendues du Japon en Chine entre 1401 et 1547 et à la tête de chacune de ces expéditions se trouve un moine zen.
Les canons bouddhiques provenant de Corée sont les plus demandés par la cour et les daimyos.
La cérémonie du thé est codifiée et nécessite des objets importés tels que des bols en porcelaine chinoise ou coréenne, une soucoupe en laque de Chine et un paravent chinois.
Parmi les importations, on trouve des textiles, des porcelaines bleu et blanc et des peintures de peintres renommés tels que Wen Zhengming et Dong Qichang.
De son côté, le japon exporte des matières premières, des sabres, des objets en bronze, des éventails, des paravents destinés à la cour de Ming, des objets en bois laqués incrustés de nacre ou laqués d’or.