Le Taoïsme dans les arts de la Chine

Mercredi 24 septembre 2014 : conférence «Le Taoïsme dans les arts de la Chine» par Christine Barbier-Kontler, Membre du CREOPS, Professeur adjoint du Theologicum de l’Institut catholique de Paris.

Depuis deux millénaires, le taoïsme célèbre la vie, l’immortalité et l’harmonie de l’homme au monde. Il participe des arts de la Chine, entendus au sens large de pratiques rituelles et liturgiques, de disciplines corporelles et mentales et des Beaux-arts (calligraphie et peinture).
Il est extrêmement difficile d’exprimer l’ensemble des notions et de spéculations du taoïsme par des mots. Ces spéculations semblent très sophistiquées alors qu’elles peuvent être pratiques. Madame Barbier-Kontler s’interroge sur le fait de savoir si ce sont les spéculations qui ont inspiré les pratiques et les disciplines ou le contraire. Est-ce l’abstrait qui a inspiré le concret ou à l’inverse, les pratiques et les disciplines qui ont conduit à des spéculations.

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L’idéogramme qui est utilisé pour le Tao signifie à la fois le chemin et la voie dans le sens de la voie des anciens, du juste comportement et était utilisé aussi bien par les bouddhistes que par les confucianistes. Les taoïstes ont donné un sens nouveau, un sens absolu à ce mot : la vérité première, à la fois immanente et transcendante, c’est un peu comme la Vie, le chemin que l’on suit tout au long de son existence qui permet de se déployer dans sa personne et dans l’univers tout entier.

Le panthéon chinois comprend un très grand nombre de dieux qui sont la personnification de facettes de cet absolu qu’on appelle la Voie. Il y a les dieux célestes, les Immortels, les dieux terrestres, les saints patrons des métiers. Ces divinités sont souvent associées avec des formes très populaires.

Les spéculations du Tao sont à la source des Arts, des disciplines et des techniques car elles influent sur le souffle, la respiration, sur la conduite des énergies par des mouvements qui peuvent être gymniques, graphiques, arithmétiques et déterminent un grands nombre de disciplines tels les arts martiaux, la divination (officiellement interdite en Chine), la géomancie, la médecine, l’astronomie, la pharmacopée mais aussi la peinture ou la calligraphie. (à lire : Le Taoïsme ou la révélation continue de Vincent Goosaert et Caroline Gyss chez Gallimard).

1.1 2.Homme 3.Grand 4.Ciel
Yi (Un) Ren (Homme) Dà (Grand) Tiàn (Ciel)

Madame Barbier-Kontler propose, pour essayer d’appréhender le Tao, un jeu avec des caractères chinois :

  • Yi (Un) est fait d’une barre qui relie un commencement et un achèvement, ce qui peut expliquer que dans le livre de la Voie de la Vertu on dit que le Un est Trois, mais aussi la barre sépare le haut du bas, le Ciel de la Terre. Dans un seul geste vous unifiez et vous séparez.
  • Ren (Homme) est fait de deux traits qui évoquent l’homme qui marche à grandes enjambées.
  • Dà (Grand), l’homme qui marche et qui écarte les bras devient grand, comme s’il embrassait le monde.
  • Tiàn (Ciel), l’homme qui marche et qui écarte les bras est devenu grand, mais lorsqu’il est surmonté d’un trait, c’est le faîte ultime, le faîte de l’univers, c’est le ciel.

Pour résumer de manière un peu cavalière deux mille cinq cents ans de pensée taoïste : le chemin de l’Homme est de devenir aussi grand que le Ciel.

Le taoïsme vise à retourner à l’Un, à ce qui est total, celui qui sait garder ses forces vitales et ses énergies devient Grand et peut parvenir à l’immortalité et à la source vive de l’Univers.
L’origine de l’Univers pour les Chinois se situe dans le souffle primordial qui n’a ni commencement ni fin. Ce souffle est plein de tout ce qui va advenir, le chaos primordial existe à l’état de matières (la plénitude du vide). Ce chaos est double : les deux pôles de l’énergie vitale qui émane de la sphère du chaos et suivent le souffle originel sont le Yin et le Yang. Ils représentent deux pôles : le Yin est associé à la lune, à la glace, au Nord et représente la part féminine de la nature, le Yang est associé au soleil, au feu, au Sud et représente la part masculine de la nature.

5.1.Yinyang Fuxi et la tortue.Ma-Lin 6.Trigrammes
Yin Yang taoïste Fuxi et la tortue. Ma Lin (XIIIe s.)
Dynastie des Song du Sud
Musée du Palais. Taipeï
Ba gua (trigrammes)

Le Yin et le Yang sont eux-mêmes sujet à mutations, ils ont un commencement, un milieu et une fin. Le Yin et le Yang engendrent quatre phénomènes, les quatre phénomènes engendrent les huit trigrammes formés du Yang (une barre continue) et du Yin (deux petites barres).

Fuxi, empereur mythique à qui est attribué la découverte des figures divinatoires est représenté, dans une peinture de Ma lin (actif au milieu du XIIIe s.), vêtu de peaux d’animaux et regardant vers une petite tortue car c’est sur la carapace de tortue qu’il va tracer les trigrammes que l’on voit aussi en bas à gauche de la peinture.
Le livre des mutations comporte des trigrammes superposés qui ont donné les soixante-quatre hexagrammes qui permettent de formaliser à partir de l’unité première du monde la totalité des transformations. Sachant que tout est en perpétuelle mutation, la divination chinoise essaie de déceler la phase de mutation dans laquelle on se trouve pour agir en amont.
Le Ba gua (huit trigrammes) correspond non seulement à ce qui est sur la terre mais aussi dans le ciel, au matériel comme à l’immatériel.

Aux points cardinaux sont associés des animaux : le Sud au Fen huang (Phénix rouge), le Nord à Yuan wu (la Tortue serpent ou Tortue Noire), l’Est au Wen (Dragon vert) et l’Ouest au Wu (Tigre blanc).

 monts sacres

Le corps taoiste.Estampe

Lao Zi à la passe de Hangu -Dynastie Qing-Feuille d'album, encre et couleurs légères sur soie.©Musée Guimet

Les cinq monts sacrés des taoïstes Ÿ• et les quatre monts sacrés des bouddhistes ★

Carte du corps humain taoïste. Estampe.

Lao Zi à la passe de Hangu -Dynastie Qing (1644-1912). Feuille d’album, encre et couleurs légères sur soie. ©Musée Guimet

En Chine, les cinq montagnes sacrées des taoïstes sont aussi associées aux points cardinaux : le Tai Shan (à l’est) associé au printemps et au vert, le Hua Shan (à l’ouest) associé à l’automne et au blanc argenté , le Nan Heng Shan (au sud) associé à l’été et au rouge, le Bei Heng Shan (au nord) associé à l’hiver et au noir et le Song Shan (au centre) associé au jaune. Mais à cela on a aussi associé les nombres, les saveurs, les styles de gouvernement, les vertus, les étoiles dans le ciel ainsi que les fonctions psycho-physiques du corps humain. Le corps est pensé comme un univers en miniature dans lequel circulent les énergies. Les pratiques taoïstes consistent à maîtriser et à canaliser ces énergies.

Une peinture de la dynastie Qing (1644-1912) figure Laozi dans un chariot tiré par un buffle quittant la Chine. Il part vers l’Ouest (l’automne, le soleil couchant, la mort, la disparition). La légende raconte que déçu par les gouvernements de son temps, Laozi partit vers l’ouest et rencontra Yin Xi, le gardien de la passe de Hangu, qui lui demanda de fixer par écrit sa doctrine. Le sage lui aurait dicté alors les cinq mille caractères du Daode jing.
Laozi, patriarche fondateur du taoïsme, considéré comme l’émanation de l’absolu, fut divinisé très tôt et reçu un culte.
Un autre personnage important du taoïsme est Zhuangzi (Zhuang Zhou) qui aurait vécu au IVe siècle av. J.C. Sa pensée est individualiste et presque anarchiste et l’ouvrage qui lui est attribué le Zhuangzi (qui influencera entre autre le bouddhisme chan) se compose essentiellement de paraboles ou de dialogues, souvent teintés d’humour et prône le non-agir qui permet l’action, à l’image de l’immobilité de l’essieu condition sine-qua-non du mouvement de la roue.

Le passage le plus célèbre est le rêve du papillon : le sage y rêve qu’il est un papillon, et se réveillant, se demande s’il n’est pas plutôt un papillon qui rêve qu’il est Zhuangzi – Zhuangzi rêva une fois qu’il était un papillon, un papillon qui voletait et voltigeait alentour, heureux de lui-même et faisant ce qui lui plaisait. Il ne savait pas qu’il était Zhuangzi. Soudain, il se réveilla, et il se tenait là, un Zhuangzi indiscutable et massif. Mais il ne savait pas s’il était Zhuangzi qui avait rêvé qu’il était un papillon, ou un papillon qui rêvait qu’il était Zhuangzi. Entre Zhuangzi et un papillon, il doit bien exister une différence ! C’est ce qu’on appelle la Transformation des choses.
Zhuangzi – Chapitre II.

Zhuangzi ne nie pas la réalité mais il est antirationaliste. Le doute de soi n’est pas un déni de soi mais c’est mettre entre parenthèses le réel pour accéder à un état supérieur.
Ce thème est parfaitement saisi et illustré par Lu Zhi (1496-1576) dans sa peinture ou l’on voit le sage endormi sur un rocher avec deux papillons qui volètent légèrement au-dessus de sa tête.

Une autre parabole illustre le non-agir :
Un homme nommé Ji Shengzi élevait un coq de combat pour le roi Xuan de Zhou.
Apres dix jours d’entraînement, le roi lui demanda si son coq était prêt :
– Pas encore, il est intrépide et recherche sans cesse le combat.
Dix jours plus tard, le roi revint et demanda à nouveau si son coq était prêt :
– Pas encore, il attaquerait même son ombre.
Dix jours passèrent :
– Il n’est pas encore prêt : il est haletant et combat dans le vide.
Enfin dix jours plus tard :
– Votre coq est prêt. Lorsqu’il entend le chant d’autres coqs, il ne réagit plus et reste immobile comme s’il était en bois, sa vertu est parfaitement intacte, aucun coq n’osera l’affronter.
Lors du combat les autres coqs le voyant impassible dans l’arène s’enfuirent terrorisés.
Si nous sommes en paix avec nous même et avec le monde autour de nous, le succès viendra spontanément.
Zhuangzi – Chapitre XIX.

Un dialogue met en scène Zhuangzi et son ami Huizi dont il aime à se moquer gentiment.
Zhuangzi et Huizi passaient sur un pont sur la rivière Hao. Zhuangzi dit : «Les vairons nagent où ils veulent, un bonheur de poisson.» Huizi dit : «Tu n’es pas un poisson, comment sais tu qu’ils sont heureux ?» Zhuangzi répondit : «Tu n’es pas moi, comment sais tu que je ne le sais pas ?» Huizi répondit : «Je ne suis pas toi, donc je ne sais pas ce que tu penses. Toi, tu n’es pas un poisson, tu ne sais donc pas s’ils sont heureux. C’est tout !». Zhuangzi dit : « Revenons au début. Quand tu m’as dit «comment sais tu qu’ils sont heureux», tu m’as posé cette question parce que tu savais que je le savais. Et je le savais parce que j’étais là, sur la Hao ! »
Zhuangzi – Chapitre XVII.

La condition de la connaissance est de savoir qu’on ne sait rien ; les animaux, chez Zhuangzi, sont toujours plus près du tao que les hommes, justement parce qu’ils n’établissent pas de distinctions : ils agissent spontanément selon leur nature. Les poissons représentent ici l’accomplissement de l’oubli de soi, et l’état suprême de l’être-là dans l’instant qui est celui du saint : « Ils sont là, et c’est comme s’ils n’étaient pas là. »
Ce thème a inspiré à Zhou Dongqing (1260-1368) un rouleau horizontal où l’on voit de nombreuses espèces de poissons s’ébattre dans l’eau.

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Laozi_&_Kongzi.Peinture d'une tombe Han

The Pleasures of Fishes.1291, by Zhou Dongqing, Dynastie Yuan (1260–1368). Rouleau horizontal.
Encre et couleur sur papier
©Metropolitan Museum

Laozi et Kongzi (Confucius). Peinture d’une tombe Han (206 av. J.C. – 220 ap. J.C.)

La légende raconte que Kongzi (Confucius) rencontra Laozi et ils eurent une discussion enflammée et Kongzi raconta à ses disciples que Laozi était comme le dragon, on ne peut l’attraper car il est trop fort et trop puissant.

Alors que le sage confucéen s’enrichit et se perfectionne perpétuellement par l’étude, le «saint» taoïste se dépouille progressivement de tout ce qui peut entacher sa spontanéité naturelle et l’éloigner du non-agir.
Le «saint» taoïste qui a trouvé le Tao pratique le non-agir : il produit un effet dans le monde sans entrer en interférence avec le cours harmonieux des choses.

Il existe aujourd’hui en Chine deux courants principaux du taoïsme, celui des Maîtres Célestes (Tianshi dao), de tradition laïque et celui de la Complète Réalité (Quanzhen) inspiré par les ordres monastiques bouddhistes qui prône la culture de la tranquillité, les exercices de longévité, le célibat, le végétarisme et l’observance des règles monastiques.
Depuis 1980 le renouveau des temples taoïstes avec ou sans clergé en résidence, s’effectue dans deux directions divergentes : les temples patrimoniaux ou officiels (ex. temple des Nuages Blancs à Beijing) qui sont la vitrine du taoïsme moderne gouvernemental et les petits temples communautaires qui sont au service des communautés locales et dont les activités se font grâce aux associations de fidèles. On y voit une population jeune pratiquer une piété individuelle et populaire mais aussi participer à toutes les grandes fêtes.

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Officiant.Temple des Nuages Blancs.Beijing.©channaryetfrançois.2008 

Fête au Temple du Mystère.Suzhou.©celinechine.blogspot 

Temple des Nuages Blancs.Beijing.

Officiant. Temple des Nuages Blancs.Beijing.
©channaryetfrançois.2008

Fête au Temple du Mystère. Suzhou. ©celinechine.blogspot

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