Le jade : histoire culturelle d’une pierre mystérieuse

Mercredi 12 octobre 2016 :  Le jade : histoire culturelle d’une pierre mystérieuse, conférence par Thierry Zarcone, Historien français, Chercheur au CNRS rattaché à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, (EHESS).

Jusqu’au 19ème siècle, le jade a été une pierre mystérieuse pour les européens et elle fut appelée jaspe ou calcédoine, puis par l’intermédiaire des espagnols qui importaient la “piedra de ijada » (« pierre de reins » – ou « pierre de flanc » -) d’Amérique, le mot français qui en découla devient « pierre de l’éjade » puis, par déformation, jade. Ce mot apparaît pour la première fois dans le « Dictionnaire général » en 1667, mais il donnera aussi l’appellation néphrite car la pierre était censée guérir les maladies liées aux reins.
Ce n’est qu’en 1863 que, grâce au scientifique français Alexis Darmour, la jadéite provenant de Birmanie est dissociée de la néphrite du Turkestan.
Pour les Chinois, le jade, yu玉,  véhicule la notion de beau, précieux, trésor. Si les Shang (1600-1046 av. J.C.) ou les Zhou (1046-256 av. J.C.) utilisaient un jade extrait de régions chinoises (Ningshao, Liaoning et Mongolie intérieure), l’épuisement de ces sources locales et l’augmentation de la demande les a fait se tourner vers le jade du Turkestan. Depuis l’antiquité, le jade néphrite a été exploité dans la province du Xinjiang, plus particulièrement dans les régions de Khotan et de Yarkand où il se ramasse dans le lit des rivières Yurungkash (rivière du jade blanc), Karakash (rivière du jade noir) et Yarkand. La « route de la soie », ainsi appelée par les occidentaux au 19ème siècle permettaient aux caravanes de circuler entre le Moyen-Orient, l’Inde et la Chine. Les caravanes transportaient, certes, de la soie mais aussi beaucoup d’autres marchandises dont le jade néphrite qui pouvait, en passant par le couloir du Gansu et la Porte de Jade (passe de Yumen) avant Dunhuang, atteindre Ch’ang-An (Xi’an), la capitale de l’Empire. La Porte de Jade, située à la frontière entre l’Empire du Milieu et les barbares, avait un aspect défensif puisqu’elle se trouvait dans le prolongement de la muraille des Han, mais permettait aussi de contrôler et de taxer tout ce qui entrait ou sortait de Chine. Cette « route de la soie » offrait deux possibilités : la route du Nord qui passait par Aksu, Kucha, ou celle du Sud, passant par Yarkand, Khotan, Yutian et Qarkilik. Ces routes longeant au Nord les monts Tien Shan et, au Sud, les monts du Pamir et de Kunlun, permettaient de contourner le désert du Taklamakan, l’un des plus vastes, des plus arides et dangereux d’Asie. Ces routes, traversant de grandes oasis, fournissaient un repos aux bêtes et aux hommes. Ces oasis ont été des carrefours de civilisations importants.

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Les différentes « routes de la soie ».

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Marco Polo sur la route de la soie. Atlas catalan. 14ème siècle. BNF Paris.

En Asie centrale, la « route de la soie », appelée grande route des caravanes, a servi aux échanges entre les peuples du Turkestan et les Chinois. Les premiers important de la soie, du thé et de la porcelaine en échange du jade néphrite et des chevaux. Mais c’est le jade néphrite qui va être la marchandise la plus précieuse aux yeux des Chinois et qui maintiendra l’activité de cette route caravanière jusqu’au 18ème siècle.
Ces peuples d’Asie centrale, d’origine indo-européenne, parlant tokharien et ancien iranien, ont été plus ou moins amalgamés à des populations turcophones à la suite d’invasions et leurs descendants en sont les Sogdiens, Ouïghours, Kirghizes, Turkmènes. Ces oasis ont aussi été un carrefour de rencontre entre les différentes religions : zoroastrisme, hindouisme, bouddhisme, chamanisme, christianisme et l’islam qui finira par s’imposer.
Ces peuplades nomades, considérés comme barbares par les Chinois, versaient un tribut à l’empereur au cours d’une cérémonie annuelle, acceptant ainsi un statut de vassal, et recevaient des cadeaux en échange.
Le jade pour les chinois fut d’une importance considérable car il était associé à l’empereur et la plus parfaite représentation du principe du yang, dispensateur de vie.
La fascination des Chinois pour le jade en général et pour le jade blanc de Khotan en particulier tient dans la rareté et la dureté (relative) de ce minéral qui symbolise aussi bien le pouvoir temporel que spirituel. Comme l’empereur, il est considéré comme un intermédiaire entre le Ciel et le monde terrestre. L’empereur utilisait durant les cérémonies des emblèmes en jade de formes et de couleurs différentes. Le jade blanc était lié à la personne de l’empereur et son commerce était un monopole d’Etat. L’empereur était le seul à pouvoir écrire sur des plaquettes de jade. Plus que toutes autres pierres, le jade a été un symbole de pouvoir et de prestige, des plaquettes de jade ornant les ceintures des nobles et des fonctionnaires, et leurs couleurs servant à indiquer le rang du dignitaire.

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La rivière Yarkand

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Galets de jade sur le marché de khotan.

Confucius parle du jade en ces termes : « Le jade est précieux non parce qu’il est plus rare, mais parce que la qualité du jade correspond à la vertu d’un homme. Elle correspond à des vertus telles que la bienveillance, la sagesse, la droiture, la bienséance, la loyauté et la fidélité. Le jade est doux et agréable, exactement comme la bienveillance d’un homme de bien. Le jade a une texture fine mais il est solide, tout comme la sagesse d’un homme et sa façon appliquée et approfondie de gérer les choses. Bien que le jade ait des bords et des coins, il n’est pas tranchant et ne saurait blesser autrui. Il en est de même du sens de la justice et de la droiture d’un homme de bien. Lorsque le jade est suspendu, il symbolise la retenue et la prudence polie d’un homme. Lorsqu’il est frappé, il libère un son clair et vif, semblable à la nature de la musique. Bien que le jade soit gracieux, ses imperfections sont également évidentes mais ne seront occulter ses mérites, tout comme la loyauté d’un homme sans préjugé et sans besoin de dissimulation. En outre, la couleur du jade peut être vue sous tous les angles. Tout comme la fiabilité d’un homme de bien, son comportement est cohérent avec ses mots. Même dans une pièce sombre, il est digne de confiance et ne saurait tromper les autres. Le jade […], dans l’eau, embelli la rivière. Lorsqu’il repose sur la montagne, l’herbe devient luxuriante. Où qu’il se trouve, le jade a un effet positif. De même, l’attitude noble d’un homme de bien peut harmoniser une myriade de choses et en faire jouir son entourage. Partout, les gens affectionnent le jade et il en est ainsi car ils respectent et admirent la vertu d’un homme ».

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Pendentife en jade figurant un dragon. Han occidentaux. 2ème siècle av. J.C.

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Cigale en jade. Han occidentaux. 2ème-1er s. av. J.C.

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Ornements de ceinture en jade. Ming. National ©Palace Museum. Taïwan.

Les jades étaient classés en cinq variétés suivant leur couleur : « il peut être blanc comme de la graisse, jaune comme des châtaignes cuites, noir comme du vernis, rouge comme la crête du coq, enfin vert plus ou moins foncé et plus ou moins translucide » mais la cornaline est dite « jade de feu » huoyu et le cristal de roche « jade d’eau », shuiyu.
Le jade a connu tout au long des siècles la faveur des Chinois et est à l’origine d’un commerce très lucratif et d’une production artistique qui n’a pas connu son pareil en Occident. Ceci explique que les caravanes qui passaient par Khotan achetaient du jade qu’ils savaient pouvoir revendre en Chine en faisant un confortable bénéfice.
Les lapidaires chinois ont toujours préféré utiliser les galets pêchés dans les rivières aux blocs extraits des mines bien qu’ils soient de moindre taille. Cette pierre, très dure, se travaille par polissage et son travail est long et difficile. Les artisans utilisaient du sable abrasif de quartz pour tailler et sculpter le jade. Au 18ème s., les Qing font venir des blocs extraits des monts Kunlun d’une taille exceptionnelle, ces « montagnes » allant de 1500 à 4500 kilos. Une de ces « montagnes », sculptée dans la ville de Yangzhou, se trouve encore dans la Cité Interdite de Beijing.
Suite à des dérèglements climatiques qui ensevelirent les cités caravanières dans les sables, la route du Sud fut en partie abandonnée au profit de la route du Nord, pourtant moins sûre.
Si la route des caravanes fut concurrencée à partir du 14ème s. par la route maritime, elle fut pratiquement abandonnée au 18ème s. lorsque la Chine commença à importer la jadéite de Birmanie.
Encore aujourd’hui, des objets ou des bijoux en jade sont vendu dans toute la Chine et les chinatowns du monde entier car la pierre a gardé sa symbolique de dispensateur de vie et de fortifiant du principe Yang.

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Vase archaïsant avec couvercle. Jade blanc. 19ème s. ©lyonturnbull

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Travail d’un décor ajouré. Illustration du travail du jade (Yuzuo tu). 1906.

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vase à encens  en jadéite. 19ème s. ©sotheby’s

 

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