La Terre, le Feu, l’Esprit
Mercredi 1er juin 2016 : La Terre, le Feu, l’Esprit au Grand Palais, visite conférence par Sylvie Ahmadian, conférencière, attachée au musée Cernuschi et au musée Guimet.
Période des Trois royaumes |
Silla | 57 av. J.C. – 672 |
Goguryeo | 37 av. J.C. – 668 | |
Baekje | 18 av. J.C. – 660 | |
Période d’unification par le Grand Silla | 672 – 935 | |
Balhae/Bohai au Nord | 699 – 926 | |
Goryeo | 918 – 1392 | |
Joseon | 1392 – 1910 | |
Occupation japonaise | 1910 -1945 | |
Gouvernement militaire américain | 1945-1948 | |
Partition de la Corée | République de Corée | Depuis 15.8.1948 |
République Populaire Démocratique de Corée | Depuis 9.9.1948 |
La céramique est un domaine majeur et emblématique de la civilisation coréenne, même si elle a été longtemps méconnue en Occident, ceci, parce que le pays s’est fermé à partir du 16ème siècle jusqu’en 1880. Charles Varat a fait une mission diplomatique en 1888 en Corée dont il a rapporté un ensemble important de céramiques. Puis Victor Collin de Plancy, premier consul de France en Corée, à la fin du 19ème siècle, a rapporté 260 pièces de céramique qui ont été divisées entre les collections du musée de Sèvres et du musée Guimet. Par la suite, grâce aux expositions universelles, notamment celle de 1900 à laquelle la Corée a participé pour la première fois, la céramique coréenne va être collectionnée par les amateurs d’art asiatique.
L’exposition a le mérite de parcourir toute l’histoire de la céramique depuis l’époque des Trois Royaumes jusqu’à la céramique contemporaine d’une façon chronologique. Quelques pièces ont été prêtées par le musée national de Corée dont certains trésors nationaux.
Les céramiques de Goguryeo nous sont parvenues en petit nombre et ce sont souvent des grès dépourvus de décor ou ornés d’un décor estampé.
Au royaume de Baekje, les grès sont de couleur claire, sans décor et leurs formes standardisées font penser qu’ils étaient produits en série. Certains bols sphériques ont la particularité d’avoir des couvercles qui s’adaptent parfaitement au corps (la pâte est montée pour former une sphère qui est ensuite coupée horizontalement au fil ou à l’aide d’un couteau ; afin d’assurer un ajustement précis, le bol était, avant la coupe, marqué d’une ligne verticale encore visible. Quelques grès ont été polis pour leur donner une apparence d’un noir lustré imitant la laque, produit de grand luxe, souvent importé de Chine.
Les grès du royaume de Silla présentent souvent un décor animalier, dragons, tortues, étoiles de mer, écrevisses (ces dernières devaient être associées au chamanisme très présent en Corée car elles ont la possibilité de régénérer une partie amputée ce qui, aux yeux des Coréens, symbolisaient la renaissance dans l’Au-delà). Les défunts étaient accompagnés d’un mobilier funéraire qui comprenaient pour les tombes les plus riches de grandes jarres à fond arrondi qui étaient posées sur des piédestaux de forme cylindrique, perforés d’ouvertures triangulaires ou rectangulaires et ornés de stries ou de lignes ondulées. L’arrivée du bouddhisme dans la péninsule au cours du 6ème siècle y introduit la crémation qui devait prédominer dans le royaume de Silla. Les cendres du défunt étaient placées dans des urnes qui étaient ensuite enterrées. Si certains vases d’usage courant étaient utilisés, des pièces plus élaborées étaient spécifiquement fabriquées pour cet usage. Ces urnes funéraires en grès avaient un décor estampé et des petites anses permettaient de sceller le couvercle à l’aide de cordelettes ou de fils métalliques. Parfois une petite urne était placée à l’intérieur d’une plus grande, elle aussi scellée. Le royaume de Silla a produit des céramiques de forme humaine ou animale souvent apposées sur d’autre pièces. Le répertoire animalier est très diversifié et si les formes sont simples, les traits les plus caractéristiques sont reproduits avec exactitude. Ces animaux sont porteurs de vœux de longévité (tortues), de fertilité (lapins, poissons) ou d’heureuse renaissance en Terre Pure (canards). Une verseuse en forme de cheval et de son cavalier (trésor national) est remarquable par les détails du costume du seigneur et par tous les éléments de harnachement qui correspondent à des pièces réelles trouvées dans des tombes.
L’époque du Silla unifié voit l’apparition d’urnes en grès vernissé au décor très raffiné fortement influencé par la céramique Tang.
La dynastie Goryeo est connue dans le monde entier pour la beauté de ses céladons dont la technique, mise au point en Chine, prend son essor dès le 10ème siècle dans la péninsule coréenne. La cuisson (1250°) en réduction de ces grès permet que la couverte à base d’oxydes ferriques donne cette couleur caractéristique allant du bleu-vert au vert selon les aléas de la cuisson et les caractéristiques du four. Que ce soit en Chine ou en Corée, les potiers ont toujours recherché à reproduire la couleur et la texture du jade. Certaines pièces présentent un fin réseau de craquelures provoquées au refroidissement, craquelures qui étaient aussi très appréciées en Chine.
Les premiers céladons coréens sont très apparentés à ceux de la dynastie des Song. Les potiers coréens vont cependant puiser leur inspiration dans le monde animal (canards, poissons) et végétal (bambous, gourdes, melons, lotus) pour façonner bols, godets, verseuses, brûle-parfums, etc. Les techniques pour le décor sont très variées (incision, modelage, ajourage, motifs peints sous couverte, décor à l’engobe) mais l’incrustation reste la méthode la plus répandue et a été portée à un degré de perfection par les artisans coréens. D’abord dessiné dans la pâte, puis évidé, le motif est ensuite comblé à l’aide d‘une argile ocre ou blanche. La cuisson de ces céladons à décor incrusté nécessite une parfaite connaissance des propriétés de l’argile utilisée et la maîtrise du processus de cuisson. Certaines verseuses sont de véritables sculptures affectant la forme d’animaux fantastiques et même d’un immortel taoïste. Quelques vases maebyeong présentent un décor très libre qui relève de la peinture ou de la calligraphie. Une bouteille, en particulier, a la particularité d’avoir un décor de saules peint au brun de fer sous couverte et celle-ci, de couleur céladon (cuisson réductrice) à la base, passe au brun léger (cuisson en oxydation) sur le haut du corps. Les céladons ont été particulièrement réservés pour la cour, les temples, les monastères (d’où la présence des formes de kundika bouddhique et de brûle-parfum) et les lettrés. Seulement à la fin de la dynastie, l’usage de céladons s’est répandu dans les classes aisées de la société.
La céramique de type buncheong (céladon poudré) qui est aussi typiquement coréenne et apparaît sous la dynastie Joseon ne sera en vogue que pendant deux siècles. Il s’agit de grès de couleur gris charbon recouvert d’un engobe blanc épais. Le décor pouvait être incisé, incrusté ou tracé au brun de fer sous couverte. Lors de la première période où le buncheong au décor incrusté ou estampé faisait partie du service royal, le style était directement inspiré des formes et décors des céladons. Dans le cas du buncheong tardif qui n’était plus réservé à la cour, les formes sont plus rudimentaires, le décor en est plus original et expressif, souvent plein d’humour et même parfois abstrait.
Si la porcelaine blanche tendre apparaît déjà sous la dynastie Goryeo et le début de la dynastie Joseon, elle sera remplacée à partir du 16ème siècle par la porcelaine dure, cuite à haute température (1300° C ou plus). Ces porcelaines tendres présentent souvent un décor incrusté d’argile et leur couleur est blanc cassé.
Au début de la dynastie Joseon, le confucianisme devint la religion d’Etat et le bouddhisme fut proscrit. La porcelaine blanche, sans décor convint parfaitement à la rigueur qui était de mise à la cour et, pour les lettrés, elle incarnait l’esprit et l’âme du néoconfucianisme. Au fil du temps, des motifs apparurent, peints au bleu de cobalt, brun de fer ou rouge de cuivre sous couverte. Si les premières porcelaines « bleu et blanc » ont été réservées à la cour royale du fait du prix exorbitant du bleu de cobalt, au fil du temps, les lettrés puis les membres fortunés de la société y eurent accès.
Un des motifs les plus répandus de la tradition « bleu et blanc » était celui des « Quatre nobles plantes » : fleurs de prunier, chrysanthèmes, orchidées et bambou. A la suite des symboles chers aux lettrés, on vit apparaître d’autres motifs comme des images populaires ou les dix symboles de longévité. Après les invasions japonaises (1592-1598) et la deuxième invasion mandchoue (1636-1637), de nouvelles formes en porcelaine blanche ont été créées comme la jarre de lune, grande jarre sphérique, sans décor et de forme rarement parfaite. Ces jarres étaient réservées à la cour royale.
Au 18ème siècle, la culture de Joseon fut particulièrement imprégnée par le goût du beau des lettrés et on voit apparaître des décors de paysages, de personnages, d’animaux ainsi que des poèmes, souvent interprétés dans un style très libre, proche de la peinture. Les « bleu et blanc » du 19ème siècle se caractérisent par une couverte très brillante, un décor plus populaire et un choix de compositions plus libres et originales. La démocratisation de la porcelaine, due à l’importation d’un pigment bleu fabriqué à Beijing, permet la création de véritables services ayant un même décor. Un motif particulièrement apprécié était le subok, un sinogramme combinant longévité et prospérité dans le style sigillaire.
Aujourd’hui, encore, l’art de la céramique est encore très vivant en Corée et les formes, les styles classiques sont sans cesse revisités et réinterprétés par les artistes.