La sculpture chinoise du 2e au 6e siècle

Mercredi 28 novembre 2009

Compte rendu de la conférence « La sculpture chinoise du 2e au 6e siècle », par Gilles Béguin, Conservateur Général du musée Cernuschi.

Notre cher Gilles a encore réussi  à rendre simple cette partie de l’histoire de la Chine et de son art qui est tout de même compliquée.

 

ARRIVEE DU BOUDDHISME EN CHINE :

Probablement introduit au début de notre ère par des marchands venant d’Asie Centrale, le bouddhisme est considéré comme une religion étrangère et exotique en dépit de certaines analogies avec le taoïsme et sa montée en puissance se fera très lentement.

L’empereur Mingdi (58-75) des Han aurait patronné la fondation du premier temple, le Baimasi (le monastère du cheval blanc) à Luoyang.

Le deuxième siècle voit un affaiblissement du pouvoir central et par conséquence un affaiblissement du confucianisme officiel.

L’empereur Huandi (146-167) aurait ainsi présidé en 166 une cérémonie en l’honneur de

Sakyamuni, de Huangdi (le légendaire empereur jaune) et de Laozi.

Le premier missionnaire, le khotanais Lokaksema arrive dans la capitale en 150 et y traduit plusieurs textes mahāyāna. Mais traduire des thèmes indiens dans la langue et la pensée chinoise posait problème. Le taoïsme ayant en commun avec le bouddhisme les exercices respiratoires, l’ascétisme et l’absence de sacrifices, on va donc utiliser des thèmes taoïstes pour transmettre cette nouvelle religion, ce qui sera la cause d’une certaine confusion. Les deux religions vont connaître tour à tour des persécutions et adopteront alors une stratégie croisée de survie.

L’effondrement de la dynastie et les troubles qui s’ensuivent vont provoquer la recherche du salut individuel et favoriser le bouddhisme.

En 259 le premier pèlerin chinois part pour l’Inde et traverse le bassin du Tarim qui, à cette époque, est un grand centre de traduction.

A la fin du 3e siècle, le bouddhisme touche toutes les couches de la société.

Après l’invasion du nord de la Chine par les Tuoba, la Chine va être divisée en deux durant la période des Six Dynasties (386-589).

Le royaume « barbare » des Wei du Nord ou Bei Wei (386-534) va favoriser l’expansion du bouddhisme qui va connaître un important patronage impérial.

Dans le Nord, les royaumes tels que les Wei et les Qi construisent de nombreux temples et monastères (pagode du Songshan et pagode Simenta à Jinan) et font creuser et décorer des grottes (Yungang, Dunhuang et Longmen) alors qu’au Sud il reste peu de traces d’un mécénat également très important.

C’est durant cette époque que Kumārajiva (vers 344-413), un moine bouddhiste koutchéen polyglotte et érudit dirigea à Chang’an la traduction en chinois d’au moins vingt-quatre ouvrages qui exercèrent une influence considérable sur le bouddhisme chinois.

C’est aussi le début de la polémique avec les taoïstes.

LA SCULPTURE CHINOISE DU 2e AU 6e SIECLES :

Si à partir du 2e siècle, l’image du Buddha apparaît, elle reste anecdotique : le socle d’un « arbre à sapèques » du 2e s. (musée de Nanjin) mis à jour dans le Sichuan, porte une représentation du Buddha en méditation entre deux attendants, une urne funéraire du 3e s. provenant de Nanjin, présente un buddha assis sur le trône aux lions et dans une tombe du Sichuan (2e s.), le linteau de la porte d’accès possède, en son centre, une figure de Buddha assis.

On peut distinguer successivement trois styles :

–         Le premier style ou « pseudo-gandhārien » :

o         Le Buddha assis sur le trône aux lions, en bronze doré (Collection Sackler, Université d’Harvard) du 3ème s. a encore toutes les caractéristiques de l’art du Gandhāra: la coiffure, la moustache, les plis du vêtement. Les flammes qui semblent s’échapper de ses épaules sont peut-être une référence au miracle de Śrasvati.

o        Le Buddha assis, en bronze doré, daté de 338 (Musée d’Art Oriental de San Francisco), bien que reprenant le canon gandhārien est plus sinisé et les plis du vêtement se stylisent. (Fig.1)

o        Le grand Buddha Maitreya debout, en bronze doré, faussement daté de 486 (Metropolitan Museum, N.Y.) porte l’influence des modèles d’Asie Centrale tels qu’on peut en voir à Qyzyl. (Fig.2)

o        Les grottes de Binglingsi (Gansu) sont décorées de peintures où l’on peut admirer des buddha et bodhisattva encore imprégnés de l’esthétique de Qyzyl.

o        A Dunhuang (Gansu), la grotte 275 abrite un Maitreya assis, jambes pendantes et croisées. Ici le torse n’a plus de musculature soignée et le drapé mouillé incompris est stylisé à l’extrême.

Fig. 1                         Fig. 2

Sous les Wei du Nord, taoïsme et bouddhisme prospèrent tour à tour. L’empereur Wenchengdi (452-465) fait creuser les grottes sanctuaires de Yungang (Shanxi) inspirées des grottes d’Asie Centrale. Le grand Bouddha assis entre deux bodhisattva évoque à la fois l’art du Gandhāra et de Mathurā par le traitement du drapé. (Fig.3) Dans la grotte N°8 on peut même voir un Shiva traité de manière très fantaisiste. Dans la grotte N°7, une sculpture d’Avalokiteśvara assis présente des drapés issus des drapés mouillés parthes, de même que les rideaux qui s’entrouvrent au-dessus sont un écho à l’art de l’antiquité tardive. (Fig.4)

Fig. 3     Fig. 4

–         En 480, apparaît le second style, très graphique :

Les Wei veulent se siniser et l’empereur Xiaowendi (467-499) ordonne l’usage de vêtements chinois à la cour, l’utilisation de la langue chinoise et les mariages entre Xianbei et Han. Il déplace en 494 la capitale de Datong (Shanxi) à Luoyang (Henan) qui se situe au centre des richesses naturelles du pays.

L’impératrice régente Feng (442-490) met à la mode des manteaux de gaze amidonnée, ce qui va se traduire en sculpture par un traité des manteaux des bodhisattva très stylisés, raide avec deux pans symétriques en « ailes d’hirondelles ». Si la peinture, comme à Dunhuang (grotte 285), gagne en expressivité malgré la grande schématisation d’un dessin nerveux, la corporalité de la sculpture disparaît au profit d’une plus grande spiritualité.

L’empereur Xuanwudi (499-515) patronne la création de grottes-sanctuaires à Longmen.

o        La grotte Guyang, creusée entre 500 et 523, présente un ensemble de petits ex-voto sur les murs et quelques grandes statues. Le style anguleux y atteint son apogée. Les drapés sont aplatis et symétriques en « ailes d’hirondelles ». On retrouve le système des rideaux qui sont soulevés en haut des niches pour souligner le sujet central.

Dans la grotte Binyang du centre se trouvaient deux grands bas-reliefs représentant le cortège de l’empereur et celui de l’impératrice (détachés en 1935 et aujourd’hui au Metropolitan Museum, N.Y. et à la Nelson Gallery de Kansas City). Le musée Cernuschi détient deux estampages anciens de ces reliefs dans la salle de conférences.

o        Un thème qui va connaître une grande popularité à cette époque est la représentation de Śākyamuni et Prabhutāratna. Un bronze doré du Musée Guimet (Paris) les figure assis symétriquement, comme en grande discussion. Les drapés sont anguleux et raides, les silhouettes très longilignes et les visages émaciés. (Fig.5)

o        A Dunhuang les peintres traitent les corps de façon schématisée avec de larges traits sombre pour les contours mais une vivacité qui rend les scènes très vivantes. (Fig.6)

Fig. 5      Fig. 6

–         Un troisième style va s’imposer lentement, caractérisé par le rejet progressif du style graphique et un retour à une certaine corporalité.

En Chine du Nord, il se crée une scission entre les élites sinisées et l’armée toujours enracinée dans la tradition Xianbei. Une succession de royaumes à l’Ouest, Wei de l’Ouest (535-557), puis Zhou du Nord (557-581), va permettre une synthèse des influences turques et chinoises, alors qu’à l’Est, les Wei de l’Est (534-550) et les Qi du Nord (550-577) vont rester plus fidèles aux traditions des Tuoba.

o        Un petit bronze doré figurant Maitreya daté de 536 (University of Pennsylvania Museum, Philadelphie) montre un visage plus rond et un traité du cou plus naturaliste.

o        Sur une stèle datée de 536 (Musée Rietberg, Zurich), les personnages sont traités de manière plus naturaliste avec une influence indienne renouvelée (Empire Gupta en Inde) mais assimilée.

o        Les grottes N°10 et N°16 de Tianlongshan (Shanxi) creusées entre 551 et 561 sont des chefs-d’œuvre de la sculpture chinoise.

Sous les Zhou du Nord, les silhouettes se font plus trapues, le ventre proéminent ainsi qu’une cambrure extrême, comme ce bodhisattva monumental (Metropolitan Museum, N.Y) couvert d’un amoncellement de joaillerie.

Les Qi du Nord vont protéger le bouddhisme amidiste et il va se créer des styles régionaux.

o        Une stèle figurant un bodhisattva en méditation (Freer Gallery, Washington), vers 560, illustre bien le style du Hebei : marbre blanc, personnage courtaud et potelé, auréole ajourée. (Fig.7)

o        Une stèle figurant Amitābha prêchant dans la Terre Pure de Sukhavāti, vers 570, (Freer Gallery, Washington) montre une des plus anciennes représentations du paradis d’Amitābha.

  Fig. 7

En 1996, plus de quatre cents sculptures brisées furent mises à jour à Qingzhou  (Shandong) sur l’emplacement du temple Longxing. Ces œuvres forment un panorama continu de la statuaire chinoise depuis les Wei du Nord jusqu’au début des Song du Nord.

o        La triade figurant un buddha entre deux bodhisattva (inv.1.0008) de la fin des Wei du Nord, porte encore des traces de peinture et l’auréole est décorée dans sa partie supérieure d’un délicat décor gravé de génies volants.

o        La triade monumentale figurant Śakyāmuni entre deux bodhisattva, (inv.1.0018) des Wei de l’Est, évoque le sermon du Pic du Vautour, identifié par le stūpa exalté dans la partie supérieure de la stèle. Les visages sont traités de façon géométrique mais retrouve une densité des chairs. L’hiératisme des trois déités contraste avec la virtuosité de traitement des dragons et des musiciennes célestes.

o        La tête de buddha (inv.1.0453) des Wei de l’Est présente une carnation dorée et une chevelure peinte en bleu. Il semble qu’à Qingzhou, l’ūrņā, touffe de poils tourbillonnant entre les deux yeux (un des signes principaux de Śakyāmuni), soit rarement figurée.

o        Le bodhisattva assis en position inverse de l’attitude du délassement, (inv.1.0080) des Qi du Nord, est sculpté en vraie ronde-bosse. Son diadème, orné de médaillons perlés indique des influences indiennes ou perses. (Fig.8)

o        Le buddha debout, (inv.1.0267) des Qi du Nord, montre un traitement très naturaliste aussi bien dans les drapés que pour le corps, alors que le buddha debout (inv.1.0147) de la même époque évoque l’art épuré du style Gupta. (Fig.9)

o        Le bodhisattva debout, (inv.1.0078) des Qi du Nord, est l’une des statues les plus abouties de Qingzhou : un certain réalisme dans le traitement des chairs s’harmonise parfaitement avec une stylisation élégante pour créer un être fantasmatique.

En 589, l’empereur Sui Wendi, de la dynastie Sui (581-618) unifie la Chine de nouveau. La sculpture perpétuera l’esthétique géométrisée des Qi du Nord tout en annonçant parfois l’art majestueux et décoratif des Tang.

  Fig. 8           Fig. 9

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