La peinture du Joseon postérieur – lettrés et peintres professionnels hwawon
Conférence par Okyang CHAE-DUPORGE, Maître de conférences à l’Université Bordeaux Montaigne.
Bien qu’il y ait peintres de divers statuts (moines, peintres dits « itinérants », peuple, etc.), la production picturale du Joseon (1392-1910) est dominée par deux groupes principaux d’artistes : les peintres lettrés, d’une part, et les peintres de cour, d’autre part. La société du Joseon est régie par une hiérarchie sociale très marquée et divisée en différentes classes.
Les lettrés appartiennent aux yangban, qui se hissent au sommet de la pyramide sociale. Ils apprennent la poésie, la calligraphie et la peinture, qu’ils pratiquent en tant que loisir et non comme profession, car le métier de peintre est considéré comme vil et donc relégué aux classes inférieures. Dans les peintures, les yangban sont souvent représentés en train de lire ou, tout du moins, accompagnés de livres, symboles de leur érudition et de leur classe sociale, souvent en train de contempler la nature.
![]() Système des classes sociales du Joseon. |
![]() Portrait de Oh Myeonghang. Anonyme. Encre et couleurs sur papier. © Gyeonggi Provincial Museum. |
![]() Haenghaeng-nagnamheonbangbang. (Procession royale à Hwaseong). Panneau d’un paravent de 8 feuilles. Peinture sur soie. 1795. ©Musée National du Palais. |
Jeong Seon (1676-1759), dont le nom d’artiste est Gyeomjae, est issu d’une famille de yangban appauvrie. Il a probablement été, un temps, peintre de cour (recommandé par Kim Chang-jip), mais il a essentiellement côtoyé les yangban. Deux de ses œuvres sont des trésors nationaux hautement appréciés par les Coréens : la première est une « Vue complète des monts du Diamant » (1734) et la seconde, « L’éclaircie au mont Inwang après la pluie » (1751), caractérisée par un contraste intense entre le noir du granit de la roche et le brouillard clair.
![]() Jeong Seon. Vue générale du mont Geumgang. 1734. Encre et couleur légère sur papier. ©Leeum Samsung Museum of Art. |
![]() Jeong Seon. L´éclaircie au mont Inwang après la pluie. (1751. Encre sur papier. ©Musée nationale de Corée, Seoul. |
Alors qu’au début du Joseon on peignait des paysages imaginés de Chine, Jeong Seon a cherché à rendre visible ce qu’il voyait, bien qu’il y ait une forme d’abstraction. Il a créé cette tendance appelée Jingyeong sansuhwa (peintures de paysages d’après nature), qui a grandement influencé le courant pictural ultérieur.
Surtout, « L’éclaircie au mont Inwang après la pluie » est souvent considérée comme dédiée à son ami mourant, Yi Byeong-yeon, un grand lettré et l’ami intime de Jeong Seon. Cela nous amène à observer les échanges entre peintres et lettrés : « Sihwa hwansanggando詩畫換相看圖 (poèmes et peintures échangés pour être contemplés mutuellement) »(1740-41) en est un bon exemple. Regrettant la séparation causée par le départ de Jeong Seon pour un nouveau poste, ces deux amis de longue date ont décidé d’entretenir une correspondance composée de peintures de Jeong Seon et de poèmes de Yi Byeong-yeon, constituant plus tard l’ « Album des paysages célèbres de Gyeonggyo » (1740-41).
![]() Jeong Seon. Siwha Hwansanggan-do . extrait de « Gyeonggyo Myeongseungcheop » (Album des paysages célèbres de Gyeonggyo). 1740-1741. Couleurs légères sur soie. ©Musée Kansong. |
![]() Jeong Seon. Au repos après avoir lu un livre. Extrait de « Gyeonggyo Myeongseungcheop » (Album des paysages célèbres de Gyeonggyo). 1740-1741. Couleurs légères sur soie. ©Musée Kansong. |
![]() Kang Se-Hwang, Sim Sa-Jeong, Choe Buk, Kim Hong-do, Heo Phil. Gyunwa Ajipdo. (Peinture d’une réunion élégante à la hutte de bambou). 1763. Peinture sur soie. |
![]() Autoportrait de Kang Se-Hwang à 71 ans. 1784. Peinture sur soie. ©Musée nationale de Corée, |
Revenons maintenant aux peintres de cour. Ils appartiennent aux jungin, la classe moyenne, dont sont issus les fonctionnaires subalternes et les interprètes. À partir du XIXᵉ siècle, les jungin prennent davantage d’importance et s’enrichissent notablement. On voit même apparaître de grands collectionneurs d’art parmi eux. Les hwawon (peintres de cour), issus de la classe moyenne jungin, travaillaient au Bureau de peinture attaché au ministère des Rites. Ce bureau a d’abord été nommé Dohwawon avant de prendre le nom de Dohwaseo sous le règne du roi Seongjong (1469-1494). Accessible sur concours, sa composition, c’est-à-dire les noms des différentes fonctions et leur nombre, est régie par le Grand Code de l’administration de l’État. Chaque peintre possède un grade allant de la 6e à la 9e classe subalterne, ce qui montre la limite sociale des peintres professionnels.
En 1783, le roi Jeongjo établit le système des Chabi daeryeong hwawon (littéralement « peintres en attente des ordres du roi »), géré par le Kyujanggak, le Centre de recherche et la bibliothèque royale. Dix hwawon sont choisis parmi les meilleurs du Dohwaseo et deviennent Chabi daeryeong hwawon à vie, sauf raison exceptionnelle. Il leur est promis un salaire fixe de base ainsi que des primes selon leurs performances. Si les hwawon du Dohwaseo devaient passer un examen tous les trois mois, les Chabi daeryeong hwawon du Kyujanggak devaient en passer seize par an pour maintenir leur niveau.
Les hwawon devaient choisir l’un des cinq sujets proposés : peinture de bambous, de paysages, de personnages, d’animaux et d’oiseaux, ou de fleurs et de plantes. À chaque thème est associé un nombre de points, ajusté selon la qualité de l’exécution : une peinture de bambous vaut 5 points si elle est bonne, seulement 4 si elle ne l’est pas ; une peinture de fleurs et plantes vaut 2 points si elle est bonne, seulement 1 sinon. En raison de cette hiérarchie, le choix du sujet est essentiel et prime sur les compétences de l’artiste. Les Chabi daeryeong hwawon ont accès aux mêmes thèmes que les hwawon, auxquels s’ajoutent le sokhwa (peinture de genre), les représentations de pavillons et tours, et les objets d’étude (tels que les chaekgeori). Toutefois, ils ne choisissent pas un sujet mais doivent tous les maîtriser, le talent de l’artiste primant sur le choix du thème.
Si, de nos jours, l’histoire de la peinture du Joseon semble dominée tantôt par les peintres de cour, tantôt par les lettrés, c’est leur coexistence et leurs échanges qui l’ont fait progresser. Ces échanges dépassent les barrières sociales, bien que les peintres restent conditionnés par celles-ci. Gyunwa Ajipdo (1763), littéralement la « Peinture d’une réunion élégante à la hutte de bambou », illustre parfaitement ces échanges, car cette peinture représente non seulement des peintres en pleine réunion artistique, mais elle a aussi été réalisée collectivement. Réalisée par Kang Se-hwang, Sim Sa-Jeong, Choe Buk, Kim Hong-do, Heo Phil, etc., grands noms de la peinture coréenne du Joseon, elle met en scène un moment de loisir réunissant lettrés, peintres de cour ou peintres professionnels. Le texte situé dans le coin supérieur droit permet d’identifier la contribution de chacun.
![]() Kang Se-hwang, Yeongtongdonggu, Album de voyage à Songdo, 1757. couleurs sur papier. © Musée national de Corée. |
![]() Sim Sa-jeong. Paysage imitant Sen Zhou, 1758. Peinture sur soie. ©Musée nationale de Gwangju. |
![]() Kim Hong-do. Tigre sous un pin. Peinture sur soie. © Musée national de Corée. |
Kang Se-Hwang, de son nom d’artiste Pyoam (1713-1791), qui s’est occupé de la composition de cette peinture, est né dans une famille prestigieuse. Il est non seulement peintre, mais aussi le plus grand critique et connaisseur d’art de son temps. Certaines de ses compositions dans son « Album de voyage à Songdo » manifestent sa très bonne connaissance de l’art occidental, notamment par le recours à la perspective géométrique ou au clair-obscur. Sim Sa-Jeong (1707-1769), de son nom d’artiste Hyunjae, est un des peintres les plus éminents de l’école du Sud, comme l’atteste son « Paysage imitant Shen Zhou ». Élève de Jeong Seon, il a pratiqué divers genres, mais s’est particulièrement illustré dans les paysages ainsi que les peintures de fleurs et d’oiseaux. Il a peint les pins et les rochers dans Gyunwa Ajipdo (1763).
Choe Buk (1755-1785), qui a coloré cette peinture, était un peintre professionnel appartenant à la classe des jungin. N’étant pas peintre de cour, il devait peindre pour gagner sa vie, mais il était tout de même très fier de ses œuvres. Kim Hong-do (1745-1814 ?) était peintre de cour hwawon extrêmement doué. Il pouvait traiter des sujets très variés, allant du portrait royal à la peinture bouddhique. C’est le peintre Kang Se-Hwang qui aurait découvert son talent très tôt. Le soutien du roi Jeongjo lui a permis de s’imposer comme le peintre le plus éminent de son époque.
Dans cette société très hiérarchisée du Joseon, de nombreux éminents peintres appartenant à la classe des jungin, se sentaient limités par leur condition sociale, ne pouvant accéder aux privilèges ni à la même reconnaissance que les peintres lettrés. Cela n’a toutefois pas empêché ces artistes, issus de statuts sociaux différents, de se retrouver, de collaborer et d’échanger librement autour de compositions poétiques et picturales. Leurs rencontres, souvent marquées par une admiration réciproque et un respect mutuel, donnaient lieu à une véritable émulation artistique, où chacun puisait dans le talent de l’autre une source d’inspiration.
Alix Frey et Tesnim Ettaghi