La céramique thaïlandaise des XIVe – XVIIe siècles

Conférence par Anne Fort, Conservatrice du patrimoine chargée du Vietnam et de l’Asie centrale.

Jusque dans les années 1950, la céramique thaïlandaise était peu connue et peu recherchée. A cette date, les fours du Nord furent redécouverts mais les pièces exhumées étaient brisées et lacunaires. Puis des pièces architecturales furent trouvées dans les fouilles de temples abandonnés. Pendant de nombreuses années les pièces trouvées provenaient de fouilles clandestines. Les années 1960-1970 virent la formation des grandes collections (Singapour, Philippines, Indonésie). Dans ces années, les premières pièces apparaissent en Thaïlande et des tombes sont mises à jour en Indonésie et aux Philippines, ce qui entraîne l’apparition d’un marché des céramiques thaïlandaises d’exportation.
Ces céramiques (plats au poisson, figurines, kendi) à usage domestique étaient transmises par héritage et se retrouvent dans presque toute l’Asie du Sud-est. A partir du 14ème s., on s’aperçoit que les fours du Centre (Sawankhalôk et Sukhothai) sont plus tournés vers l’exportation que les fours du Nord. On a trouvé de la céramique thaïlandaise d’exportation jusque dans des nécropoles d’Indonésie et des Philippines comme offrandes funéraires.
Les nécropoles de Tak  et de Om Koi ont été découvertes au Nord-ouest de la Thaïlande entre 1984 et 1985. On y a  trouvé beaucoup de pièces en parfait état provenant des fours du Centre et du Nord mais aussi des céramiques chinoises et birmanes.

Carte du Centre et du Nord de la ThaÏlande.

Type de four utilisé à Sawankhalok.

Ruines d’un four de Sawankhalok.

Méthode d’empilement des céramiques pour la cuisson.

La majorité des céramiques se trouvant dans les collections provient des transmissions par héritage, des pillages des nécropoles et des épaves sous-marines, des rebus de cuissons trouvés sur les sites des fours et, éventuellement, de fouilles  archéologiques.
Un petit retour sur l’histoire de la Thaïlande: La principauté de Sukhothai (située au centre de la Thaïlande à 450 km au Nord de Bangkok), après s’être affranchie de la tutelle khmère, parvint à préserver son indépendance de 1250 jusqu’au 15ème siècle où elle fera allégeance à Ayutthaya en 1412. Cependant, malgré le déclin du royaume, la production de céramique continua. Si le site de Sukhothai n’a produit des céramiques que sur une très courte période (fin 14ème s. – début 15ème s.), celui de Sawankhalok (très proche) produira jusqu’au milieu du 16ème s. Le développement des fours Thaï s’explique par l’arrêt des exportation des porcelaines chinoises, suite à l’édit de l’empereur Hongwu (1328-1398) en 1371 qui interdisait le commerce international.
Le site de Sawankhalok est particulièrement actif au 15ème s. avec 900 fours dont 230 sont documentés. Le groupe le plus ancien, Ban Ko Noi, produisait des jarres et des plats en céladon depuis la fin du 13ème s. Les fours sont apparentés aux fours mantou du Guangzhou ; ceci serait dû au mouvement migratoire des Thaï à l’époque des Tang. Ces fours, de quinze à vingt mètres de long, à chaleur inversée, permettaient d’obtenir la température de 1 200 degrés nécessaire pour la production de grès, ceci en les alimentant en bois pendant deux semaines environ. Pour pouvoir produire une grande quantité de céramique, on empilait les objets à l’aide de pernettes ou de hauts supports. Parfois les coupes ou les plats étaient posés de façon inversée.
Vers 1350, Sawankhalok commence à produire les premières céramiques avec le brun sous couverte. Du 15ème s. au milieu du 16ème s., la production, essentiellement de céladons et de décors de brun de fer sous couverte, est tournée vers l’exportation. Le déclin sera dû à plusieurs facteurs: l’islamisation de l’Indonésie avec pour conséquence, l’arrêt d’offrandes funéraires, la reprise des exportations par la Chine et l’invasion birmane en 1558 qui emmènera les potiers en Birmanie.

Boîte couverte. Grès à décor au brun de fer. Sawankhalok. 16ème s.

Plat. Grès à décor végétal au brun de fer. Sawankhalok. 14ème s. ©AGSA

Bouteille figurant une femme agenouillée portant des offrandes. Grès à décor au brun de fer. Sawankhalok. 15ème – 16ème s.

Les décors en brun sous couverte reprennent ceux qui étaient contemporains en Chine mais, comme il n’y a pas de bleu de cobalt, la couverte bleutée donne un aspect gris-bleu au décor. Les motifs sont directement inspirés des modèles chinois, même dans la répartition du décor. La production de boîtes couvertes montrent une infinité de variation dans la décoration. Des petite figurines semblent être la production spécifique du four de Payang ; elles figurent des femmes allaitantes, des porteurs d’offrandes, des hommes et des animaux. On ne sait pas vraiment à quel usage étaient destinées ces figurines mais les femmes portant un enfant pourraient avoir été utilisées dans des rites de fertilité. Les décors des céladons (plats, bols et bouteilles) de Sawankhalok sont tributaires de ceux de Longquan ; toutefois la couverte bleutée en est très brillante. Certaines pièces de forme comme les kendi et les vases verseurs sont beaucoup plus rares. On a aussi produit des pièces architecturales comme des antéfixes dans ces fours.

Verseuse en forme de hamsa. Céladon. Sawankhalok. 14ème – 15ème s.

Bouteile globulaire. Céladon. Sawankhalok. 15ème s. ©LACMA.

Plat à décor végétal. Céladon. Sawankhalok. 15ème s. ©©Art Gallery NSW.

Les fours de Sukhothai, probablement conçus pour répondre à la forte demande de l’exportation, ont été créés par des potiers venant de Sawankhalok. La production de ces fours n’étaient pas de très bonne qualité car l’argile assez impure nécessitait de la recouvrir d’un engobe blanc avant d’apposer le dessin. De plus, le décor en est stéréotypé, particulièrement les plats au poisson (50% de la production). Il s’agit d’une production quasiment industrielle. Les pernettes utilisées pour empiler les plats dans les fours laissant des marques, les artisans ont eu la bonne idée de souvent les inclure dans le décor. Celui-ci est peint de manière très calligraphique, très enlevée et malgré la répétition du motif au poisson, tous sont différents. Sukhothai produira aussi beaucoup d’éléments d’architecture.
Les fours de Kalong sont situés au Nord de la Thaïlande, entre Chieng Mai et Chieng Rai. La production est caractérisée par la qualité de l’argile utilisée qui contient une forte proportion de kaolin. Ceci permettait de façonner des pièces avec des parois extrêmement fines et une pâte très blanche. Le décor en brun de fer sous couverte est souvent rayonnant, utilisant des motifs végétaux stylisés, presque abstraits, peints dans un style énergique. La production comprend aussi des petites bouteilles. La couverte utilisée à Kalong est plutôt grise, ce qui donne une aspect gris-taupe aux céramiques, mais elle est fine et brillante.

Plat avec décor de poisson et de feuillages. Grès, motifs peints au rouge de fer. Sukhothai. 15ème s.

Plat à décor de poisson. Grès avec motif peint au rouge de fer. Sukhothai. 15ème s.

Plat à décor de feuillages. Grès avec motifs peints au rouge de fer. Kalong. 16ème s.

Dans une vallée proche, les fours de Sankampaeng ont une production différente avec des formes massives, un corps plus épais et une couverte olive ou noire. Un décor de deux poissons tête-bêche rappelle le motif du Yin-yang chinois, mais les artistes locaux le réinterprétaient à leur manière sans en connaître, probablement, la vraie signification.
Les céramiques des fours de Hariphunchai (proche de la ville de Lamphun) sont façonnées avec une argile rouge et n’ont pas de couverte. La production est essentiellement centrée sur des bouteilles à haut col.
Tous les fours du Nord ont principalement produit pour un marché local.

Bouteille. Grès. Kalong. 14ème s– 16ème s.

Bouteille. Grès. Sankampaeng. 16ème s.

Bouteilles à haut col. Terre cuite avec un décor peint sur un engobe blanc. Haripunchai. 14ème s– 16ème s.

Le musée Cernuschi vient de bénéficier d’une importante donation de monsieur Max Bourdenave comprenant 76 céramiques thaïlandaises, 2 birmanes et 2 vietnamiennes provenant d’une collection créée entre 1987 et 1992. Cet ensemble de grande qualité illustre presque tous les aspects de la céramique thaïlandaise.

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