Architecture amidiste au Japon
22.01.2014. Conférence Architecture amidiste au Japon par Christine Shimizu, Conservateur général, directrice du musée Cernuschi.
L’architecture amidiste est liée à la doctrine bouddhique prônant le culte du Bouddha Amida (skt.Amithâba). Celle-ci fut développée par le moine chinois Shandao (618-681) qui avait étudié et commenté le Sûtra de la Longévité infinie (ch.Wuliang shouching, j.p. Muryojukyô). Peut-être compilé durant l’époque Kushan (Ier-IIe siècle), ce texte avait été traduit en chinois sous le titre du Grand Sûtra du Bouddha Amithâba. Il décrivait la Terre Pure de l’Ouest, demeure de ce Bouddha, ainsi que les 48 vœux émis par lui pour sauver les âmes.
La première représentation picturale connue au Japon de ce paradis bouddhique est le Taima mandara, conservé au temple Taima-dera. Elle donna lieu à une légende portant sur les circonstances de sa réalisation, légende qui a été illustrée sur des rouleaux enluminés au XIIIe siècle (conservés au Kômyô-ji). Cette tapisserie est une interprétation visuelle des commentaires de Shandao figurant Amida entouré des deux bosatsu (skt.bodhisattva) Seishi et Kannon. Sur les bordures figurent l’histoire du prince Ajase (skt.Ajâtashatru), ainsi que les 16 sortes de contemplation prêchées par le Bouddha Amida pour atteindre le paradis et les 9 niveaux de réincarnation. Selon les spécialistes, l’œuvre du Taima-dera aurait été introduite de Chine au VIIIe siècle : à l’heure actuelle, il n’en subsiste que quelques fragments. Mais elle a donné lieu à de nombreuses versions en particulier au XIIIe siècle.
Développement de l’Amidisme au Japon
Au IXe siècle, de nouvelles sectes bouddhiques sont introduites de Chine au Japon : le Shingon et le Tendai. La secte Tendai (ch.Tiantai) mettait l’accent sur le fait que tous les hommes pouvaient potentiellement atteindre l’Eveil et accordait pour ce faire une place particulière à Amida. C’est dans cette secte que l’on vit pour la première fois apparaître des édifices uniquement dédiés au Bouddha Amida où l’on y pratiquait le nembutsu ou invocation au nom d’Amida. En 851, une salle réservée à la circumambulation fut édifiée à proximité de Kyôto, dans le monastère de l’Enryaku-ji, sur le mont Hiei, centre du Tendai. Une grande tapisserie figurant son paradis était suspendue une fois par an sur la pagode de ce même monastère.
Cependant, une doctrine amidiste s’imposa à la fin du Xe siècle sous la direction du moine Genshin qui, outré par la dépravation régnant au monastère du Mont Hiei, rédigea un recueil des principes essentiels pour la renaissance dans lequel il décrivait les tourments des enfers et les délices du paradis. Ce texte devait inciter les moines et les fidèles à se consacrer à la dévotion du Bouddha Amida.
A sa suite, le moine Kûya propagea cette doctrine parmi les classes populaires, dans les villages où il invoquait devant les petites gens le nom d’Amida. Cette pratique fut plus tard reprise et développée par le moine itinérant Ippen (1239-1289) appelé le « Sage itinérant » qui prônait ce culte exclusif en s’accompagnant de chants et de danses. Il fonda la secte Jishû qui s’attacha plus de deux millions et demi de fidèles. Les Rouleaux enluminés du moine Ippen, datés de 1299, conservés au Kankikô-ji (Kyôto) et au musée national de Tôkyô illustrent ce prosélytisme.
La foi dans le Bouddha Amida fut accrue en raison de la croyance de l’arrivée imminente du Mappô, dernière loi du cycle bouddhique correspondant à une ère de vices et de dégénérescence. Elle correspondait à la troisième et dernière loi bouddhique avant l’arrivée du Bouddha du Futur (Miroku). Elle était supposée se produire en 1052, compte tenu que chaque loi durait un millénaire à partir de la date de la mort estimée du Bouddha historique (estimée par les Chinois et les Japonais à 949 avant notre ère). La peur des enfers provoqua alors un redoublement de la foi envers Amida qui offrait un paradis à ses croyants : de nombreuses peintures et des édifices entièrement consacrés à ce Bouddha et abritant des sculptures le figurant virent le jour.
Jôruri-ji. Nara |
Salle du Phénix – Byôdô-in. Kyoto |
Les édifices amidistes
Lorsque Fujiwara no Michinaga qui occupait la position de kampaku (régent et gouverneur général) abdiqua, il entra dans les ordres et commença à faire réaliser son grand projet : l’édification du temple Hôjô-ji à partir de 1020. Le premier édifice de ce monastère à être construit fut celui dédié à Amida. Il mesurait 11 baies sur 9 et abritait 9 sculptures d’Amida, ainsi que des peintures figurant des descentes (raigô) du Bouddha Amida sur terre pour chercher l’âme du défunt.
Fervent bouddhique, Michinaga avait offert à son fils Yorimichi la villa qu’il s’était fait construire à Uji. Yorimichi la transforma en un temple en 1052. Ce qui avait été la résidence principale devint la salle principale de dévotion et fut dédiée à Dainichi Nyorai (skt.Vairoçana). L’année suivante, Yorimichi fit ajouter un édifice consacré à Amida : la « Salle du Phénix » (Hôôdô) du Byôdô-in que l’on peut encore admirer. Beaucoup plus petite que celle du Hôjô-ji, elle ne mesure que 3 baies au lieu des 11 de l’édifice de Michinaga. Avec son plan en U s’ouvrant sur un étang enjambé à l’origine par trois ponts, elle reproduisait grandeur nature les peintures et les descriptions écrites du paradis d’Amida. Autour de la sculpture d’Amida par Jôchô sont disposés sur les murs des divinités musiciennes qui accompagnent le Bouddha venu chercher l’âme. Sur les murs subsistent, bien que très abimés, des peintures de raigô dans le style pictural du Yamato (peinture de style japonais par rapport à la peinture influencée par le style chinois des Tang).
De nombreux autres temples furent construits sur ce modèle, à Kyôto ou au nord dans la préfecture d’Iwate.
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Bouddha Amida. Hôkai-ji. Kyoto |
Konjikidô. 1124. Chûson-ji. Hiraizumi |
Autres plans de l’architecture amidiste
Aux XIe et XIIe siècles, des édifices dédiés à Amida furent construits sur un plan carré ou rectangulaire.
Le Jôruri-ji (Kyôto, 1107) conserve un exemple de plan rectangulaire. La salle d’Amida est située à l’ouest du temple rappelant l’emplacement du paradis d’Amida (la Terre Pure de l’Ouest). Construite sur un plan de 11 baies en façade, elle abrite neuf sculptures d’Amida correspondant aux 9 classes d’accueil. Ces classes correspondent à 3 catégories comprenant chacune trois sous-catégories. La catégorie supérieure (jôbon) est celle de la contemplation des bosatsu (bodhisattva), la catégorie intermédiaire (chûbon), celle de la contemplation des auditeurs (fidèles qui n’ont pas qu’embrassé le culte d’Amida, mais ont souhaité renaître dans ce paradis), la catégorie inférieure (gebon), celle de la contemplation des laïcs (malgré leurs fautes, ils ont invoqué le nom d’Amida). Il s’agit du seul exemple qui nous soit parvenu avec les neuf sculptures d’Amida, comme celles qui devaient exister au Hôjô-ji.
A la fin de l’époque de Heian, des salles d’Amida furent édifiées sur un plan carré avec un toit à quatre pentes isocèles dit en forme de « joyau » (hôgyô).
Le temple du Hôkai-ji (Kyôto), date de 1226. A l’intérieur est dressée une estrade que domine une imposante sculpture d’Amida. Les piliers centraux délimitant cet espace sacré sont ornés de peintures figurant les Bouddha du Mandara du monde du diamant.
Le temple du Fuki-dera (Kyûshû) datant de la fin du XIIe siècle reprend ce plan presque carré (3 baies sur 4). Un mur en bois, sur lequel est peint une représentation du paradis (raigôkabe), est dressé derrière la sculpture d’Amida.
Le Sanzen-in (Kyôto) possède quant à lui un plan original de 3 baies en façade sur 4 en profondeur. Daté de 1148, il abrite une triade d’Amida dans laquelle les deux bosatsu Seishi et Kannon sont figurés à genoux dans une formule originale.
Nous terminerons cette présentation en montrant un temple d’une grande rareté, le Konjikidô au monastère du Chûsonji dans le nord du Japon. Ce monastère est dédié à la mémoire des morts de deux campagnes militaires menées contre des clans autonomistes au XIIe siècle. La salle principale (kondô) est consacrée au Bouddha historique, Shaka. Mais ce qui nous intéresse ici, c’est un autre édifice, le Konjikidô, le mausolée des Fujiwara, qui abritait leurs momies (aujourd’hui préservées au musée). Construit sur plan carré, il mesure trois baies de côté et date de 1124. Il renferme une triade d’Amida et six formes de Jizô bosatsu (skt. Kshitigarbha) qui symbolisent les six voies de réincarnation. L’extérieur du bâtiment est entièrement recouvert de feuilles d’or. A l’intérieur, les piliers et l’autel sont laquées, décorées de motifs en laque d’or (maki-e) et incrustées de nacre (raden). Les fûts octogonaux des piliers sont divisés en 9 bandeaux horizontaux correspondant aux 9 degrés de réincarnation. Dans la partie supérieure des 4 piliers centraux figurent les 48 bosatsu symbolisant les 48 vœux exprimés par Amida dans le Sûtra de la longévité infinie. Ce bâtiment récemment restauré compte parmi les chefs d’œuvre de l’architecture japonaise.