Afghanistan : retour à Bactres

Mercredi 22 novembre 2006

Afghanistan : Retour à Bactres par Nicolas Engel, conservateur au Musée Cernuschi

Compte-rendu de la conférence illustrée de nombreuses photos de Nicolas Engel, conservateur au Musée Cernuschi, « Retour à Bactres », suite à la campagne de fouilles à laquelle il a participé durant l’automne 2006.

Bactres (aujourd’hui Balkh, ville ceinte d’une muraille de 11 km), était l’ancienne capitale de la Bactriane, province située aux confins de l’Afghanistan, du Turkménistan et de l’Ouzbekistan, plaine de steppes et de déserts traversée par l’Amu-Darya, l’Oxus des Anciens.

Rappel historique de la région :

– 2ème et 1er millénaire avant notre ère : la Bactriane était réputée pour ses richesses minérales et agricoles et tient une partie de sa prospérité au fait de se trouver au carrefour d’un important réseau d’échanges longue distance.

– 6ème siècle av.J.C. : selon la légende, Zoroastre est censé être né à Bactres et y serait enterré.

– Vers 550 av.J.C. : Bactres, située au milieu d’une oasis, est conquise par Cyrus et les bactriens sont mentionnés dans le texte de fondation du palais de Darius à Suse et représentés à Persépolis parmi les tributaires de l’empire achéménide.

– 320-327 av.J.C. : la région est conquise par Alexandre le Grand. Sa femme, Roxane, est originaire de Bactres. A la mort du conquérant, la Bactriane fait
partie de l’empire séleucide.

– Vers 250 av.J.C. : naissance du royaume indépendant de Bactriane, qui s’effritera en petits royaumes un siècle après.

–   1er siècle av.J.C. : invasions indo-scythes et indo-parthes.

–   1er siècle ap.J.C. : les Yuezhi fondent l’empire Kouchan (les Grands Kouchans) qui s’étend de l’Asie Centrale au nord de l’Inde. Apogée de l’art du Gandhara.

– 3ème siècle ap.J.C. : invasion des Sassanides qui reforment le grand empire perse.

– 5ème siècle ap.J.C. : invasion des Huns Hephtalites, puis de tribus turques.

– 8ème siècle ap.J.C. : invasions arabes.

– 9ème siècle ap.J.C. : sous les Abassides, la plus
grande famille de Bactres fournit à la dynastie une succession de vizirs, jusqu’à l’assassinat de tous ses membres sous Haroun-al-Rachid.  A la mort de ce dernier,  des dynasties locales apparaissent:
Samanide, Ghaznévide et Ghoride.

– 10ème siècle ap.J.C. : Balkh est une ville florissante et considérée comme « la mère des villes ». Vers 1207 le poète Rumi vit à Balkh avant de s’exiler en Turquie et fonder l’ordre des « derviches tourneurs ».

– 1220 ap.J.C. : la ville et la région sont ravagées par les hordes de Gengis Khan.

– 14ème siècle ap.J.C. : Tamerlan et ses successeurs redonnent de la splendeur à la province de Bactriane et reconstruisent Balkh.

Rappel de l’activité de la DAFA (Délégation Archéologique Française en Afghanistan) :

Créée en 1920 à la demande du roi Amanullah, la DAFA a supervisé les fouilles en Afghanistan et, en contre-partie d’aides à l’éducation et à l’archéologie, certaines pièces découvertes ont été concédées à la France, ce qui explique la richesse du Musée Guimet dans ce domaine.

En 1925, Alfred Foucher, directeur de la DAFA, entreprend de retrouver la ville hellénistique sur la citadelle (Bala-Hisar) de Balkh  mais ne trouve rien que des monuments islamiques.

En 2002, suite à l’apparition de chapiteaux de type grec (3ème siècle av.J.C.) sur le marché, des fouilles sont de nouveau entreprises à Balkh, plus précisément à tepe Zargaran (petite élévation comprise dans l’emprise des remparts, au sud-ouest du_ Bala-Hissar). Un ensemble de grands blocs de pierre est retrouvé à la jonction de galeries de pillage. Ces blocs ont été réemployés pour aménager un cours d’eau à l’époque Kouchan (1er siècle ap.J.C.). D’autre blocs et des chapiteaux de la même époque sont également mis à jour. Un ensemble monumental avec une pile de pont islamique est dégagé : le cours de la rivière s’est déplacé entre les achéménides et l’occupation islamique.

Un autre chantier sur le rempart nord met en évidence, sous le rempart aujourd’hui visible, un mur d’époque hellénistique au vu des briques de terre crues.

Un troisième chantier sur la pente sud du Bala-Hisar met à jour, sous les remblais et murailles islamiques, des terrasses achéménides. Elles aussi sont en briques crues, et couvertes d’un lit de cendres avec de nombreux tessons achéménides.

Un massif inexpliqué, sur lequel la couche de cendres vient mourir, abrite une sépulture où deux squelettes ont été retrouvés accompagnés d’une bague et d’une monnaie en bronze, malheureusement illisible. Leur position, avec la tête vers le Nord, indiquerait une époque préislamique.

Au-dessus de la couche de cendres, mais bien plus haut en élévation, la zone a livré trois niveaux d’occupation timouride ou post-timouride avec des habitats en briques cuites. La découverte de tessons du 8-9ème siècle ap.J.C. sous ces niveaux  islamiques tardifs et, en élévation, au-dessus des niveaux achéménides laisse supposer, sur le Bala-Hissar, une occupation islamique ancienne.

Les prochaines fouilles auront principalement pour objet la zone de tepe Zargaran, où vraisemblablement se trouvait la ville hellénistique, construite à plat, près de la rivière, en contrebas du Bala Hissar achéménide.

Nicolas Engel a ensuite montré des photos de la petite mosquée Hadjî Piyâdâ, située non loin de Balkh. Cette mosquée, construite en briques crues pour les murs extérieurs et en briques cuites pour les colonnes intérieures, ornée d’un décor de stuc apparenté à celui de Samârrâ, pourrait dater du 9ème siècle ap.J.C. Elle fait l’objet d’une campagne de restauration.

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