Évolution stylistique de l’architecture et de la sculpture birmanes
Mercredi 08 novembre 2017 : Évolution stylistique de l’architecture et de la sculpture birmanes, conférence par Anne Fort, Conservateur du Patrimoine, chargée du Vietnam et de l’Asie centrale au musée Cernuschi.
Le peuplement de la Birmanie est très ancien et les Môns arrivent vers le troisième millénaire avant J.C. en provenance du continent indien. Ils fondent une civilisation très brillante qui est proche de celle de Dvaravati en Thaïlande. Il n’y avait pas d’État môn mais plutôt une « confédération » de cités-états qui étaient en contact avec l’Inde qui leur apporta le bouddhisme Theravada (petit véhicule). Ils semblent s’être établis dans le Sud-Ouest, autour du port de Thaton qui deviendra la cité la plus importante à partir du 5ème s. av. J.C. Dans les chroniques birmanes, il est dit que les Môns firent venir et traduire des manuscrits bouddhiques en provenance du Sri Lanka aux alentours du 4ème s. de notre ère.
La langue môn fait partie d’un groupe qui est parlé en Asie du Sud-est et dans l’Est de l’Inde.
Les Pyus, descendant des confins du Yunnan et du Tibet, se sont installés dans les premiers siècles de l’ère chrétienne au centre de la Birmanie, le long de l’Irrawaddy. Ils fondent des cités-états et les chroniques de la dynastie Tang (618-907) décrivent le territoire occupé par les Pyus comme formé de 18 états et de 9 villes fortifiées. En Haute-Birmanie au moins sept de celles-ci ont été découvertes à ce jour. La langue pyu appartient au groupe tibéto-birman mais n’a laissé que peu d’écrits. Grâce à une inscription en quatre langues (Pyu, Môn, Birman et Pali) sur une stèle érigée à Pagan au 12ème s., on a pu la déchiffrer au 19ème s. A l’origine, probablement animistes, les Pyus ont adopté le bouddhisme mais aussi l’hindouisme.
Au début on constate des inhumations accompagnées d’objets, mais aux environs du 2ème s. de notre ère, il se produit une transformation, et on constate la pratique de la crémation avec la présence d’urnes en terre cuite, dont certaines sont assez ouvragées.
Il n’y a pas vraiment de monuments pyus car ils ont été remaniés, embellis ou reconstruits au cours des siècles comme cela s’est pratiqué dans toute l’Asie du Sud-Est. Les constructions étaient en brique et il en reste quelques éléments dans l’ancienne cité de Beikthano dont un bâtiment semble avoir été un monastère bouddhique. La ville de Sri Ksetra fut une des plus grandes et importantes cités pyus. Elle fut florissante du 6ème s. au 10ème s. La ville entourée d’un imposant mur d’enceinte couvre une superficie de 1 400 hectares à sa période de plus grande expansion. L’enceinte était percée de nombreuses portes et protégée à l’extérieur par un fossé. Sri Ksetra possédait de nombreux puits et un système de drainage particulièrement performant. De nombreuses structures y ont été trouvées mais, seuls, les stupas semblent dater de l’époque pyu, les autres bâtiments ayant été reconstruits à l’époque de Pagan. Les stupas Payagyi et Payama affectent une forme de ruche alors que le stupa Bawbawgyi se présente plutôt comme un cylindre légèrement arrondi au sommet, évoquant le stupa de Damekh à Sarnath (6ème s.). Une des particularités de Sri Ksetra est le grand nombre de sculptures et d’objets de différentes matières et techniques trouvés sur le site. Les sculptures bouddhiques relèvent essentiellement du bouddhisme Theravada mais certaines, comme des boddhisattvas, impliquent la présence du bouddhisme Mahayana. De nombreuses pièces de monnaie en argent ont été trouvées qui présentent des symboles visnouites ou bouddhistes, les éléments hindouistes étant surtout associés au culte de Vishnu. Il semble que les Pyus aient favorisé un certain syncrétisme entre les différentes religions. L’archéologue Charles Duroiselle fit, en 1926, la découverte d’un remarquable dépôt de fondation dans les ruines du stupa de Khin ba qui comprenait un reliquaire en argent, de nombreuses statuettes, des pièces de monnaie et un livre de feuilles d’or rédigé en Pali à l’imitation des livres sur feuilles de palme. La dalle qui recouvrait la fosse est ornée d’une représentation de stupa, ce qui donne une idée de leur forme à cette époque de même que des plaquettes votives trouvées sur le site représentant un buddha encadré de deux stupas.
Les sculptures pyus présentent des caractéristiques du style môn de Dvâravatî avec des visages assez ronds, des yeux très prononcés et une bouche épaisse.
Au cours du 9ème s., les Birmans en provenance des confins du Tibet s’infiltrent dans la région et fondent un puissant royaume, centré autour de la ville de Pagan. En 1057, le roi Anawrahta unifie l’ensemble de la Birmanie en conquérant la ville môn de Thaton. Les Birmans, qui étaient à l’origine animistes, vont opérer un syncrétisme et adjoindre aux sanctuaires bouddhiques des nats, esprits de la nature au nombre de 37 et répartis en plusieurs catégories.
Anawrahta est allé à Sri Ksetra pour prélever les reliques du stupa Bawbawgyi et les ramener à Pagan où elles seront déposées à l’intérieur de nouvelles fondations.
Les premiers stupas érigés à Pagan reprennent le style des stupas pyus, mais au cours des siècles, on constate une évolution : ils sont dressés sur des terrasses de plus en plus nombreuses et le dôme prend un aspect plus évasé en forme de cloche pour se terminer avec un empilement de cylindres et une flèche. A partir du 12ème s., c’est ce modèle qui prédominera jusqu’au 15ème s., avec un profil de plus en plus effilé comme pour le Shwedagon de Yangon.
Le stupa de Shwesandaw, construit par Anawrahta, est posé sur cinq terrasses très escarpées et des lions à deux corps et une seule tête apparaissent aux angles pour la première fois, ce qui sera aussi la règle pour tous les temples. Les terrasses du stupa de Shwezigon sont ornées de 580 plaques en terre cuite vernissées qui illustrent les jataka (légendes relatives aux vies antérieures du Buddha). Ce temple est censé abriter un morceau de la dent du Buddha qui aurait été rapporté de Kandy au Srilanka. A l’extérieur, un édifice abrite deux nat tandis qu’un autre protège les 37 nat et une statue en bois d’Indra (début du 12ème s.).
Les temples présentent aussi une évolution :
- Le temple de Nanpaya (11ème), construit par le dernier roi de Thaton retenu prisonnier, présente encore les caractéristiques du style môn : un seul étage, des ouvertures étroites donnant peu de lumière, des écrans de pierre ouvragés obturant les fenêtres. Le bâtiment est en brique avec un parement extérieur de grès. Les piliers en pierre qui soutiennent la voûte centrale sont ornés de représentations de Brahma. Le décor extérieur est particulièrement riche et les sculptures de grande qualité évoquent les reliefs des temples indiens.
- Le temple d’Ananda (12ème), d’un style de transition n’a qu’un seul étage mais avec deux étages d’ouvertures superposées et les fenêtres ne sont plus obturées par des écrans. La structure est couronnée d’un sikhara rappelant les temples du Nord de l’Inde. Le plan en est centré et le pilier central est creusé de quatre niches pour recevoir les statues des quatre buddhas (Kakusandha au Nord, Konagamana à l’Est, Gautama à l’Ouest et Kassapa au Sud). Le corridor pour-tournant est décoré de plusieurs étages de niches et couvert par une voûte (ce qui explique la résistance aux secousses sismiques).
- Le temple Htilominlo (13ème), de style birman a un plan centré et possède deux étages. Comme Ananda, il est couronné d’un sikhara. Il est magnifiquement décoré de stucs et des plaques de pierre vernissée illustrant les jataka ornent les terrasses. Les deux étages possèdent chacun quatre statues de buddha et les murs sont ornés de « fresques ».
En sculpture, le style de Pagan se caractérise par un nez fin et busqué, un petit menton, une bouche petite et bien ourlée, des paupières très fermées.
Les siècles suivants voient l’éclatement du royaume de Pagan jusqu’en 1364 où le royaume d’Ava (1364-1527) réunifie le Nord alors que le Sud reste sous la domination Môn avec pour capitale Pegu.
Ava voit un renouveau de la culture birmane et la sculpture se stylise, avec un visage plus fin et une expression douce à l’opposé du style sévère de Pagan. La tête des buddhas est souvent couronnée d’un haut motif flammé, rappelant une couronne ou un pyatthat (toiture à multiple degrés), la robe monastique lisse est gravée de plis stylisés cannelés et le revers ornementé tombe sur l’épaule gauche.
Les Shan qui se regroupaient aux confins du Yunnan n’ont cessé de se rebeller et finirent par épuiser le royaume d’Ava. Les sculptures shans sont proches de celles d’Ava mais influencées par le style chinois.
Du 13ème au 16ème s., les stupas prolongent le style de Pagan et les anciennes constructions sont agrandies et embellies. Les temples se modifient et le pyatthat remplace le sikhara.
Suite à l’invasion shan, les survivants d’Ava se regroupent autour du roi de Taungû pour fonder une nouvelle dynastie (1510-1752) qui déplacera sa capitale plusieurs fois. Après la révolte de Pegu encouragée par les Français, le royaume s’effondre. Finalement, un chef birman, Alaungpaya reconquiert une grande partie de la Birmanie et fonde la dynastie Konbaung (1531-1752) qui, elle aussi, changera de capitale (sept fois).
Le temple Shwe In Bin à Mandalay donne un bon exemple de l’architecture de cette époque : monté sur des pilotis de teck posés sur une maçonnerie, le temple, lui aussi, en teck, se divise en plusieurs pavillons et la cella est surmontée d’un pyatthat. L’architecture et la sculpture des toits est très influencée par celle en vogue en Thaïlande, à Ayuthya, suite à sa conquête par les Birmans qui ramenèrent artistes et artisans.
Le style shan a continué de se perpétuer comme on peut le voir au monastère Nga Phe Hyaung sur le lac Inle. Les spirales qui dessinent les plis de la robe monastique sur les genoux des buddhas sont caractéristiques de ce style. L’apparition de buddhas parés appelés Jambupati Buddha se fait au 17ème s. appelés Jambupati Buddha. Ces buddhas sont non seulement vêtus de robes décorées mais portent des bijoux et sont couronnés d’une imposante coiffe.
L’art de Mandalay est lui aussi influencé par l’art thaï, notamment par l’utilisation d’incrustation de pierreries ou de verroterie et l’apparition d’un bandeau qui enserre le visage, le séparant de la chevelure. Les proportions des sculptures sont plus souples et plus naturelles, les visages plus naturalistes, les doigts des mains sont de longueurs différentes. L’utilisation de marbre pour la sculpture est aussi une innovation de Mandalay.
Certaines constructions du 19ème s., bien que reprenant les schémas classiques sont intéressantes comme le stupa de Hsinbyume (1816), à Mingun, qui évoque le mont Meru entouré de sept terrasses évoquant les sept océans et les sept chaînes de montagnes, ou le stupa de Kuthodaw (1857) à Mandalay entourés de 729 pavillons surmontés de stupas qui abritent 729 stèles de marbre gravées du Tripitaka (les trois corbeilles du canon bouddhique).
La construction de temples et la sculpture de buddhas se perpétuent toujours dans la Birmanie actuelle.