les châteaux royaux de séoul
Jeudi 23 novembre 2016 : Les châteaux royaux de Séoul, conférence par Francis Macouin, ancien Conservateur au musée national des arts asiatiques – Guimet, Membre de l’équipe de recherches du CNRS Chine-Corée-Japon.
En 1392, le général Yi Sônggye instaure une nouvelle dynastie dans la péninsule coréenne. Plus précisément, selon les conceptions extrême-orientales, il fonde un nouveau pays, appelé Joseon.
Selon l’usage, à nouveau royaume, nouvelle capitale, et le site de la Séoul actuelle est choisi. Elle conserve encore cinq châteaux royaux, préservés en partie et en partie reconstruits.
Alors que le royaume de Goryô avait fait du bouddhisme la religion officielle, le royaume de Joseon choisit le néoconfucianisme comme idéologie de base. Donc, dès le début du royaume, on s’appuie intellectuellement sur les conceptions chinoises dont la culture, l’écriture, la langue écrite et la littérature servent de fondement à la culture du nouveau pays. Dans cette conception du monde tout est lié : la théorie des cinq éléments établit des corrélations entre la direction, la saison, la couleur, les saveurs, les notes de musique, les viscères, etc.
La construction d’un bâtiment n’est pas anodine : sa présence, sa forme, sa hauteur pouvaient entraîner des conséquences, bonnes ou mauvaises, variées. Un vecteur de cette action est l’espèce de fluide qui parcourt toute la terre selon les conceptions de la géomancie. Le fluide qî est éparpillé par le vent et retenu par l’eau d’où le nom de feng shui en chinois ou pungsu en coréen (vent et eau). Il s’écoule selon des lignes de force, des sortes de canaux appelés « veines de dragon », en gros les chaînes de montagnes, et se concentre en des zones particulières appelées « salles lumineuses » se trouvant au pied d’une montagne qui protège le site. Les bâtiments, en particulier les résidences des humains, étaient installés dans le myeongdang명당, là où s’accumule le qî qui permettra d’apporter la prospérité, la santé et la longue vie aux habitants. Il était donc primordial qu’un palais royal fût installé dans un site particulièrement favorable et le site du palais Gyeongbok se remarque par la montagne attenante à l’arrière.
Le site de la capitale, Han’yang est encerclé de colline et de monts sur lesquels courent des fortifications longues de 17 km. Les palais sont construits à l’intérieur de cette première enceinte, eux-mêmes entourés d’un mur d’enceinte. Le palais principal, Gyeongbokgung (Grand bonheur), est situé au nord et au pied du mont Bugak ; les bâtiments font face au sud, ce qui est normal dans l’architecture coréenne. Le château est accompagné de deux installations cultuelles indispensables : à l’est, le temple des ancêtres royaux (Jongmyo) et, à l’ouest, le temple des esprits de la terre et des céréales (Sajikdan). Ce château, construit par le roi Taejo en 1395, est installé à l’intérieur d’une enceinte approximativement rectangulaire de 40 hectares et se compose de bâtiments associés à des éléments secondaires formant des espaces clos, souvent emmurés, îlots qui s’imbriquent dans les espaces déjà définis. Ce palais, détruit une première fois lors de l’invasion japonaise en 1592, puis reconstruit en 1869, de nouveau presqu’entièrement détruit en 1915 sous l’occupation japonaise, est restauré depuis 1989.
Un château royal combine deux fonctions principales : d’une part, le logement du roi et de la reine, du harem et de la domesticité, d’autre part, une fonction administrative. Les bâtiments reliés à celle-ci sont regroupés dans la partie antérieure du château. A l’arrière est aménagé un grand parc.
La partie la plus solennelle sert à la représentation du pouvoir et la salle du trône occupe la place prépondérante. Elle est complétée à l’arrière par la demeure du roi et de la reine. Le plan est celui des palais impériaux chinois où les bâtiments prennent place sur un axe central avec un souci de symétrie évident.
On pénètre dans le palais par la porte d’enceinte Gwanghwamun donnant sur la voie principale menant à la porte sud de la ville et le long de laquelle s’alignaient les ministères.
On franchit la porte intérieure Heungnyemun, puis un pont de pierre enjambant un cours d’eau, puis la porte Geunjeongmun donnant sur la grande cour pavée entourant la salle du trône. Cette salle prend place un peu au fond d’une esplanade délimitée sur tous les côtés par une galerie en portique soutenu par une double rangée de colonnes. La salle du trône Geunjeongjeon est placée sur une double terrasse, entourée chacune d’une balustrade de marbre sculptée, et est couverte d’un imposant double toit. On sent ici l’influence de la Cité Interdite de Beijing mais avec la réserve que s’impose un état tributaire : deux terrasses au lieu de trois, double toit et non triple. L’aspect polychrome des palais est à l’image des anciennes constructions coréenne : colonnes vermillon, poutres horizontales plutôt vertes avec des motifs décoratifs uniquement à l’extrémité de ces poutres. A l’arrière de la salle du trône la salle des audiences privées Sajeongjeon se situe à l’intérieur d’une autre cour. En progressant vers le nord, on entre dans les habitations du roi, le Gangnyeongjeon et enfin dans celles de la reine, le Gyotaejeon. Un des rares bâtiments authentiquement du 19ème s. est le Jagyeongjeon, résidence construite plus au nord pour une reine mère.
Les différents corps du château étaient entourés de murs, combinant la pierre et la brique, celle-ci utilisée pour former des éléments décoratifs.
Dans le grand parc de loisir situé au nord, le pavillon Gyeonghoeru a été placé dans un étang. Il a été construit en considération des éléments symboliques, ainsi les 24 pilastres de pierre de la colonnade basse extérieure correspondent chacun à une des 24 divisions de l’année selon le calendrier chinois.
Un grand paravent datant des années 1820-1830, représentant les palais Changdeokgung (palais de la prospérité) et Changgyeonggung vus à vol d’oiseau permet d’imaginer ce qu’étaient réellement ces châteaux royaux : des ensembles labyrinthiques. On voit comment chaque bâtiment principal, associé à des dépendances, constitue un enclos, parfois lui-même subdivisé. Ces enclos sont juxtaposés sans ordre apparent en dehors de l’axe qui sublime la majesté royale qui, lui, suit les règles chinoises. Ce compartimentage de l’espace, constitué d’ensembles qui s’imbriquent les uns dans les autres forme une constante de l’architecture coréenne. Une autre caractéristique est fournie par le Nakseonjae, pavillon occupé jusque dans les années 1960 : le pavillon est isolé au milieu de la cour et la circulation se fait par l’extérieur. Les cours sont des espaces étroitement associés aux pièces elles-mêmes.
A l’arrière du palais Changdeokgung se trouve le parc de loisirs Huwon, appelé depuis le 20ème s. Biwon (le jardin secret). Il constitue une vaste zone où la nature est plus ou moins aménagée. Les constructions sont plus présentes près de la zone d’habitation, le paysage plus organisé. Dans la partie basse, un étang carré (pour la terre) avec une île ronde (pour le ciel) est complété de pavillons de plaisance. Sur le côté, le bâtiment Yonghwa tang servait aux examens et, à flanc de colline, le grand pavillon à étage, le Gyujanggak, abritait la librairie royale. Plus à l’arrière, vers la montagne, la présence humaine est moins visible. On se contente d’installer, de lieu en lieu, de petits pavillons, kiosques, gloriettes, d’aménager discrètement un ruisseau pour créer une cascatelle, ou une zone pour évoquer la campagne avec une rizière. Ces pavillons sont souvent agrémentés de plaques portant des poésies en chinois.
Autre aspect important, les constructions coréennes n’ont normalement pas d’étage. Dans les palais, seules les portes les plus importantes sont aménagées pour posséder un étage servant de guet, ceci provient des conceptions géomantiques (théorie du yin et du yang).
Le Sujeong jon du palais Gyeongbokgung qui fut un bâtiment administratif illustre bien l’architecture des édifices des châteaux. On distingue aisément le soubassement constitué d’une terrasse, un toit très lourd aux proportions considérables, entre les deux, un espace hypostyle. Il n’a pas de murs porteurs mais un ensemble de colonnes qui supportent la toiture. Entre les colonnes un simple cloisonnement ou un ensemble de vantaux constitués d’un châssis muni d’un treillis et de papier qui s’ouvrent ou se relèvent en été. L’intérieur est un espace qu’on délimite en fonction des besoins du moment par l’installation de panneaux coulissants ou de vantaux mobiles.
La salle du trône Geunjeongjeon du palais Changdeokgung exprime parfaitement le système de poutraison : entre les poutres s’intercale une combinaison de consoles formant comme des pyramides inversées. A l’origine, ce système servait à soutenir le débord du toit pour éloigner l’eau de la base des colonnes. Il s’est ensuite développé et complexifié pour devenir un marqueur du statut du bâtiment. Si, à l’extérieur, la salle semble avoir un étage, il n’en est rien, et la salle hypostyle est supportée par des colonnes d’une hauteur de 13,80 mètres pour un diamètre d’environ 54 cm. La charpente est construite par empilement avec une absence de pièces obliques (arbalétrier).
Un autre aspect est fourni par un bâtiment construit pour une reine : la poutre faîtière est double car il fallait obtenir un nombre de poutres pair parce que le pair va avec le yin qui est lié à la femme alors que le yang est en relation avec l’homme et l’impair. Semblablement les piliers sont carrés parce que la terre est carrée.
Enfin, les petites figurines de céramique ornent seulement les arêtes des toits qui ont une relation avec la fonction royale. A l’origine, elles étaient destinées à écarter les mauvais esprits mais elles ont été peu à peu « humanisées ».
Pour conclure, si l’architecture des châteaux royaux de la dynastie Joseon est inspirée de celle de la Cité Interdite, les architectes coréens ont su créer un style propre au pays.