Caricatures en Extrême-Orient

Mercredi 18 septembre 2024 : Caricatures en Extrême-Orient, conférence par Marie LAUREILLARD, maître de conférences HDR en études chinoises à l’université Lumière Lyon 2 et membre de l’Institut d’Asie orientale et du Centre d’étude de l’écriture et de l’image.

Marie Laureillard présente le livre qu’elle a coécrit Caricatures en Extrême-Orient : Origines, rencontres, métissages, avec Laurent Baridon, aux éditions Hemisphères.

La présentation générale de l’ouvrage associée à l’étude de caricatures asiatiques et de leurs réceptions démontre que cet art provient, non pas d’Europe, comme communément admis, mais d’Asie et plus particulièrement du Japon.

Caricature en Extrême-Orient Origines, rencontres, métissages dresse un panorama de l’archéologie du satirique en Asie Orientale jusqu’au monde contemporain, sur tout type de supports (cerf-volants, sceaux, cartes, dessins, estampes…), en faisant dialoguer les œuvres entre point de vue occidental et oriental et en interrogeant la perception de chacun, entre réception et analyse des caricatures.

Les caricatures, images satiriques, seraient nées au 12e siècle avec les peintures drolatiques d’animaux, et auraient été cultivées au sein des mangas/manhwas (terme inventé par Hokusai avec son œuvre La Manga et qui s’exporte jusqu’en Chine au 20e siècle pour donner naissance au terme chinois Manhwa), vocables recouvrant des notions de dessins de presses, de caricatures et de bandes dessinées.

La caricature se dérobe à une définition simple et concise : il faut avant tout rechercher une exagération dans le graphisme et un contenu satirique. Ces deux caractéristiques apparaissent-elles également en Extrême-Orient ou restent-elles propres au concept de la caricature occidentale ? Identifier la satire c’est comprendre l’iconographie, une notion culturelle, anthropologique et historique, qui nécessite de saisir instantanément les allusions et les références convoquées. La caricature est une image qui agit : on parle d’agentivité.

Guan Xiu (839-912), Les seize arhats (détails), estampages en feuilles, 120 x 52 cm, temple Shengyin à Hangzhou, 894.

Lutte de sumō entre lapins et grenouilles. Chōjū-giga, encre sur papier, hauteur 30 cm, détail du premier rouleau. 12ème-13ème siècles. ©Musée national de Tokyo.

La satire illustrée en Asie se trouve généralement associée au Japon et non à la Chine, un fait questionné et étudié à travers le prisme du confucianisme. Pour les Chinois du 20e siècle, la caricature représente une sorte de peinture qui a recours aux allégories, aux hyperboles, à la personnification, convoque l’humour et repose sur la satire. Néanmoins, l’histoire de la caricature en Chine remonte parfois jusqu’aux déformations physiques déjà visibles au Néolithique afin de faire coïncider cet art avec la temporalité locale, se différenciant de l’appréhension japonaise qui prend elle, son origine au 7e siècle, au temps des peintures burlesques d’animaux. Ce type de support perdure jusqu’à l’époque contemporaine dont le triptyque de Kawanabe Kyosai, La grande bataille des grenouilles, donne un aperçu.

Le premier axe de l’ouvrage, “Approches de la culture satiriques en Extrême-Orient”, traite de la signification des images, de l’emploi de jeux et de textes satiriques à travers deux exemples.

Le Choju-giga, emaki animalier japonais de la deuxième moitié du 12e siècle serait ainsi à l’origine de la culture satirique. Cette peinture burlesque est perçue comme une critique du gouvernement en place à travers des figures de lapins ou de grenouilles aux attitudes humaines et aux comportements comiques. Dans le cas de la peinture de mœurs coréenne, Kim Hongdo donne encore à voir des scènes de vie quotidienne interprétées comme une raillerie de la cour, une critique des inégalités de Chosŏn.

La démonstration illustre ainsi la nécessité pour le lecteur de posséder chacune des clefs d’analyse (facteurs culturels, historiques et anthropologiques) pour une signification et une- compréhension effective de ces caricatures.

“Rencontres et stéréotypes”, le deuxième chapitre du livre, s’arrête sur la mise en place des nouvelles manières de penser le monde et de voir l’autre (étrangers, pays ennemis) : de créer des stéréotypes par la satire durant le 19e et le 20e siècle.

Honda Kinkichirō, Candidates!, Marumaru Chinbun, 4 août 1877.

Kobokpuran (高腹弗安), Taehan minbo, 18 juillet 1909.

Pour beaucoup d’entre elles, les caricatures tirent alors le portrait des étrangers en les stigmatisant. Lors du Bunmei-kaika, période d’ouverture sur l’extérieur, le Japon rompt ainsi avec les modes de pensées confucianistes et s’inspire des modes de vie occidentaux, quitte à s’en moquer. Une caricature de mœurs s’installe, raillant les Occidentaux ou, à l’inverse, offrant une satire du peuple japonais que l’on peut par exemple observer dans le travail de Georges Bigot.

Ces échanges Occidentaux-Orientaux engendrent de multiples images satiriques qui, pour la plupart, créent de nombreux stéréotypes aujourd’hui encore ancrés dans les mœurs.

“Actualités et conflictualités” traite, en troisième volet, de cette continuité et illustre notamment l’ouverture caractéristique de la Shanghai des années 1930 sur la culture internationale de l’image satirique à partir de la revue de caricatures Modern Sketch où l’influence de la presse occidentale qui circule alors transparaît avec évidence dans la mise en parallèle des conflits du 20e siècle.

Carte de la situation présente (時局圖), probablement publiée au Japon et reproduite dans le magazine américain Leslie’s Weekly en 1900.

Ah To 阿塗, The Situation in the Far East 2022 (Shijutu 時局圖).

CoCo (Huang Yuan-nan 黄永楠) (1953- ), Album comique de CoCo (CoCo 漫畫集) Taipei, Éditions The Eighties, 1981.

Mais si la presse chinoise condamne les attentats de 2015, elle ne publie aucune caricature de Charlie Hebdo. S’interdisant de critiquer le pouvoir en place, la caricature se tourne vers les étrangers : en Chine, on dénonce la liberté d’expression à travers la satire et la caricature.

Le dernier développement, consacré aux “Traits satiriques”, approfondi le sujet en s’appuyant sur divers exemples : des cartes géographiques satiriques produites en Chine et au Japon au début du 20e siècle qui interrogent sur la frontière entre l’art, la presse et la propagande, au caricaturiste CoCo (Huang Yuan-nan) qui participe à l’essor de la démocratie à Taiwan et dont la production picturale s’inspire de la presse pour convoquer un langage universel.

Des analogies avec les formes européennes de la caricature se dévoilent ainsi à travers des décalages, des allusions détournées, des exagérations des traits physiques ou moraux, des métaphores, l’amplification, la parodie, l’animalisation, la réification, le renversement des hiérarchies et des valeurs, ou encore la transgression des codes figuratifs habituels… Ces procédés, quelle que soit l’époque, se recoupent et rejoignent ceux connus en Occident.

A l’aune d’une crise de la caricature aujourd’hui déplacée vers les réseaux sociaux, ces analyses contribuent ainsi à la construction d’une histoire mondiale de la satire visuelle, pour une histoire de l’art connectée entre les différents pays, un angle de vue plus large et déseuropéanisé.

 

Le genre de la caricature est lié à la liberté d’expression : une peinture ordinaire murmure alors qu’une caricature crie.

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