Médecines d’Asie, l’art de l’équilibre

Visite commentée de l’exposition au MNNA-Guimet par Katia Thomas, Conférencière, Spécialiste des civilisations de l’Inde et du monde himalayen.

Depuis plus d’une dizaine d’années, les médecines asiatiques sont à la mode en Occident. Appelées « médecines alternatives » ou « médecines douces », elles ne sont que trop rarement abordées de manière globale. L’exposition Médecines d’Asie, l’art de l’équilibre du Musée Guimet offre au grand public la possibilité d’une première approche des trois grandes traditions médicinales de la Chine, de l’Inde et du Tibet. Ainsi, plus de 300 œuvres d’art – peintures, objets d’art, sculptures, ou encore vêtements – témoignent de la manière dont les artistes en Asie se sont emparés du thème de la médecine au fil des siècles.

La médecine chinoise

 L’exposition commence par une présentation des grands principes de la médecine chinoise. Un document japonais représentant une carte du corps humain illustre les différents méridiens, appelés « canaux » dans les textes anciens chinois. Ces derniers soulignent l’importance de ces flux ; en effet, dans la médecine orientale, il est fondamental de réussir à maintenir son corps en équilibre, le manque d’harmonie faisant effectivement apparaître la maladie. En Asie, la maladie est considérée comme faisant partie de la réalité biologique du corps humain, résultant des perturbations liées aux fluctuations de l’énergie Qi dans les canaux.

Parmi les personnages importants de l’histoire de la médecine chinoise se trouve l’Empereur Jaune, considéré comme l’auteur du premier grand traité de médecine du monde chinois. Historiquement, cet ouvrage est le résultat de textes compilés autour du 2ème ou du 1er siècle avant notre ère. La vision de la médecine, dès ses débuts, n’est pas seulement «scientifique» ; en effet, on ne parle pas que de la réalité biologique du corps. Le monde des esprits ou le rapport avec les ancêtres – en somme, avec le monde invisible – expliqueraient en partie les maladies.
Un autre personnage important en Chine est Shennong. Figure elle aussi mythologique, il aurait goûté plus de 70 plantes en une journée, et les aurait ensuite classifiées dans un ouvrage. On lui attribue un traité de phytothérapie  écrit sous les Han orientaux (25-220) et certaines de ces plantes sont encore utilisées dans la pharmacopée chinoise.
Pour compléter cette idée de circulation des flux dans le corps, une peinture représente une carte du paysage intérieur décrivant le corps humain selon l’alchimie taoïste par le biais de paysages, dans le goût des lettrés. En effet, dans la pensée chinoise, l’approche de la médecine est indissociable du rapport avec la nature, avec les changements de saisons, les constellations, etc. A titre d’exemple, le yin et le yang sont la représentation de deux versants d’une même vallée, l’un étant situé dans l’ombre, et l’autre, exposé au soleil.

Schéma des méridiens du corps humain. Japon. 19ème s. Encre et couleurs sur papier.

L’empereur jaune (Huangdi Xuanyuanshi). Chine. Dynastie Qing. 17ème s. Porcelaine.

Neijing tu (carte du paysage intérieur) décrivant le corps humain selon l’alchimie taoïste. Chine. Taiwan. 19ème -20ème s. Encre sur papier.

Sun Simiao, médeci et alchimiste taoïste. Chine. Province du Hunan. Dynastie Qing. 19ème s. Bois doré et peint.

Dès le début de sa conception, l’objectif de la médecine chinoise est d’accéder à l’immortalité. Il existe aujourd’hui un rapport différent à ces médecines, dont l’objectif est le bien-être et la santé personnels. À l’origine pourtant, il est avant tout question de dépasser notre condition humaine mortelle par le biais de ces médecines. Ce concept est également très présent dans la civilisation indienne, où le terme d’ayurveda, qui signifie « la science de la pleine vie », implique cette recherche de longévité.

Sous la dynastie Tang (618-907), le pouvoir central a commencé d’organiser des lieux de formations pour les médecins, qui deviennent des fonctionnaires de l’État, placés sous l’égide de l’empereur. Apparaissent également les spécialisations (remèdes, moxibustion ou encore acuponcture).

La médecine tibétaine

Essentiellement inspirée par la médecine indienne, la médecine tibétaine intègre également des apports chinois ainsi que des traditions des mondes byzantin et perse. Médecine assez méconnue, elle s’est développée dans un second temps par rapport à la Chine et à l’Inde.
Les textes tibétains racontent que l’empereur le plus important dans l’histoire du Tibet, Yuthog Yonten Gonpo (7ème  siècle) aurait invité à sa cour un médecin chinois, un médecin indien et un certain Gallenos (probablement en référence à Gallien) ; ce récit rend compte de ce mélange de traditions intégrées à la médecine tibétaine.
L’aspect religieux de la médecine tibétaine est illustré par la présentation de Guru Rinpoché, considéré en contexte tibétain comme un second Bouddha, venu au Tibet pour diffuser les enseignements bouddhistes. Il aurait caché des textes qui, en attendant que l’humanité soit prête à les comprendre, ont été confiés au 12ème siècle à  Yuthog Yonten Gonpo Le Jeune. Ce personnage aurait compilé plusieurs grandes notions médicales sous la forme d’un grand traité de médecine divisé en quatre parties. II est représenté sur une détrempe sur toile avec pour attributs, à gauche, un livre, symbole de connaissance, et une épée, qui tranche l’ignorance et, à droite, se trouve le vase de liqueur médicinale flanqué d’un vajra, symbole de pureté et d’indestructibilité.

Yuthog Yonten Gompo. Tibet. Fin du 19ème s. Détrempe sur toile.

Padmasambhava et les huit Bouddhas de médecine – Orgyen Menla. Provenance exacte inconnue. 18ème s. Bronze.

Purusha. Népal. 1806. Détrempe sur toile.

Il est intéressant de rappeler que, d’un point de vue historique, on ne connait pas l’impact de cette médecine savante sur les populations locales. Ces dernières vont, comme en Chine, davantage aller chercher des réponses dans le domaine du rituel ou de la religion (récitation de prières, mantras, offrandes, pèlerinages, etc.) face à la maladie.
Une peinture provenant du Népal figure Purusha, matérialisant le lien entre le microcosme du corps humain et le macrocosme de l’univers. Il illustre, au-delà des aspects mythologiques, les différents corps énergétiques, appelés les chakra (« ronds » en sanskrit) qui sont des sortes de petits moteurs énergétiques. Cette œuvre, qui est un support visuel, illustre l’objectif de faire progressivement remonter l’énergie d’un chakra à un autre. Elle permet également de comprendre que l’idée du corps physique renfermant un flux énergétique est commune à l’ensemble du continent asiatique.

La médecine indienne

 Les Ayurveda sont des textes qui remontent aux 1er – 2ème siècles de notre ère. Le plus important de ces textes, qui résume les idées principales, date du 8ème siècle et a été traduit en tibétain. Dès le début, des divinités ont été associées aux trois humeurs principales du corps humain dans l’objectif d’en garantir l’équilibre, mais également d’atteindre l’immortalité. Ainsi, le dieu Vayu est associé au vent, à l’air, et donc à l’idée de mouvement et au système nerveux. Varuna est associé à l’eau et à la bonne circulation de tous les fluides corporels. Agni, quant à lui, est le dieu du feu, et permet de réguler le système digestif.
Le mythe du barattage de la mer de lait raconte que les dieux et les démons, les asura et les deva, se disputent pour obtenir l’immortalité. Vishnu prend alors la forme d’une tortue pour servir d’appui à l’axe du monde. Suite au barattage de la mer de lait, l’élixir d’immortalité sort d’un pot tenu par Dhanvantari qui deviendra le dieu des médecins en contexte hindou. De même, la vache qui veille sur l’océan fait écho à l’importance, plus tard, du beurre Ghee, qui servira au massage ayurvédique et dans lequel va être infusée toute un ensemble de plantes.

Vayu. Inde. Tamil Nadu. Shrirangam. 18ème s. Bois de char.

Agni. Inde. Tamil Nadu. Kumbakonam. 17ème-18ème s. Bois de char.

Les sept chakras du corps subtil. Inde. État du Penjab. Fin 19ème s. Encre et couleur sur papier.

Yaoshi rulai (Baishajyaguru, «le Maître des remèdes»). Détail. Chine. Gansu. Dunhuang. Dynastie Tang. Seconde moitié du 9ème s. Couleurs sur soie.

Iconographie des divinités liées aux maladies et à la guérison

Dans les médecines traditionnelles asiatiques, religion et médecine ne sont pas séparées. Lorsqu’on est malade, faire des prières et des rituels peut être aussi efficace que de consommer une plante par exemple.
Parmi les divinités liées au domaine de la médecine, l’une des plus importantes est le Bouddha de Médecine, Bhaishajyaguru, dont l’exposition présente une statue japonaise. La traduction littérale de son nom en sanskrit est «Maître des remèdes». Son attribut est un récipient, symbole des remèdes dont il transmet la connaissance. Son culte trouverait son origine en Asie centrale, avant de gagner en importance au Japon et au Tibet. Le traité tibétain de médecine est l’enseignement de ce Bouddha. Il prend la forme d’un dialogue entre deux de ses émanations qui posent des questions et y répondent. Partout où le bouddhisme est présent en Asie, il est la religion qui présente le Bouddha comme le médecin par excellence. En effet, son enseignement doit permettre à chacun de sortir de la souffrance après qu’il ait lui-même fait face à un malade lors de l’une de ses Quatre Sorties.

Baishajyaguru, «le Maître des remèdes». Chine du Nord. Dynastie Qing. 18ème-19ème s. Laiton doré.

Yakushi-nyorai (Baishajyaguru, «le Maître des remèdes»). Détail. Japon. 18ème-19ème s. Bois laqué, doré et peint.

Portrait du roi Jayavarman VII. Cambodge. Angkor. Ta Prohm. Fin 12ème s.-début 13ème s. Grès.

Par ailleurs, il existe peu d’exemples connus en Asie d’un souverain qui aurait organisé des hôpitaux de manière étatique. C’est pourtant le cas de Jayavarman VII qui, à la fin du 12ème  siècle et au début du 13ème  siècle, met en place un système d’hôpitaux dont il ne reste, au Cambodge, que les parties construites en pierre, petites tours sanctuaire faisant office de chapelles. Tous les communs, construits en bois, ont aujourd’hui disparu.

 Les méthodes de soin et de diagnostic

Cette section comprend des représentations de médecins ainsi qu’une œuvre exceptionnelle, un rouleau de faciomancie illustré de différents visages. Il témoigne de la prédiction par le teint du patient comme diagnostic. Le médecin observe la répartition des éléments et des formes du visage, ainsi que des postures. Ensuite intervient la consultation du pouls. Dans certains contextes, notamment tibétain et indien, l’analyse des urines (odeur, couleur) fait également partie de ce diagnostic.

Acupuncture et moxibustion

Une fois le diagnostic posé, il existe différents moyens et outils pour traiter la maladie, tel que l’acupuncture. Cette dernière consiste à stimuler douze points sur les canaux, représentant les douze organes principaux, et dans lesquels de minuscules aiguilles vont être enfoncées. Au 17ème  siècle, pour réussir les examens permettant d’être un médecin spécialisé dans la pratique de l’acupuncture, l’étudiant devait s’exercer sur des mannequins recouverts de cire. Des récipients remplis d’eau étaient placés sous la cire ; si l’étudiant vise le bon point, il fait couler de l’eau. Si l’eau ne sort pas, c’est un échec.
La moxibustion, quant à elle, permet de stimuler les points par la chaleur, à l’aide de feuilles d’armoise séchées et enroulées. Les rouleaux, appelés moxas, étaient autrefois placés sur le point jusqu’à brûler la peau, sur laquelle sont ensuite appliqués des onguents. Aujourd’hui, on chauffe les points à l’aide de petites pastilles comprenant une petite tige.

Traité de faciomancie. Détail. Chine. Province du Gansu. Dunhuang. Époque des Cinq Dynasties, vers 950. Encre sur papier.

Mannequin d’acupuncture. Chine. Dynastie Qing. 18ème s. Papier, carton, laqué et peint.

Docteur japonais prenant le pouls d’une patiente. Japon. Seconde moitié du 19ème s. Tirage moderne d’après un original à l’albumine sur papier.

La pharmacopée

La pharmacopée asiatique est composée de nombreuses plantes, mais aussi, pour la médecine chinoise en particulier, d’un certain nombre de substances animales. La corne de rhinocéros, supposée nécessaire au renforcement de la virilité masculine, figure parmi les plus connues. Dans chaque médecine traditionnelle, une plante particulière va servir de panacée, car porteuse de nombreux bienfaits ; il s’agit du curcuma en Inde ou encore du ginseng en Extrême-Orient. Le champignon de longévité (lingshi ou reishi, Ganoderma lucidum), excellent antioxydant, il est le plus souvent consommé sous forme de poudre. Motif de bon augure, il est représenté sous différentes formes, dont un sceptre en jade. Cadeau fait entre lettrés, il épouse la forme même du champignon.

Massage ayurvédique

Avant de faire l’objet d’une cure ayurvédique, le patient ingère des plantes qui déclenchent des diarrhées et des vomissements, dans l’objectif de se purger. Pendant le massage, qui est réalisé de manière vigoureuse, la personne doit se retenir de vomir et d’aller aux toilettes en se concentrant sur l’idée que la source du mal se concentre dans l’estomac, d’où l’idée de purge.

Yoga et méditation

En présentant un espace dédié à la méditation et au yoga, l’exposition enveloppe également la notion de bien-être mental. Cependant, les respirations du yoga ou la pratique de méditation n’ont pas pour origine cette recherche de bien-être personnel. Cette dernière s’est développée en Occident et de manière contemporaine. L’objectif premier de ces pratiques est, encore une fois, d’atteindre l’immortalité, cheminer vers moksha, la voie de la libération en Inde.

Godet à eau pour humecter l’encre, en forme de deux lingzhi. Chine. Dynastie Qing. 18ème s. Calcédoine, cornaline.

Postures de yoga. Détail. Inde. Andhra Pradesh ou Tamil Nadu. Vers 1820. Gouache sur papier.

Tambour janggu. Corée. Vers 1974. Bois peint, membrane organique, textile.

Chamanisme et exorcisme

 En Asie, il existe une croyance selon laquelle la maladie vient parfois de l’extérieur, causée par un ancêtre ou un esprit mécontent. Il y a alors deux types de rapport avec ces ancêtres esprits : le contexte chamanique et le contexte de la possession.
En Corée, les chamanes, qui sont souvent des femmes, utilisent les battements d’un tambour pour entrer en transe et rythmer leurs mouvements. Si une personne est malade, cela signifierait qu’elle est à l’origine d’une action néfaste envers les esprits de la nature, qui, en rendant la personne malade, ont emmené un bout de son énergie à l’extérieur de son corps dans leur monde. Il est alors nécessaire de consulter un chaman, qui va voyager dans cette dimension pour récupérer ce bout volé. Il raconte ensuite ce qu’il a vu dans le monde des esprits pour expliquer les causes de la maladie.

Masque Mahakola Sanni Yaka. Sri Lanka. 19ème s. Bois peint, cheveux.

Chemise talismanique. Inde du Nord. Période des Sultanats. 15ème-16ème s. Toile de coton peinte au calame, or.

Au Sri Lanka, une cérémonie traditionnelle liée à l’exorcisme connait aujourd’hui un certain renouveau. Elle consiste à placer le masque de Mahakola, maître et instigateur des maladies, auprès du patient souffrant. En effet, au Sri Lanka, 18 démons seraient à l’origine de maladies différentes. Le roi de ces démons est représenté avec des dents acérées, et portant 2 corps d’êtres humains entre ses mains, alors qu’il est déjà en train d’en digérer un autre. Le côté très théâtral de l’objet participe pleinement de l’efficacité du rituel. Ses yeux exorbités rappellent que le démon rentrerait dans le corps par le regard. Pendant toute la nuit, des masques représentant les 18 démons vont défiler devant le patient ; s’il réagit face à l’un des masques, le démon responsable de sa maladie sera identifié. S’ensuit plusieurs danses, pour dialoguer avec le démon, se moquer de lui et enfin le combattre et ainsi mettre fin à la maladie de la personne concernée.

 Les vêtements protecteurs

Montrée au public pour la première fois, une chemise talismanique d’Inde du Nord, portée à même la peau, est ornée des noms d’Allah et de sourates du Coran calligraphiés afin de protéger des maladies et de la mort.

Orient et Occident, le dialogue des contraires

Enfin, plusieurs ouvrages illustrent comment les premiers Occidentaux se sont intéressés aux techniques traditionnelles asiatiques. A l’inverse, un rouleau japonais de 1942 témoigne de la manière dont les Asiatiques se sont également montrés curieux à l’égard de la médecine occidentale. Il représente l’observation des organes du corps d’un supplicié ; cette démarche est particulièrement présente dans la médecine occidentale, mais ce n’est pas le cas dans la médecine ancienne asiatique. Il s’agit là de la rencontre

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