Six siècles de peintures chinoises
Mercredi 25 février 2009
Compte rendu de la visite-conférence d’Eric Lefebvre, Conservateur au musée Cernuschi sur l’exposition actuelle : Six siècles de peintures chinoises, œuvres restaurées du musée Cernuschi.
Eric Lefebvre rappelle, en préambule, que si le fonds pictural du musée date de 1873 avec la collection d’œuvres achetées par Henri Cernuschi lors de son voyage en Asie, la renommée de la collection était plutôt due aux acquisitions et à de nombreux dons de peintures de la deuxième moitié du XX° siècle. Ces dernières années, cet ensemble s’est enrichi d’œuvres d’artistes majeurs des dynasties Ming et Qing grâce au soutien de la Société des Amis du Musée Cernuschi et du C.C.C. ainsi qu’à des dons.
Une campagne de restauration couvrant les quinze dernières années permet de découvrir la collection d’Henri Cernuschi, témoignage unique sur le regard des premiers collectionneurs européens de peinture chinoise. Ces restaurations étaient indispensables car nombre des peintures étaient dans un état critique (remontage à l’occidentale qui fatigue le support, mauvaises conditions de stockage et dégât des eaux).
LES MING (1368-1644)
Le faucon anonyme (cat.1) perché, seul, sur un rocher, évoque la majesté et la puissance du souverain et participait d’un vaste dessein de politique culturelle. Cette œuvre date probablement du XIV° siècle. Cette peinture académique rappelle le style créé sous l’empereur Huizong (1101-1125).
La calligraphie (cat.2) de Zhang Bi, homme de lettre, poète et calligraphe (1425-1487), illustre le style de cursive folle inspiré du passé mais transcendé par le maître. Le rythme est marqué de grands traits de pinceau d’épaisseurs différentes et les grands caractères donnent à l’ensemble une monumentalité qui lui est propre.
Les Immortels (cat.3) de Zhang Lu (1490-1563) sont représentés dans un style enlevé, bien caractéristique de la manière de ce peintre alors que les Immortels (Cat.4) de Gao Gu peints en 1547 témoignent d’un style plus académique, très en vogue à la cour, inspiré des peintres de l’académie des Song du Sud.
39228-16 – MC 2007-5 – © Musée Cernuschi / Roger-Viollet
Wen Boren (1502-1575). « La réunion au pavillon des orchidées »
Encre et couleurs sur fond d’or (papier), format éventail
Paris, musée Cernuschi.
L’ensemble des éventails suivants n’aurait pu être acquis sans l’aide des Amis et du C.C.C.
Ceux de Wen Zhengming (1470-1559), figure majeure de la calligraphie et de la peinture de l’époque des Ming, illustrent la multiplicité des genres abordés par ce maître de l’école de Wu. L’éventail calligraphie (cat.7) témoigne de la virtuosité contenue qui caractérise l’écriture semi-cursive de la maturité alors que l’éventail la Falaise rouge (cat.10) allie la calligraphie en petite régulière à un paysage traité avec minutie mais d’une grande simplicité, dans le goût antique.
L’éventail Réunion au pavillon des orchidées (cat.12) illustre un poème de Wang Xizhi (303-361) qui évoque une joute poétique à l’occasion de la fête de la purification. Ce thème de la réunion littéraire connut un grand succès sous les Song mais Wen Zhengming renouvelle la composition en donnant plus d’espace au paysage. L’éventail Réunion au pavillon des orchidées (cat.13) de Wen Boren (1502-1575) neveu du précédent, qui contribua à la transmission du style de son oncle, bien qu’inspiré de l’œuvre de ce dernier, montre un rendu plus pittoresque et une description plus détaillée des personnages.
L’éventail Orchidée (cat.14) de Chen Yuansu (début du XVII° siècle) illustre un genre qui fut la spécialité de ce peintre et calligraphe. De l’avis de ses contemporains, les orchidées de Chen Yuansu alliaient à l’élégance de Wen Zhengming une force qui lui était personnelle.
L’éventail Paysage (cat.15) de Dong Qichang (1555-1636), grand admirateur des maîtres du passé, montre une synthèse de différents styles (Juran, Mi Fu) mais également une grande maîtrise de la couleur.
LES QING (1644-1911)
L’éventail Paysage (cat.19) de Yun Shouping (1633-1690) par sa facture dépouillée évoque le style sobre de certaines créations de la dynastie des Yuan.
39235-2 – MC 2008-4 – © Musée Cernuschi / Roger-Viollet
Qian Du (1763-1844).
« Paysage de neige » (détail), 1818
Encre sur papier
Paris, musée Cernuschi.
La grande peinture officielle L’Académie Hanlin (cat.23) est l’œuvre de six peintres, tous membres de l’académie impériale de peinture. Elle commémore le banquet donné par l’empereur Qianlong en 1744 à l’occasion de la rénovation de l’académie. Les différents moments de la cérémonie sont évoqués depuis le trajet à partir de la cité interdite, le banquet accompagné de musique, la représentation théâtrale, la joute poétique (les poèmes sont transcrits dans différentes parties de la composition), jusqu’à ce que l’empereur se retire dans un pavillon pour composer quatre poèmes, ce qui explique son absence. Cette œuvre constitue un témoignage majeur concernant cette institution qui fut détruite, en 1900, pendant la guerre des boxers.
Le rouleau vertical, Paysage de neige (cat.33) de Qian Du (1763-1844), propose une composition verticale audacieuse scandée par le massif de pin en bas et la silhouette des montagnes neigeuses dans le haut. Le poème prolonge la peinture en évoquant ce qui échappe au domaine pictural : la chaleur du poêle, l’odeur des légumes cuits, le fracas du vent dans les branches.
Solitaire sous les pins contemplant les vagues (cat.32), de Zhang Yin (1761-1829,) s’inspire de l’art des Song du Nord, mais, ici, le peintre a substitué l’amoncellement des vagues aux sommets montagneux. De plus, l’utilisation de la polychromie intensifie l’impression de sérénité du sommet où se tient le petit personnage en opposition à la fureur du fleuve.
La salle suivante montre un ensemble d’œuvres achetées par H. Cernuschi qui semble avoir eu plus d’intérêt pour les représentations de personnages.
Zhong Kui (cat.26) par Dong Xu (début XVIII° siècle). Ici, le chasseur de démons a un aspect plus truculent qu’effrayant, en opposition au Zhong Kui (cat. 27) de Li Shizhuo (1690-1770) à la figure menaçante. Ce dernier est réalisé en combinant l’usage du pinceau et des doigts.
Autre œuvre réalisée au doigt, Peinture des mille automnes (cat.25) de Gao Qipei (1672-1734) où sont représentés un couple de cervidés, des pins, une chauve-souris et des champignons d’immortalité. Cet ensemble de symboles synthétise visuellement des vœux (longévité, bonheur et émoluments) que l’on peut adresser à l’occasion d’un anniversaire. Le peintre superpose la couleur à des surfaces encrées et pour ce genre de peinture utilise un papier particulier, plus épais.
La nymphe de la rivière Luo (cat. 28) de Fu Wen (actif de 1744 à 1765) a, elle aussi, été réalisée au doigt mais en reprenant une composition classique et en lui insufflant une énergie nouvelle.
LA CHINE REPUBLICAINE (1911-1949)
La superbe calligraphie La Falaise rouge
(cat. 38) de Kang Youwei (1858-1927) se réfère aux modèles très anciens des stèles de l’époque des Han ou des Wei du Nord. L’écriture dérivée du style des scribes est traitée, ici, en chancellerie cursive qui lui donne force et souplesse. En comparaison, les Sentences parallèles (cat.39) de Yao Hua (1876-1930) sont traitées dans le style sigillaire rappelant les graphies figurant sur les vases de bronze antiques et les toutes premières inscriptions sur pierre.
La Pie (cat. 45) de Qi Baishi (1864-1957) qui a réalisé cette œuvre à un âge avancé, est particulièrement expressive. Cet oiseau a presque toujours une signification bénéfique (jeu d’homophonies) comme le souligne le poème. Les quatre peintures (cat. 43) Petits poussins, Poissons, Roseaux et Corbeau à collier furent réalisées dans la quatre-vingt-septième année de Qi Baishi et montrent l’originalité de ses compositions, l’énergie du pinceau ainsi qu’une pointe d’humour.
Après la Pluie (cat. 45) de Ding Yanyong (1902-1978) avec sa fleur de bananier rouge au centre de la composition rappelle que ce peintre, ayant étudié au Japon, était influencé par le « fauvisme » alors à la mode. Le traitement cocasse des grenouilles en bas de la feuille n’est pas sans évoquer Qi Baishi.
Oies sauvages (cat.50), Pruniers en fleurs (cat. 51) de Chen Zhifo (1896-1962), et Deux oiseaux verts sur un magnolia (cat. 52), Pivoines (cat.53.1) de Yu Fei’an (1889-1959) illustrent le retour à la tradition des peintures de fleurs et d’oiseaux chères à l’empereur Huizong des Song. Cependant, les artistes du XX° siècle traitent la couleur de manière plus moderne.
IMAGES DE L’OUEST DANS LA PEINTURE CHINOISE
L’offensive japonaise en 1937 provoqua un exode des artistes vers les provinces du Sud-ouest et ils allaient découvrir les populations non han de ces régions.
38780-4 – MC 08663 – © Musée Cernuschi / Roger-Viollet
Fu Baoshi (1904-1965). « Rêveur », vers 1940-1945
Encre et couleurs sur papier
Paris, musée Cernuschi.
Histoire du thé (cat. 86) de Wu Zuoren (1909-1997) retrace le voyage du thé depuis la Chine jusqu’aux confins des hauts-plateaux sur un rouleau horizontal. Cette narration picturale joue avec des groupes de personnages vêtus de couleurs vives et le blanc du papier qui évoque des espaces immenses en créant un effet de perspective.
Solitaire contemplant un paysage (cat. 54) ou Cabane au bord du lac (cat. 56) de Zhang Daqian (1899-1983) font référence aux maîtres du passé. Ce grand artiste, en exil à partir de 1949, fut un copiste remarquable (ainsi qu’un faussaire de génie) mais réinventa l’art du paysage de l’époque des Song. Lotus sous le vent (cat. 62), don de l’artiste en 1956, démontre une maîtrise du travail de l’encre et un contrôle du pinceau remarquables. Le contraste entre le noir des feuilles et la blancheur des fleurs crée un effet d’une grande luminosité.
Tempête (cat. 67) de Fu Baoshi (1904-1965) témoigne de son séjour dans le Sichuan par le caractère monumental des chaînes montagneuses. Le traitement de la pluie au moyen de longs jets d’eau projetés sur l’encre est une des innovations de l’artiste. Le Peintre à sa table de travail (cat. 71), bien qu’évoquant le peintre Shao Mi, pourrait être considéré comme un autoportrait déguisé : le visage du peintre qui exprime une certaine lassitude traduirait l’état d’esprit de Fu Baoshi.
LES ARTISTES CHINOIS ET PARIS
A partir des années 1920, de plus en plus d’étudiants chinois vinrent à Paris où ils acquirent les techniques occidentales qui devaient les influencer plus tard.
L’étude du nu est totalement étrangère à l’esprit chinois et les artistes vont transposer le sujet en le traitant avec des techniques chinoises. Ceux qui reviendront en Chine enseigner dans les académies y apporteront ce goût pour l’étude de modèles vivants.
Les Paysages (cat.81 et cat. 81.1) encadrant une Piéta (cat. p.223) de Lin Fengmian (1900-1991) traduisent par leur ambiance sombre les années de guerre.
Le Cheval (cat. 80) de Xu Beihong (1895-1953) reprend la tradition de la peinture de chevaux mais en lui insufflant une vigueur et un mouvement qui traduit une influence occidentale.
Un film, projeté dans la salle de conférences, est consacré au sauvetage d’une peinture endommagée et permet de prendre la mesure des travaux de restauration qui permettent de faire revivre une œuvre d’art.