Les portraits (chinzō) dans le Zen
Le Zen est un courant majeur de la pensée bouddhique au Japon. Bien qu’il vilipende les valeurs des textes – la transmission est hors les enseignements canoniques – et des œuvres d’art – les statues de Buddha ne sont que du bois de chauffage –, il a été on ne peut plus prolixe dans ce domaine. Les portraits et représentations de la partie supérieure corporelle de personnages accompagnés d’homélies ou de sermons (« paroles de la Loi ») en vers ou en prose, chinzō ou chinsō, ont été produits par des artistes eux-mêmes religieux en Chine, en Corée et surtout au Japon où ils sont conservés en grand nombre depuis l’époque de Kamakura (1185-1333). Sur le plan formel, le texte et l’image, l’homélie et le portrait sont considérés comme indissociables l’un de l’autre, ils créent un univers religieux d’un seul tenant, sans solution de continuité autour d’une œuvre pie. Leur rôle dans la communauté est celui d’un lien qui resserre tous ses membres autour de thèmes doctrinaux, de sujets de méditation, de transmissions de maître à disciple. Extraits du saint des saints des temples, ils sont exhibés au cours de rites et cérémonies comme signes visibles de l’enseignement vivant incarné dans un patriarche. Dans une école qui dénigre tout signe extérieur (sō) de religiosité, ils jouent le rôle de derniers « signes » (sō) de la réalisation de la Loi que représente la protubérance crânienne, ūṣṇīṣa, d’un patriarche (chin), qui est visible aux seuls croyants. Ils sont mis en circulation parmi les courants du Zen qui mettent l’accent sur le quiétisme de la méditation (Sōtō) ou sur l’activisme de la résolution de thèmes aporétiques (Rinzai), sur les activités pratiques dans les provinces ou sur les rites étatiques dans les centres urbains. Ces portraits jouent en conséquence des rôles différents et dénotent une pluralités de positions doctrinales, de pratiques religieuses et d’attitudes sociales que l’on s’efforcera de dégager.