Croyances et controverses autour des statues bouddhiques dans la Chine médiévale

 

Mercredi 26 avril 2017 : Croyances et controverses autour des statues bouddhiques dans la Chine médiévale, par Sylvie Hureau, Docteur de l’INALCO et maître de conférences pour le Bouddhisme chinois à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes. Elle travaille sur l’histoire des textes, des rites et des pratiques ainsi que les biographies.

Sylvie Hureau recommande la lecture de l’ouvrage Histoire du bouddhisme en Chine par Kenneth K.S. Ch’en, maintenant traduit en Français aux éditions des Belles Lettres.
Le culte des statues ou des images (les textes sont rarement précis car en Chinois le même caractère est utilisé pour les deux) du Buddha ou des boddhisattvas est probablement arrivé tardivement en Inde (1er-2e s de notre ère). En Chine, il semble que des représentations aient été faites dès son introduction vers le 1er s. et le bouddhisme a été, parfois, qualifié de religion des images.
Il existait bien des peintures ou des statues en Chine dans des contextes funéraires ou magiques avant l’arrivée du bouddhisme au 1er s. mais pas de statues de culte proprement dit. Quelques siècles après l’introduction de cette nouvelle religion, on s’aperçoit qu’il y a un nombre incalculable de représentations du Buddha historique, mais aussi des autres buddhas (les 27 buddhas du passé, ceux d’autres mondes comme Amitabha, etc.), des boddhisattvas et des 18 arhat (disciples de Sakyamuni) ou luohan en Chinois. Toutes ces représentations étaient l’objet de croyances et de cultes. Cela ne se fit pas sans quelques difficultés car, comme précédemment dit, les Chinois ne rendaient pas de culte à des statues. D’autre part, des critiques s’élevèrent contre l’utilisation de matériaux précieux (or, argent, bronze) pour l’élaboration de ces représentations.
Nous allons voir comment les bouddhistes s’y sont pris pour faire accepter ces représentations inconnues et étrangères dans tous les sens du terme. Les biographies de 14 moines bouddhistes chinois vivant entre le 3ème et le 5ème s. mentionnent soit qu’ils firent des statues ou des représentations, soit qu’ils exhumèrent des statues très anciennes enfouies longtemps auparavant (certaines auraient remonté au temps de l’empereur indien Açoka), soit qu’ils accomplirent des miracles, faisant venir des statues flottant sur la mer de Chine. Ces biographies véhiculent aussi des croyances et des histoires qui semblent basées sur des textes d’origine indienne. L’auteur des 14 biographies de moines a utilisé une rhétorique très subtile pour montrer comment ces croyances et ces idées indiennes s’accordaient parfaitement avec l’esprit chinois. Cette rhétorique convaincante devait permettre aux sceptiques d’accepter ces croyances et ces cultes bouddhiques rendus aux statues.
L’introduction du bouddhisme en Chine date de la seconde moitié du 1er s. de notre ère et est rapportée dans le Livre des Han postérieurs : l’empereur Mingdi (58-75) aurait rêvé d’un homme doré à la tête auréolée. Ses conseillers lui ayant dit qu’il s’agissait d’un dieu occidental nommé Buddha, Mingdi expédia des envoyés vers Tianzhu (Nord-ouest de l’Inde) pour en rapporter des enseignements. Ils reviennent trois ans plus tard avec deux moines étrangers et un texte rapportant les dogmes bouddhiques principaux présentés en 42 paragraphes. L’empereur fit construire un monastère à Luoyang (Temple du Cheval Blanc) où ce premier texte fut traduit. Une version plus tardive, datant du 5ème s., mentionne aussi que les émissaires auraient rapporté une statue dont l’empereur demanda d’effectuer des copies peintes sur les murs du palais et dans son tombeau (s’il est difficile de se prononcer sur la date à laquelle les premières statues du Buddha apparaissent en Chine, il semble que des représentations de Buddha aient été peintes dans des tombes vers le 3ème s.). Par ce récit, par d’autres écrits canoniques chinois et par les récits de pèlerins chinois qui s’étaient rendus en Inde, on sait qu’il existait tout un ensemble de légendes autour des statues. Certaines légendes peuvent cacher une vérité pseudo-historique car elles se font l’écho d’une mémoire collective ou individuelle.
Des récits indiens traduits au 5e s. racontent que la première statue du Buddha aurait été réalisé de son vivant : lorsque le Buddha s’absenta durant trois mois pour enseigner la Loi à sa mère au ciel des Trente-trois dieux, le roi Udayâna fut inconsolable et fit sculpter une statue de cinq pieds de haut en bois de santal. Apprenant cela, le roi Prasenajit fit faire une statue semblable en or. Ce récit ne traduit pas une réalité historique car on sait que les premières représentations du Buddha furent réalisées au 1er s. sous les Kushan dans la région du Gandhara, mais aurait été écrit beaucoup plus tard. Ces textes d’origine indienne traduits en Chinois étaient confirmés par les récits des pèlerins. Ainsi dans la Biographie du moine éminent Faxian, moine qui avait fait un pèlerinage en Inde et en Asie centrale au début du 5e s., il raconte que lors de l’absence du Buddha au ciel des Trente-trois dieux, le roi Prasenajit fit faire une statue en bois de santal qu’il fit placer à l’endroit où l’Eveillé s’asseyait. Lorsque le Buddha revint au monastère, la statue se leva pour l’accueillir. Le Buddha dit : « retourne t’asseoir, car après mon paranirvâna tu pourras servir de règle de la loi pour les quatre groupes d’adeptes ». La statue retourna s’asseoir et devint le modèle de toutes les autres statues. Un autre pèlerin célèbre, Xuanzang (602-664), dit avoir vu la statue et qu’elle émettait une lumière bien qu’en bois de santal. Il dit aussi que malgré de nombreux essais, personne n’avait pu la déplacer. Il aurait rapporté de son voyage une copie en bois de santal de cette statue originelle dont il fit faire d’autres reproductions.
Un autre texte indien traduit en chinois, le Sûtra sur l’océan des pratiques d’absorption de l’esprit nées de la contemplation du Buddha mentionne qu’en apprenant le retour imminent du Buddha, le roi Udayâna chargea la statue d’or sur le dos d’un éléphant pour aller à la rencontre du Bienheureux. La statue descendit d’elle-même du dos de l’éléphant, monta au ciel, émettant de la lumière, faisant tomber une pluie de fleurs depuis la plante de ses pieds et salua le Buddha. Celui-ci s’agenouilla devant la statue en joignant les paumes de ses mains, imité par cent mille buddhas de transformation, et lui dit qu’après son extinction il lui confierait ses disciples. A ce moment, les buddhas de transformation dirent d’une seule voix : « Si après la mort du Buddha, il y a des personnes qui fabriquent des statues, leur offrent des fleurs, brûlent des parfums devant elles et leur font des offrandes, ces personnes atteindront un état de concentration élevé né de la contemplation du Buddha ». On peut voir ainsi que les textes justifient la fonction des statues car elles sont un substitut corporel en l’absence du Buddha et les fidèles peuvent leur faire des offrandes comme s’ils étaient en présence du Bienheureux. En plus des offrandes, un rite est venu se greffer, une fois par an, le 8ème jour du 4ème mois lunaire, qui consiste en ablutions des statues qui figurent le Buddha enfant. Ce rite rappelle qu’après la naissance de Sakyamuni, les dieux auraient versé douze sortes d’essences parfumées sur le nouveau-né pour le laver ainsi que des fleurs.
Ce qu’il faut retenir de ces récits au sujet des premières statues, c’est qu’elles sont capables de s’animer, de parler et qu’elles sont réellement habitées par le Buddha. Ces statues peuvent faire des miracles, émettre de la lumière, prêcher, déchaîner des tempêtes, guérir, protéger, etc., tout comme l’Illuminé.
Le Sûtra sur la fabrication de statues du Buddha, traduit au 2ème s., décrit les bienfaits et mérites tirés de la fabrication des statues : « Renaître avec la vue inaltérable et belle allure, renaître dans une bonne condition d’existence, en homme ou en dieu, renaître dans une bonne famille, leur richesse sera inépuisable et incalculable, au terme, ils atteindront le nirvâna ».
Si on consulte les biographies des moine bouddhistes, les statues réalisent des prophéties comme dans la biographie de Senghong (début du 5ème s.) où une statue pleure pour annoncer des catastrophes. Dans cette même biographie, une statue de Guan yin parle au moine qui la fondit et le sauve de la mort.  Dans la biographie de Senghu (6ème s.), la statue a le pouvoir de guérir. Dans celle de Kang Senghui (3ème s.), la statue peut punir, dans celle de Kumarajiva (4ème s.), elle protège le royaume. Une statue peut être témoins des ordinands, elle est aussi un support de méditation. Dans une version du rêve de l’empereur Mingdi, un sûtra est cité « qu’elle soient fondue, sculptée, dessinée ou peinte, si ses marques corporelles sont correctement placées, alors elle sera capable de marcher et se mouvoir ainsi que d’émettre de la lumière ». On voit que dans ce texte, il est important que toutes les caractéristiques physiques du Buddha (l’ushnisha, l’urna, les marques de roues sur la plante des pieds, etc.) soient bien représentées pour qu’elle soit habitée. Les représentations peintes ont la même fonction et les mêmes pouvoir que les statues. Dans le Sûtra sur l’océan des pratiques d’absorption de l’esprit nées de la contemplation du Buddha, le Buddha imprime son image/son ombre sur la roche et celle-ci a le pouvoir de prêcher. Cette légende est confirmée par le moine Faxian qui dit avoir vu cette ombre.
Grâce à ces récits de prodiges et de miracles réalisés par des statues, aux récits des pèlerins chinois, à la biographie des moines, les bouddhistes chinois espéraient convaincre les non croyants.
L’auteur des biographies des moines termine son œuvre par un essai. Il commence par rappeler ce que disent les textes canoniques à propos des statues, il passe ensuite à l’histoire de l’introduction des statues en Chine, puis il vient à l’idée que la personne dont le cœur n’est pas sincère se coupe de la possibilité de toucher la figure noble du Buddha. Pour étayer son discours, il cite des extraits de classiques chinois ou d’œuvres littéraires pour démontrer que la culture chinoise est, elle aussi, pleine de ces prodiges ou miracles en réponse à des sentiments sincères, qu’il existait une résonnance entre les êtres et la nature, visible ou invisible. Il conclue son ouvrage par « Quand on rend un culte aux dieux comme si l’on était en leur présence, on communique avec la voie (le dao) des dieux. Quand on révère une statue du Buddha comme s’il s’agissait du Buddha en personne, son corps de Loi nous répond ». La première phrase est une citation légèrement adaptée des Entretiens de Confucius et la deuxième est la conclusion que l’auteur veut donner à ses biographies.

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