BOUDDHISME ESOTERIQUE

Conférence du 11 décembre 2013 : Bouddhisme ésotérique * par Gilles Béguin, Conservateur général honoraire du Patrimoine, ancien Directeur du musée Cernuschi.

A partir du VIIe siècle, dans certaines communautés bouddhiques, tant dans les grandes universités indiennes du Bihār à l’époque Pāla qu’au Kaśmīr, des pratiques nouvelles permettent de s’affranchir du cycle de la causalité universelle en une seule vie. Ces courants  nouveaux  constituent le Vajrayana (Véhicule de Diamant) ou bouddhisme ésotérique. Ils suscitent des textes sanskrits nouveaux, les tantra qui accordent une place privilégiée aux rituels magiques, permettant au delà de leur efficacité supposé immédiate, la progression de la totalité du monde phénoménal sur le chemin de la libération.

Cinq buddha, appelés tathāgata (« ceux qui sont ainsi ») ou jina «(« Vainqueurs »), situés hors du monde phénoménal, sont en méditation perpétuelle. Chacun correspond à une direction de l ‘espace, les quatre traditionnels plus le centre. Cette répartition  constituera le premier diagramme de rituel et de méditation (maṇḍala). Leur culte est attesté en Chine au VIIIe siècle, puis au Japon.

Dans le bouddhisme tantrique indo-tibétain, 84 « grands Accomplis » (Mahāsidha) sont à l’origine de cycles à la fois spéculatifs et  rituels en partie ésotériques personnifiés par des divinités complexes. L’iconographie de ces dieux de prédilection (iṣṭa devatā) les représente le plus souvent en union sexuelle avec leur double féminin.  Les deux instruments rituels fondamentaux du bouddhisme ésotérique, clochette et « foudre-diamant » (vajra), obéissent à la même bipolarité sexuelle.

Le culte du maître spirituel à l’égal d’une déité est une autre caractéristique  fondamentale. La filiation de maître à disciple remontant jusqu’à l’origine du rituel est rappelée avant chaque cérémonie. Ces « généalogies » seront exaltées par les divers ordres religieux.

Dès sa création, le bouddhisme ésotérique essaimera à travers toute l’Asie. Il convient ainsi de mentionner à Java le Borobudur où figurent les  tathāgata, et Candi Sewu , vaste maṇḍala de plan carré (IXe siècle) ; au Cambodge, sous le règne de Jayavarman VII (1181-1219), des statuettes d’iṣṭa devatā ; et en Chine les statues en marbre blanc découvertes à Xi’an, à l’emplacement de l’ancien Angusi (vers 760). Au Japon, à partir du  IXe siècle, la secte  Shingon, issue du Zhenyan chinois, exalte deux maṇḍala complémentaires, l’un de plan carré, représentant le Monde de diamant, l’univers étant conçu comme une manifestation de la sagesse parfaite de Vairocana (Dainichi Nyorai) ; l’autre de plan carré, représentant la Matrice de la Grande Compassion, l’univers étant la manifestation de la compassion de Vairocana.

Un panthéon religieux foisonnant et mouvant en fonction des traditions rassemble plusieurs milliers  de divinités. Beaucoup peuvent revêtir des formes paisibles et bienveillantes envers leurs dévots et des aspects farouches et courroucés pour lutter contre les forces démoniaques. Outre les buddha et les bodhisattva,  apparaît le culte de déesses, équivalents féminins des bodhisattva. Leur plus ancienne représentation est attestée dans la caverne n° 90 de Kānheri , au nord de Mumbaï, au VIIe siècle. Certaines d’entre elles sont des abstractions ou de textes personnifiés, telle Prajṅāpāramitā, « la Sagesse parfaite ».

Parmi les  divinités de prédilection (iṣṭa devatā), citons Saṃvara et Hevajra, tous deux aspects de Heruka.  Le cycle de Kālacakra quant à lui ne fut créé qu’au XIe siècle. Chaque particularité de leur iconographie complexe a trait à l’ Eveil et aux moyens de son obtention.

Comme la plupart des religions orientales, le bouddhisme incorpore à son panthéon les divinités des peuples convertis. Ainsi de nombreux dieux brahmaniques. Sept d’entre eux participent des huit gardiens de la religion (dharmapāla). Des légendes rapportent leur conversion parfois par des prêches mais le plus souvent par la force. Soumis, ces déités, tels Mahākāla, aspect courroucé de Śiva, ou la déesse Śrī Devī (dPal-ldan lha-mo), font serment de défendre avec zèle leur nouvelle foi.

L’usage de diagrammes, centrés et axés, tant pour les rituels que pour la méditation, est une autre grande caractéristique du bouddhisme ésotérique. Ainsi le terme sanskrit  maṇḍala signifie « disque », « cercle » et par dérivation »district », «  territoire ». Dans le Vajrayana, il désigne la projection en deux ou en trois dimensions du palais céleste d’une divinité, domaine de pure intellection, au delà du monde phénoménal. Les plus anciens paraissent avoir été éphémères, tels les diagrammes en poudres colorées encore en usage dans le monde tibétain. Des figurines représentant les diverses divinités peuplant les enceintes du diagramme ou la divinité en son centre, placée au cœur d’ une fleur de lotus, sont attestées dans l’Inde pāla, en Chine , au Japon et bien évidemment dans le monde himālayen. Ainsi des lotus orfévrés, d’une qualité insigne,  dévoilant épanouis  la déité honorée, ont été réalisée en Chine du Nord sous le règne de l’empereur Yongle ( r. 1403 -1424).

Parmi le nombre incommensurable de rituels, en partie ou en totalité ésotériques, les exorcistes sont les plus nombreux. L’officiant subjugue des forces négatives et les obligent à entrer dans une figurine grotesque, le liṅga, le plus souvent réalisé en pâte. Lors de la cérémonie, le simulacre sera perforé à l’aide d’une dague rituelle (kīla, Phurbu) et torturé à l’aide d’armes miniatures.

D’une aire culturelle à l’autre subsistent de grandes similitudes doctrinales qui voisinent  avec d’importantes particularités. Plus encore que les autres courants du bouddhisme, le bouddhisme  ésotérique s’appuiera sur le pouvoir politique au fur et à mesure de son expansion. Au Tibet, la tradition fait remonter le Tantrisme au magicien Padmasambhava (VIIIe siècle). Il serait cependant plus rationnel d’associer l’introduction des premiers tantra à la venue du religieux indien  Atiśa (982 ?–1054). L’histoire politique du Tibet  s’entremêle avec l’histoire des grands ordres religieux. Ainsi les Sa-kya-pa joueront un rôle prépondérant aux XIIIe et XIVe siècle. Les  bKa’-brgyud-pa leur succéderont  de manières diverses (Fin XIVe- première moitié XVIIe siècles). En 1642, le Ve Dalaï-lama, à la tête de l’ordre dGe-lugs-pa, fit l’unité du Tibet grâce à des troupes mongoles et instaura un régime  théocratique.

En Chine, le bouddhisme ésotérique posséda le statut de « religion officielle »  de 1260 à 1911. De nombreux empereurs, tant des raisons politiques que dévotionnelles,  s’investirent personnellement dans son expansion.

Au Japon, les deux sectes ésotériques Shingon et Tendaï reçurent le soutien actif des autorités officielles. Si le Shingon s’inscrit bien dans le prolongement du bouddhisme ésotérique indien, le Tendaï se réclamant du Sūtra du Lotus, présente un caractère plus composite, développant divers thèmes du Mahāyana mais proclamant la possibilité du salut pour tous en une seule existence.

 

  • Dans ce texte, pour éviter des contresens, les termes asiatiques ne sont pas accordés. De même, afin de  donner plus de cohérence au sujet, la terminologie sanskrite  a été privilégiée.

 

13.12.11.Maṇḍala des cinq tathāgata, pigments sur toile, Tibet, Xe siècle (?). (autrefois dans le commerce britannique)

13.12.11.Trailokyavijāya (?), marbre blanc, Chine, Anguosi, vers 760 (X’an, Musée provincial du Shaanxi)

13.12.11.Mahāvajrabhairava en union sexuelle avec sa parèdre, Tibet XVIe siecle (autrefois sur le marché américain)

Maṇḍala des cinq tathāgata, pigments sur toile, Tibet, Xe siècle (?). (autrefois dans le commerce.

Trailokyavijāya (?), marbre blanc, Chine, Anguosi, vers 760 (X’an, Musée provincial du Shaanxi).

Mahāvajrabhairava en union sexuelle avec sa parèdre, Tibet XVIe siecle (autrefois sur le marché

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