Pèlerinage Mongol au Wutaishan

Mercredi 14 janvier 2009

Compte rendu de la conférence superbement illustrée de photos « Pèlerinage mongol au Wutaishan», par Madame Isabelle Charleux, Chargée de Recherche au CNRS, Chargée de cours en Art et Archéologie à Paris IV.

Notre passionnante conférencière a d’abord rappelé que les Mongols ne s’étaient vraiment convertis au bouddhisme tibétain qu’à partir du XVI° s. Comme le Wutaishan ne se trouve qu’à une dizaine de jours de marche depuis la frontière mongole, il restera au long des siècles une destination de pèlerinage de prédilection. Les voyageurs occidentaux au XIX°s. parlent des flots de pèlerins mongols qui visitent ce lieu et font des offrandes de prix aux différents monastères.

Ancien pèlerinage chinois taoïste au début de notre ère, le mont Wutai a été récupéré par les bouddhistes sur la base de l’Avasamtaka sutra : Manjushri, le Boddhisattva de la sagesse, est censé résider sur une « claire montagne froide » au Nord-est, cela suffit pour identifier la montagne et justifier son autre nom. A partir du V° siècle le Wutaishan devint un pèlerinage bouddhique important fréquenté par les Chinois mais aussi des Japonais, des Tibétains ou des Coréens.


Vue de la terrasse centrale et de la vallée.
Photo Isabelle Charleux.

Le Wutaishan est la première des quatre grandes montagnes sacrées de Chine et son nom qui signifie littéralement « mont aux cinq terrasses » s’explique par la disposition de quatre pics aux orients et d’un pic central, autour de la vallée de Taihuai dominée par un stoupa blanc de 50m, de type tibétain, construit au XIII°s.

Au XIX°s. il y a 26 monastères tibétains-mongols pour 100 monastères chinois. Les monastères tibétains sont les plus centraux, les plus riches et les plus visibles.

Sous les Qing, ils bénéficièrent du patronage des empereurs mandchous et Kang Xi y vint accompagné de Zanabazar. Ces monastères sont dotés de dons impériaux : stèles gigantesques écrites en 4 langues, plaques de nom et argent.

Au XVIII°s., on compte 26 monastères Gelugpa pour plus de 1000 moines tibétains et mongols. L’apogée se situe entre 1750 et 1786 lorsque le grand lama Rol pa’i rdo rje passe tous les étés sur la montagne.

En 1953, il y a toujours 26 monastères tibetains-mongols pour 99 monastères chinois.

Il existe une carte trilingue, faite par un moine mongol en 1846, qui fournit, en plus du plan du site et de la situation des différents lieux de culte, tout un ensemble d’anecdotes et de légendes et montre la procession du sixième mois de l’année lunaire. Cette carte xylographiée et distribuée dans tout le monde sino-tibétain existe en une vingtaine de versions colorées de façons diverses.

La typologie des pèlerins au XIX-XX°s. comportait :


Moines pèlerins buvant l’eau d’une source sacrée
  • Les nobles mongols qui s’y rendaient régulièrement par tour, tous les six ans.
  • Les pèlerins occasionnels satisfaisant le vœu d’une vie ou ayant une requête particulière.
  • Les pèlerins réguliers et, parmi eux, les commerçants qui amenaient leurs troupeaux pour les vendre à la foire du sixième mois après les avoir engraissés sur les pâturages alentour.
  • Les pèlerins qui venaient enterrer les ossements de parents ou qui venaient mourir en terre sainte afin d’être sûrs de leur renaissance.

 

Ces pèlerinages mongols ont une grande importance commerciale car ils permettaient des échanges entre Chinois et Mongols. Ces derniers, plus visibles par leurs costumes bariolés, leur aspect et leurs démonstrations de foi, ont particulièrement frappés les premiers occidentaux à visiter le lieu. Les Mongols pouvaient tout trouver et acheter sur le marché. Des artisans chinois fabriquaient des icônes spécialement pour leur clientèle mongole qui les remportaient chez eux. La grande foire commerciale du sixième mois (foire aux chevaux et aux mules) était accompagnée de grandes festivités religieuses et de réjouissances.

Le Wutaishan est un lieu important d’enterrement et on y trouve des « forêts » de stoupas funéraires. Il fallut, à un certain moment, que les empereurs Qing légifèrent pour encadrer ces enterrements mongols.

Les Mongols pratiquent les grandes prosternations où on mesure son pèlerinage à la longueur de son corps. En plus, à l’intérieur des lieux sacrés, il y a encore des prosternations suivies de dons et de bénédictions par les lamas.

Le « Top 5 » du pèlerinage mongol :


Bei tei et le Tyaunsi vue du Shanhailou.
Photo Isabelle Charleux
  • Le grand stoupa blanc (Bei tei), dédicacé en 1301, et dont les cinq restaurations ont été commanditées par les Mongols.
  • Le Pusa Ding et les monastères centraux.
  • Le stoupa funéraire du grand lama Rol pa’i rdo rje.
  • La visite des cinq pics.
  • La grande statue de Manjushri (6m de haut) assis sur un lion au Shuxiang-si et le Luohou-si où l’autel circulaire en forme de fleur de lotus s’ouvre par un mécanisme pour découvrir une statue de Bouddha.

S’il est vrai que les empereurs mandchous ont favorisé le pèlerinage mongol, les moines mongols du Wutaishan faisaient le voyage en Mongolie pour échapper aux rigueurs de l’hiver et vanter les mérites de leurs monastères afin de ramener des dons.

Les fidèles cherchent à entrer en résonnance avec la terre sacrée au moyen des sens :

  • On recherche des visions.
  • Hallucinations auditives.
  • Consommation d’eau de la montagne ou même de plantes.
  • Toucher et frotter son corps contre la terre pour s’imprégner de la sainteté du lieu. Les pèlerins emportent des pierres, de la terre ou des morceaux d’écorce d’arbres

 

Mais il y a aussi le Guanyindong ou grotte d’Avalokiteshvara dans laquelle le sixième Dalaï Lama aurait médité.


Fomudong.
Photo Isabelle Charleux

La grotte de la mère (matrice) Fomudong (Ehiin umai) qui consiste en un long boyau débouchant sur une petite cavité. Ce site est tenu par des moines chinois et un moine aide les gens à passer par le boyau (éventuellement en rançonnant au passage ceux qui se coincent). Le pèlerin sort de cette épreuve lavé de ses péchés. Ceci correspond à un rituel mongol de fertilité pour avoir des enfants alors qu’au Tibet c’est un test de passage pour un bon ou mauvais karma.

Il existe des grottes matrice similaires en Mongolie et l’une d’elle, Loboncimbu Süme, est considérée comme la grotte fille de celle du Wutaishan et on ne doit pas y entrer si l’on a été dans la grotte mère.

Ces caractéristiques et pratiques ont été implantées par des Tibétains et des Mongols en terre chinoise.

Aujourd’hui les moines tibétains en pèlerinage se comportent un peu comme des touristes et n’ont pas de contacts avec les moines des monastères.

Le Wutaishan est le deuxième ensemble monastique le plus riche de Chine après le Shaolin.

Maintenant, il y a une certaine confusion visuelle car des Chinois se sont installés dans d’anciens monastères tibétains et tous essaient de proposer le plus large éventail de « services » ce qui revient à dire qu’ils offrent tous plus ou moins la même chose.

Pour conclure, si les Mongols ont fréquenté et fréquentent encore ce site c’est par ce qu’il est très complet :

  • Religieux on peut s’y laver de ses péchés, demander des enfants et y favoriser sa renaissance.
  • Commercial grâce à la grande foire du sixième mois qui permet toutes sortes d’échanges.

 

Il faut rappeler qu’autrefois, les Mongols faisaient ce pèlerinage à pied, ce qui est un tour de force pour un peuple qui est habitué à chevaucher !

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